Boris H – “Il faut des ingénieurs optimistes, pas des enfants qui veulent faire la grève de l’école.”

À l’occasion de la sortie de son nouveau projet Convergence 2045: IA, créativité artificielle et effondrement ?, nous nous sommes entretenus avec l’artiste Extra Terra qui s’essaie aujourd’hui à l’écriture sous le nom Boris H. Ayant eu la chance de pouvoir écouter son album en avant première, c’est d’abord son univers artistique Cyberpunk porté par une musique aux sonorités Dubstep et Drum’n’Bass qui nous a conquis, avant que nous puissions nous familiariser avec sa pensée à la lecture de son livre. Une pensée riche, d’un humain du 21ème siècle qui a parfaitement cerné les enjeux, les dangers mais surtout les opportunités fantastiques que lui offre son époque. Travail méticuleux de collecte de données conduit pendant des années, Boris parvient à nous offrir une perspective originale, évite les lieux communs et pose des interrogations capitales. Partageant avec lui le même enthousiasme pour le futur qu’on imagine rempli d’Hommes augmentés à la conquête de l’espace, nous avons eu le plaisir d’échanger quelques mots avec lui sur sa vision du monde.

Boris H aka Extra Terra

Tu as acquis une notoriété dans la musique et, pour la première fois, tu as fait le choix de faire ce projet original d’écrire un livre pour accompagner ton nouvel album. Qu’est-ce qui t’as donné envie d’écrire ce livre?

Bonjour RAGE et merci pour l’interview, j’en suis très honoré !

Pour commencer, depuis tout jeune j’ai toujours été fasciné par le travail des prospectivistes. Le futur, la technologie, la science-fiction et la science m’ont toujours fasciné. C’est pour cette raison que ma musique a toujours été inspirée par la SF et le genre Cyberpunk (qui est un sous-genre de la science-fiction que j’aime particulièrement). J’ai voulu mêler avec ce concept album les deux choses que j’aime le plus : la prospective et la musique.

À côté, je me forme de façon autodidacte à l’IA dans le domaine musical (il y a 2 musiques avec l’IA sur l’album). Donc je suis arrivé naturellement à faire ce concept, avec le risque de me planter ou d’attirer un public restreint pour ce type de livre. Malgré tout, il n’est pas nécessaire d’écouter ma musique ou de lire mon livre pour tout apprécier. Les deux œuvres sont connectées mais sont également dissociables.
On peut écouter l’album sans lire l’ouvrage et inversement. Après je ne peux pas cacher que faire un album de musique demande énormément de travail, écrire un livre aussi, donc j’espère qu’il y aura quand même des personnes pour apprécier les deux en même temps. Mais je sais que pour la musique cela sera beaucoup plus facile et accessible. 

Dans les années 90, les artistes de musique électronique voulaient vraiment transmettre des idées fortes à travers la musique que cela soit politique, philosophique ou encore métaphysique. Avec le temps la scène est devenue “mainstream”, puis au fur et à mesure les artistes ont moins osé s’affirmer, cantonnant la musique électronique à un simple “divertissement”. C’est aussi une des raisons qui m’a donné envie de faire ce concept, je voulais faire passer des messages forts et mettre au courant les gens sur l’évolution titanesque de la technologie, mais aussi de dire des contre-vérités sur le monde qui nous entoure et montrer que rien n’est ni tout noir, ni tout blanc.

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À plusieurs occasions tu fais l’apologie de la société industrielle qui a souvent mauvaise presse. Tu dis par exemple, “Nous devons abandonner l’idée politiquement et psychologiquement fausse que l’Anthropocène est un grand crime contre nature”, puis, chiffres à l’appui, tu mets en avant que le monde va – factuellement – de mieux en mieux. Pourtant, de plus en plus de gens se dressent contre ce mode de vie auquel ils attribuent beaucoup de torts, en faisant fi de ces réalités.

Oui, il est vrai que factuellement, les statistiques mondiales montrent que le monde s’améliore, malgré la croyance populaire. Les médias n’aident pas en pointant du doigt presque exclusivement que les nouvelles négatives. Même si sur beaucoup de points le monde s’est déjà grandement amélioré, nous devons bien évidemment encore améliorer beaucoup de choses et nous battre pour : éviter le gaspillage, éviter de trop polluer, respecter plus la nature, réduire encore les inégalités. Notre société est loin d’être exemplaire sur ces points, mais je doute qu’une société 100% parfaite puisse exister. Il y aura toujours des problèmes, des inégalités et des gens mécontents quoi qu’on fasse.

Ceux qui se dressent contre ce monde soutiennent souvent la thèse que la science et la technologie sont au cœur de la problématique environnementale, mais ce n’est pas un discours raisonnable. Les scientifiques estiment que le processus de dérèglement climatique est déjà lancé, et qu’il continuera quand même à évoluer si nous nous tournons intégralement au Low-Tech – comme certains collapsologues veulent faire.

Donc nous n’avons pas d’autres choix que de miser sur l’écologie High-Tech pour rééquilibrer nous mêmes les choses, et ce n’est certainement pas le Low-Tech qui pourra nous aider (du moins cela dépend des domaines ou alors sur des éléments à petite échelle). Il faut des ingénieurs et des chercheurs optimistes qui s’occupent de ces problématiques, certainement pas des enfants qui veulent faire la grève de l’école.

Concernant l’Anthropocène : il est souvent associé à des choses mécaniques, mais il est une conséquence de la vie sur Terre. L’Anthropocène est un produit de l’évolution ; c’est une expression de la nature. De plus, notre civilisation a toujours été technocentrée, et ce, depuis que nous utilisons des bâtons pour chercher des fruits placés plus haut dans les arbres, alors pourquoi du jour au lendemain devrions nous tout arrêter ? Pourquoi toujours penser que nos actes sont détachés de la nature, alors que nous en sommes sa propre conséquence ?

Je pense que d’une certaine façon nous n’avons pas à nous en vouloir de ce que nous avons commencé à faire avec la société industrielle. C’est à cause de nos méconnaissances scientifiques, et non pas à cause de la science en elle même que nous avons commencé à endommager l’environnement. L’époque dans laquelle nous vivons actuellement est juste une étape intermédiaire, qui va se stabiliser dans les prochaines décennies.

Nous serons de plus en plus capables de modifier la Terre pour être en accord avec nos besoins grâce à la technologie et aux mesures collectives – comme nous l’avons déjà fait avec le protocole de Montréal en 1987 qui a permis de presque refermer le trou dans la couche d’ozone. 

Plus le temps passe, plus la science avance et plus on se rend compte de notre impact sur la planète grâce à l’amélioration des outils technologiques. Au début de l’ère industrielle nous n’avions aucun recul sur ce que nous faisions, le peuple et les scientifiques étaient totalement inconscients des effets néfastes des industries sur la santé et sur l’environnement.

C’est grâce à l’avancement de la science et de l’accumulation du savoir que nous nous en rendons compte aujourd’hui et que nous avons mis en place des mesures pour réduire la pollution. “La conscience sans science” est tout aussi néfaste que “la science sans conscience” d’après moi.

Tu t’essaies à donner une chronologie du futur qui nous attend de maintenant à 2100. Exercice périlleux s’il en est, où tu places l’IA atteignant le niveau des capacités humaines entre 2025 et 2045 en te fiant à une interview de Ray Kurzweil donnée au Times en 2010. Pourtant, Yann LeCun, qui est une des personnes à la pointe de l’IA, émet de sérieux doutes sur le fait qu’il verra ça de son vivant.

Yann LeCun est une pointure dans le domaine de l’IA, il a obtenu le prix Turing (équivalent du prix Nobel, mais pour l’informatique) et il est dans le top 3 des chercheurs en IA. C’est une personne que j’admire et respecte beaucoup. Mais aussi fort et brillant soit-il, son avis ne représente pas celui de l’ensemble des spécialistes de l’IA.

Si je me réfère aux sondages et aux données qui ont été recueillies par Katja Grace : on voit qu’il y a 10% de chance d’atteindre l’AGI d’ici 2022, 50% d’ici 2040 et 90% d’ici 2075. Sondage qui a été réalisé sur des chercheurs participants au NIPS et au ICML, c’est-à-dire les deux conférences les plus prestigieuses en IA.
https://arxiv.org/pdf/1705.08807.pdf

Un autre sondage qui a été réalisé en 2018, lors de la conférence HLAI, montre que 40% des chercheurs estiment qu’une AGI pourrait intervenir d’ici 5 à 10 ans, tandis que 28% s’y attendent dans les 20 prochaines années. Seulement 2% n’y croient pas du tout.
https://www.futuretimeline.net/blog/2018/09/25.htm
Yann LeCun a quand même dit dans un tweet que j’ai pu échanger avec lui que de toute façon ce n’est qu’une question de temps avant que les machines atteindront un jour des capacités équivalentes ou supérieures à l’intelligence humaine dans tous les domaines.

Il est vraiment important que la société puisse comprendre que même si la probabilité est de 1% pour l’IA de niveau dans 3-5 ans, il faut qu’on puisse se préparer à cette éventualité (cependant dans les sondages on voit que c’est plus que 1% d’après les experts). Sinon nous serons dépassés par les événements.

Dans cette même chronologie, tu mets en avant que l’Islam sera la première religion du monde en 2070 en t’appuyant sur des chiffres du Pew Research Center qui mettent en avant dans le même temps que les athés, agnostiques et non affiliés à une religion représenteront une part décroissante. Comment articules-tu ce futur ultra-technologique que tu appelles de tes voeux, où les humains colonisent Mars en 2059, avec ces projections qui semblent aller vers un retour du religieux qui s’accompagne souvent d’un rejet de la technologie ? 

Je pense qu’un futur ultra-technologique n’est pas incompatible avec la religion. Je pense même qu’à cause de la technologie il y aura encore plus de religions, de croyances de toutes sortes et de divisions qu’auparavant. Sans oublier le transhumanisme qui va mener à la bionique et aux modifications génétiques, ainsi encore plus catégoriser les populations.

On voit déjà aujourd’hui que les mouvements minoritaires arrivent à faire caisse de résonance sur internet et à se faire mieux entendre que par le passé, et que de nouvelles religions apparaissent avec la technologie. En 2017, Anthony Levandowski, un ancien ingénieur de chez Google, a fondé « Way of the Future ». C’est une organisation religieuse aux États-Unis, mais c’est aussi la première église de l’IA. Le but de sa démarche est de développer et promouvoir la conception d’une divinité basée sur l’intelligence artificielle. 

La technologie nous permettra de créer nos propres “Dieux” avec l’aide de l’IA. Des parties de la population vénéreront les Dieux “classiques” (ceux que nous connaissons déjà avec les religions monothéistes), pendant que d’autres vénéreront des Dieux qu’ils auront créé eux-mêmes sur des ordinateurs. Il y aura probablement des groupes de populations qui seront pour l’ultra-technologie et d’autres qui voudront retourner au médiévalisme, comme on peut déjà le voir aujourd’hui avec les collapsologues quand ils disent (pas tous) qu’ils veulent retourner aux choses simples.

Alors oui, il y aura du rejet par certaines religions, comme c’est déjà le cas aujourd’hui, mais n’oublions pas que la science et la technologie ont émergé et évolué dans des sociétés religieuses, même si cela a été très difficile, voire mortel pour certains scientifiques, surtout au Moyen-Âge.

Après je veux bien préciser que la chronologie que j’ai faite dans le livre n’est pas à prendre au premier degré, il faut voir cela plutôt comme un outil qui aide à voir les grandes lignes de ce qui nous attend. Le futur n’est pas figé et des événements inattendus peuvent encore le modifier. Ces projections montrent ce qui est possible d’arriver en fonction de ce que les démographes observent au moment présent. Si d’ici 2070 nous arrivons à obtenir une IA de niveau humain, voire super-humain, beaucoup de choses pourraient totalement changer.

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Un des sujets majeurs de ton livre est la créativité, et tu donnes des conseils pour la travailler et l’améliorer. Pour Todd Lubart, psychologue à l’université Paris-Descartes: un QI d’au moins 120 serait un prérequis pour être créatif. En plus d’un QI de 120, certains traits nécessaires à la pensée divergente comme la curiosité, une faible aversion au risque et de la persévérance semblent aussi indispensables. Runco et Albert (1986) indiquent que l’intelligence et la pensée divergente ne sont plus corrélées au-delà du seuil de QI de 120. Ton livre ne s’adresse qu’aux gens avec un QI supérieur à 120 ou penses-tu que tout le monde peut-être créatif en réalité ?

Je pense que mon livre s’adresse à toute personne curieuse avant tout, parce que je parle vraiment de beaucoup de sujets, même si la créativité est le sujet central. Concernant le QI, je pense que c’est plus compliqué qu’une histoire de chiffres. On voit bien dans ces études qu’il y a une corrélation entre le QI et la créativité, et qu’en général les personnes réellement créatives ont un QI supérieur à 120.

L’intelligence créative s’appuie sur une logique inventive et intègre une composante d’imagination et d’intuition. Et chez certains animaux, les chercheurs ont pu voir que les primates peuvent faire preuve d’inventivité, mais qu’on ne peut pas encore parler de créativité au sens “strict”.

Chez les personnes qui ne sont malheureusement pas créatives, elles ont quand même des briques de la “créativité” et avec l’aide de certaines méthodes on peut faire en sorte de la travailler et de l’améliorer. Alors bien évidemment, je ne peux pas dire si tout le monde deviendra créatif en appliquant les méthodes qu’il y a dans mon livre, mais c’est déjà un bon début pour se stimuler. 

Ta musique fait l’unanimité au sein de la rédaction, la raison fondamentale est qu’on a la sensation que tu mets la technologie au service d’un esprit de conquête, ce qui est pour nous l’expression de l’âme prométhéenne européenne. C’est une impression qui se confirme à la lecture de ton livre où tu dis par exemple “Qui ne veut pas vivre assez longtemps pour découvrir les mystères de l’Univers, conquérir le cosmos ou comprendre l’origine de la conscience ?” révélant ainsi un côté extrêmement Prométhéen de ta personne qu’on associe chez Rage à l’âme européenne. Est-ce que tu te sens toi-même Européen et est-ce une chose qui influence consciemment ta musique ?

Merci ! Oui je me sens Européen, mais avant tout je me sens appartenir à l’espèce humaine ! (rires). Je ne sais pas si le fait d’être Européen a influencé ma musique, mais tout ce que je peux dire c’est que lorsque j’imagine l’humanité travailler en harmonie pour partir à la conquête du cosmos ou trouver des solutions à des problèmes communs, c’est quelque chose qui m’inspire beaucoup lorsque je compose. 

Les musiques électroniques se font souvent taxer de musiques déracinées, dans le sens où elles s’appuient rarement sur une langue et ont plus facilement une portée universelle. Pour autant, ça reste un style intimement lié à l’Occident. Toi qui a eu l’occasion de jouer et de fréquenter des festivals electro, comment le ressens-tu ?

C’est le gros avantage des musiques sans paroles, c’est qu’elles ont une portée universelle et chaque auditeur peut s’imaginer l’histoire qu’il veut à travers la musique qu’il écoute. Et je trouve ça vraiment super !

Ce que j’ai remarqué lorsque j’ai joué dans des festivals ou des soirées electro, c’est que peu importe les origines ou les croyances, tout le monde est là pour partager sa passion. La musique permet de connecter les gens ! 

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