Rétrofuturisme au Japon, les robots pour protéger l’identité et booster la natalité

Peu de pays fascinent autant que le Japon. Grâce à sa capacité unique à entrer de plein pied dans la modernité tout en conservant son identité et ses traditions, il incarne une forme de modèle d’un pays apaisé où règne l’unité au service du bien commun.

Le déclin démographique du Japon

Cependant tout n’est pas rose au pays du soleil levant. Avec 1,3 enfants par femmes, le Japon accuse un sérieux déclin de sa population et devrait décroître à 90 millions d’habitants vers 2050 alors qu’on compte aujourd’hui encore 120 millions de Japonais.

D’une pyramide à un cerf-volant

L’impact du déclin démographique sur l’économie japonaise

Ce déclin démographique a pour double conséquence de voir mathématiquement la population âgée représenter un plus large pourcentage de la population totale qui entraîne un déficit de main d’oeuvre pour subvenir aux besoins de chacun. En 2017, on comptait encore 67,2 millions d’actifs, soit plus de la moitié de la population, mais les prévisions pour 2030 sont une baisse aux alentours de 58 millions. En 2050, les individus de plus de 65 ans devraient représenter 40% de la population.

Un déclin de main d’oeuvre n’a pas seulement pour conséquence de faire stagner la croissance économique, il affaiblit la consommation affectant ainsi l’économie du côté de l’offre mais aussi de la demande. Afin de résoudre ce problème, le Japon se retrouve face à trois possibilités :

  • Introduire plus de femmes et de seniors dans le marché du travail
  • Accepter la main d’oeuvre étrangère
  • Se reposer sur l’IA et les robots pour automatiser autant que possible les emplois qui peuvent l’être

C’est ainsi que 31,1% des hommes de plus de 65 ans continuent de travailler quand on en dénombre seulement 23,4% aux États-Unis, 21,2% en Suède et seulement 8,1% en Allemagne. Du côté des femmes, c’est l’inverse. La participation au travail des femmes entre 25 et 54 ans était en 2015 de 75,2%, ce qui est en-dessous de la Suède (88,3%) ou de la France (82,7%). Une hausse de 10% de femmes parmi les actifs auraient assuré 2,4 millions de travailleuses en plus au Japon.

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Les raisons de ce déclin

Si la réduction du nombre d’habitants n’est pas un problème en soi, les symptômes observés pourraient indiquer des causes profondes et complexes. Avec plus de 40% des 18-35 ans encore vierges (42% pour les hommes et 44% pour les femmes), il n’est pas étonnant que le nombre d’enfants par femme s’écroule dans un pays où les enfants hors mariage sont encore vus comme quelque chose de dégradant.

Dans son ouvrage Robo sapien japanicus, Jennifer Robertson, professeur en Anthropologie, Histoire de l’art et études de genre, livre le fruit de ses vingt années passées au Japon dont 8 menant des recherches sur les robots et le rapport que les Japonais entretiennent avec eux. La suite de l’article s’appuiera grandement sur cet ouvrage. Elle indique que Le Shin’Nihon Fujin No Kai (l’association des femmes du nouveau Japon), met en avant les faits suivant pour expliquer une telle tendance : la baisse du budget pour la famille, les coûts d’éducation élevés, le manque d’infrastructures publiques dédiées aux soins des enfants et des programmes pour s’occuper d’eux après l’école, des heures de travail extrêmement longues et des heures supplémentaires non payées. Une majorité de femmes japonaises choisissent ainsi de rester célibataires par choix et d’encore habiter chez leurs parents la trentaine passée afin de faire des économies.

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Le choix des robots

Afin de combattre ce déclin en se passant de “l’immigration de remplacement” et sans prêter attention aux revendications des femmes, le Japon a décidé de tout miser sur l’IA et les robots.

“Face à un vieillissement rapide et un décroissement de la population et de la main d’oeuvre, les politiciens japonais continuent de favoriser l’automatisation plutôt que l’immigration de remplacement comme ils le font depuis l’après-guerre.”

Jennifer Robertson, Robo-sexism and retro-robotics in Japan

Plébiscité par la population qui préfère les “robots ours aux infirmières étrangères”, la solution des robots paraît la plus appropriée aux Japonais qui y voient une façon d’éviter de se confronter à des différences culturelles et des ressentiments historiques que pourraient avoir les immigrés issus de pays colonisés précédemment par le Japon.

Lorsque Shinzo Abe accède au pouvoir en 2006, il crée presque immédiatement le cabinet de conseil Innovation 25 regroupant des universitaires et des entrepreneurs afin d’imaginer un nouveau Japon Utsukushii (beau) revitalisé par la robotisation d’ici 2025. Jennifer Robertson voit derrière le terme Utsukushii une volonté d’Abe d’esthétiser une politique d’ethno-nationalisme et de politiser l’esthétique du Japon traditionnel.

“Notre but est de créer une société où il n’est pas incongru pour les gens de cohabiter avec les robots”

Akifumi Tamaoki


Y compris parmi les opposants du Premier Ministre, Shinzo Abe, les reproches qui lui sont adressés ne concernent pas sa volonté de favoriser les robots à l’immigration, mais se focalisent sur le nucléaire, (même si Abe n’était pas Premier Ministre au moment de Fukushima), sa résolution de remilitariser le Japon et ses accointances avec les États-Unis. Sur le site Abe-No, créé en 2015, qui joua un rôle majeur dans l’organisation d’une des plus grande manifestation contre Abe, on peut lire des slogans en anglais tel que “Take back democracy” ou “Smash Fascism! Abe Out!”, suivis d’une liste de 12 raisons pour lesquelles ils s’opposent au Premier Ministre.

  • Sa promotion de l’énergie nucléaire
  • Son extension du rôle des Forces japonaises d’autodéfense
  • Sa volonté de changer la constitution post-guerre
  • Son soutien aux bases militaires américaines d’Okinawa
  • L’adoption de la loi sur la protection des secrets d’État permettant au gouvernement de garder des informations secrètes, notamment dans le domaine de la défense
  • Les accords transpacifiques avec les USA
  • Ses plans d’augmenter la taxe à la consommation de 10%
  • Son altération de la sécurité sociale
  • Son incapacité à punir les compagnies ne respectant pas les règles de travail, conduisant à des conditions de travail risquées et un nombre croissant de travailleurs pauvres
  • Son plan de refonte de l’agriculture japonaise en abandonnant les coopératives
  • Son laisser-faire sur les discours pro-guerre et pro-fascisme
  • Son soutien à une éducation renforçant l’autorité de l’État

Parmi ces 12 points, pas un seul concernant la robotisation de la société qui semble faire consensus chez les Japonais.

Innovation 25 et la famille Inobe

Innovation 25 se veut être une vision de ce que doit être le futur du Japon à l’horizon 2025 reposant sur la volonté d’augmenter le nombre de naissances par femme et de mieux s’occuper des personnes âgées en s’appuyant sur les robots. Qualifié par certains de “rétrofuturiste”, le programme affiche clairement la volonté d’être à la pointe de la technologie comme moyen de préserver un mode de vie traditionnel.
On peut le percevoir dans la façon de mettre en avant une famille fictive censée représenter les Japonais de demain, la famille Inobe (inobeshion étant le mot japonais pour innovation). Cette famille idéale consiste en un couple marié, un fils, une fille et Inobe-kun, le robot de la famille. Sous la forme d’un storyboard, on découvre à quoi ressemblera la vie de cette famille du futur, du lever des parents de plus de 65 ans à 6h30, à leur coucher à 23h avec toutes les lumières s’éteignant automatiquement. L’arrivée du robot ne vient pas bouleverser les schémas familiaux en place, la femme est toujours la maîtresse du foyer mais elle a maintenant un assistant de choix.

Lorsque Yumiko finit son travail à la compagnie de design (normalement vers 17h), elle vérifie qu’Inobe-kun a bien rempli ses devoirs.

YUMIKO : “As-tu finis de nettoyer la maison ? Il y a des messages ? Mon bain chaud est prêt ?

INOBE-KUN : “J’ai tout nettoyé à part votre chambre. Papi dit qu’il arrivera à 18h. Je crois que Mamie arrivera bientôt, vers 17h. Je viens de recevoir un message de Papa disant qu’il sera là à 19h.

Extrait du dossier Innovation 25, un jour dans la vie de la famille Inobe

Si le projet a suscité quelques réactions négatives et des moqueries, sa volonté de se projeter dans un avenir radieux et optimiste a réussi à gagner les coeurs de la majorité.

Pourquoi les Japonais plébiscitent les robots

Dès lors on peut se demander pourquoi une telle initiative non seulement se voit opposer très peu de résistance, mais suscite même l’enthousiasme de beaucoup de Japonais, quand dans le même temps on observe beaucoup de défiance en Occident.

L’imaginaire du robot bienveillant

Astro, le petit robot

Pendant que notre imaginaire se construisait sur des fictions comme R.U.R, Terminator ou Matrix où les robots se révoltent et tentent de dominer, voire d’exterminer les humains, les Japonais ont grandi avec Astroboy, une sorte de nouveau Pinocchio élevé dans une famille normale faisant l’interface entre les cultures des hommes et des machines, et Doraemon, un robot bipède à l’allure de chat sans oreilles. Cela construisit un imaginaire où le robot est dans le meilleur des cas un héros et dans le pire un compagnon. Cette peur des Occidentaux résidant dans la théorie de la Singularité technologique, imaginée par Vernor Vinge mais dont on trouve les prémices dans l’oeuvre de Samuel Butler, Erewhon, dès 1872, n’a pas de prise sur les esprits japonais. Les Japonais n’imaginent pas une fusion entre l’humain et la machine mais une cohabitation harmonieuse de ces deux entités distinctes. Rares sont les exceptions où le robot est fondamentalement inquiétant. On le retrouve dans Dragon Ball Z, sous l’arc de Cell et les cyborgs, où Cell est un organisme génétiquement modifié et les Cyborgs des machines ayant tué leur créateur, le docteur Géro, menaçant l’humanité d’extinction. Cependant, Akira Toriyama, l’auteur de Dragon Ball Z, s’est fortement inspiré de la culture occidentale, Terminator en l’occurrence, pour imaginer son récit, allant jusqu’à dépeindre un personnage de Trunks très similaire au jeune John Connor de Terminator.

John Connor à gauche (Terminator) vs Trunk à droite (Dragon Ball Z)

Comment est né cet imaginaire si propice à accepter une vie mêlant l’organique et l’inorganique ? Cela pourrait tout à fait tenir dans le Shintoïsme japonais et sa conception du monde et des choses.

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La spiritualité japonaise en harmonie avec les robots

Le Shintoïsme, qui signifie la voie des kami, est la religion du peuple japonais. Dans la religion Shintoïste, les kami sont des forces divines, esprits de la nature, ou forces vitales, qui surpassent l’intelligence humaine. Il existe plus de huit millions de Kami qui prennent des formes naturelles comme le soleil, les océans, les montagnes, les arbres ou les animaux. Ils peuvent aussi s’incarner dans les objets et la technologie. Selon les croyances Shintoïstes, ils se respectent mutuellement et vivent en harmonie.

Les Kami auraient communiqué avec les humains depuis des milliers d’années. Cette coutume s’est transmise de génération en génération et continue de rythmer le quotidien des Japonais, dans leur moindre geste. Par exemple, l’esprit des Kami serait présent dans les baguettes et les bols, donc ces outils sont considérés comme extrêmement précieux.

Au Japon, contrairement aux cultures abrahamiques, les frontières entre Religion et Science sont floues. Elles sont non seulement compatibles, mais il y a même une synergie entre elles. De la même façon, la frontière entre le “vivant” et le “non vivant” ne dépend pas des mêmes principes.

Dans son article Robots and religiosity : Japanese perspectives on spirituality and science, Jennifer Roberts explique qu’en Août 2017, un des célèbres robots Pepper de SoftBank se vit attribuer un nouveau rôle en tant que prêtre bouddhiste afin de tenir un rite funéraire. La grande question était de savoir s’il pourrait effectuer une telle tâche avec du “coeur” (kokoro). Souvent traduit par “coeur”, la définition est un peu plus complexe. On pourrait rapprocher le terme du concept de “conscience” mais il recouvre aussi une notion de “source de la volonté et de la motivation”. Chez les humains, le kokoro disparaît au moment de la mort et est un critère essentiel pour définir ce que les Japonais appelle l’inochi qu’on pourrait traduire par “vie”. Le mot inochi pouvant recouvrir cependant trois acceptions : une puissance qui inonde les vivants de générations en générations, le laps de temps entre la naissance et la mort, et l’essence de quelque chose, que ce soit un être vivant ou un objet créé.


Le concept de kokoro transcende le vivant et on peut également dire qu’un met ou une oeuvre d’art ont du kokoro. Dès lors, les robots possèdent un kokoro et sont doués d’inochi… les Japonais les voient comme une forme de vie alternative et cela n’a rien d’étrange pour eux grâce à leur héritage culturel Shintoïste.

Le bilan du choix des robots

En 2019, la chute de la natalité continue et deux nouveaux Visas ont été créés pour accueillir 345 000 travailleurs étrangers pour une durée de cinq ans dans des secteurs précis : bâtiment, services de restauration, soins aux personnes âgées. Le Japon a encore six ans pour atteindre les buts fixés avant la date fatidique de 2025. Les jeux Olympiques de Tokyo qui auront lieu dans un an seront un bon test. Le monde entier aura les yeux rivés sur le pays du soleil levant. Espérons que la merveille rétrofuturiste éclaboussera les spectateurs de ses avancées technologiques offrant un confort inégalé à ses ressortissants et ses visiteurs … Gambate Nihon san.

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