Un génie polyvalent : Interview Howard Bloom

Howard Bloom a commencé son apprentissage de la physique théorique et de la microbiologie à l’âge de dix ans et a passé ses premières années dans la science. Puis, poussé par le désir d’étudier l’émotion humaine de masse à travers les lentilles de la science, il est entré dans un domaine qu’il ne connaissait pas, la culture populaire. Il a fondé la plus grande entreprise de relations publiques de l’industrie musicale et a travaillé avec des super-vedettes comme Prince, Michael Jackson, Bob Marley, Billy Joel, Queen, AC / DC, Aerosmith, Billy Idol, Joan Jett, Styx, Hall and Oates, Simon & Garfunkel, Run DMC, et Chaka Khan. Bloom est revenu à son activité scientifique formelle en 1988 et, depuis lors, a publié sept livres sur l’évolution humaine et cosmique, dont The God Problem, Global Brain, et The Lucifer Principle. Appelé « le prochain dans une lignée de penseurs fondateurs comprenant Newton, Darwin, Einstein, [et] Freud » par la chaîne britannique Channel 4 TV, et « le prochain Stephen Hawking » par le magazine Gear, il est le sujet du documentaire de BRIC TV The Grand Unified Theory of Howard Bloom.

Grégoire Canlorbe : Comme entrepreneur dans l’industrie des relations publiques, vous avez été particulièrement actif sous l’ère Reagan. Comment expliquez-vous que les années 1980 aient connu à la fois un retour à certaines valeurs conservatrices et une explosion de créativité et d’indépendance effrontée [coolness] dans la musique et les films ?

Howard Bloom : C’est une très bonne question. Je n’ai jamais pensé à cette connexion auparavant. Ma femme était socialiste lorsque je l’ai rencontrée dans les années 1960. Et puis, dans les années 1970, elle est devenue conservatrice. Elle a siphonné de l’argent depuis notre compte bancaire et l’a donné aux campagnes politiques de Ronald Reagan — sans me le dire. Elle savait que je détestais Reagan. Mais je n’ai jamais relié Ronald Reagan à ce qui se passait dans la musique populaire à ce moment-là. Dans les années 1960, la musique populaire était la musique de la rébellion. La musique rock consistait à lever le poing et à dire aux adultes: « J’ai le droit d’être un individu. J’ai le droit d’exister. » Le rock était en phase avec la philosophie hippie: « Ne faites confiance à personne de plus de 30 ans. » Et, « Nous sommes ici pour renverser l’ordre établi. » En d’autres termes, le rock and roll faisait partie d’une rébellion dont les militants politiques travaillaient à chasser les gens de l’âge de nos parents du pouvoir. C’était les années 1960. Mais il n’y avait pas de philosophie manifeste — il n’y avait pas d’idéologie — de la rébellion dans les années 1970 et 1980. Cependant, si vous regardez l’attitude des artistes qui ont émergé, c’était une pure rébellion.

Joan Jett est montée sur scène et a levé le poing. Et la façon dont elle a levé le poing était la partie la plus forte de son message. C’était une femme. Et si vous étiez une femme, vous étiez censée être comme Grace Slick ou Janis Joplin : les gars avaient les guitares, les instruments électriques, et vous non. Vous chantonniez simplement dans le microphone. Mais Joan disait : « Je vais prendre la putain de guitare, moi-même. J’ai le pouvoir. Je possède le pouvoir sur scène. Et je vais me rebeller en tant qu’entité autonome n’ayant pas besoin des « armes » des « mâles avec des guitares ». Mon groupe? Hé, c’est juste une extension de moi-même. » La rébellion de Joan était celle de filles qui avaient été élevées avec des mères qui travaillaient. Et pour une fille de la classe moyenne, être élevée par une mère qui travaillait était quelque chose de tout à fait nouveau. C’était le résultat de l’invention de la plomberie intérieure, de la machine à laver, du sèche-linge, et du lave-vaisselle. Les femmes n’étaient plus les esclaves de la collecte de l’eau et du lavage des vêtements. Et le mouvement de libération des femmes leur a donné la liberté de rivaliser avec les hommes dans le milieu professionnel. Maintenant les filles de ces femmes libérées avaient une toute nouvelle expérience de ce que signifiait d’être une femme. Et ce sentiment a atteint son sommet avec Joan Jett. Il a atteint son poing culminant. Mais pour les hommes, je dirais, regardez plusieurs de mes autres clients. Billy Idol a également levé le poing dans un geste de rébellion. La colère de ces poings avait-elle quelque chose à voir avec l’ère Reagan? C’est difficile à dire.

John Mellencamp est également venu sur le bord de la scène avec son poing levé. Si vous étiez là, je pourrais vous montrer la différence entre le poing levé de chacun de ces trois artistes. Chacun a fait une déclaration musculaire légèrement différente — une déclaration faite avec les muscles. Et puis, il y avait des groupes qui glissaient déjà dans l’acceptation de la génération d’un parent et l’acceptation d’une génération plus âgée. Ce n’était plus la rébellion, mais l’acceptation. Et c’était là des groupes comme Spandau Ballet, Berlin, qui étaient tous les deux mes groupes, et bien d’autres. Plus tard, toute l’attitude de la rébellion disparaîtrait de la musique populaire. Ou au moins serait-elle considérablement minimisée. En fait, Michael Jackson vivrait avec sa mère, son père, et ses frères — un acte impensable parmi les rebelles du rock. Et cette activité de lever le poing sur scène ne ferait plus partie du package, si vous étiez un rock’n’roller. Chez Michael Jackson, il serait remplacé par un farouche pointage du doigt.

L’ère Reagan était relativement prospère, ce qui était une bonne chose. Et ce n’est que lorsque vous avez un âge prospère que les enfants peuvent se permettre d’être complètement rebelles, car lorsque vous avez un âge comme les années 2000 et 2010, où les enfants adultes vivent encore dans la maison de leurs parents, les enfants ne peuvent pas se permettre de se rebeller. Ils ont besoin du confort, de l’abri de leurs parents pour aller de l’avant. Cela explique pourquoi l’attitude rebelle a disparu. Et je ne vois aucune rébellion dans la musique, aujourd’hui. Certes, écouter de la musique a totalement changé. Travailler dans la musique a totalement changé. J’écoute Pandora. Je ne connais pas l’époque des groupes que Pandora joue pour moi, mais à mon sens, cette attitude rebelle a disparu — peut-être est-ce simplement que je ne comprends pas assez bien ces groupes. Je ne connais pas la position physique, le message musculaire de groupes comme The Eagles of Death Metal et Queens of the Stone Age ou de vedettes comme Joe Bonamassa et Jack White — sans parler d’artistes trans-raciaux comme Keb Mo.

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Grégoire Canlorbe : Vos bébés, Prince et Michael Jackson, sont tous deux morts au cours des dix dernières années. Quelle a été votre réaction à la nouvelle de leur disparition ? En tant que critique de l’écologisme dur (ou éco-nihilisme), comment évaluez-vous les paroles de pièces de Jackson telles que « The Earth Song » ou « Heal the World » ?

Howard Bloom : Michael Jackson est décédé le jour de mon anniversaire, le 25 juin 2009, et j’ai toujours senti que j’avais des conversations que je devais terminer avec Michael. Il m’a fallu des années pour comprendre pourquoi. Ma réponse initiale, lorsque j’ai commencé à recevoir des appels du directeur des frères de Michael en 1982 environ, a été: « Non, je ne veux pas travailler avec les Jackson. » Les Jackson étaient faciles. Si vous avez un chien qui parle, le chien peut téléphoner et dire « Michael Jackson », et n’importe quel éditeur du pays laissera tout tomber et proposera au chien une couverture en échange d’une entrevue. Et je ne fais pas des choses faciles, donc je n’étais pas intéressé. Je fais des choses difficiles — je fais des croisades. Et puis, j’ai reçu un appel du manager des Jackson, le même gars auquel je disais non depuis quatre mois, me disant: « Les Jackson vont être en ville cette fin de semaine, et ils aimeraient vous rencontrer. » Et, Grégoire, vous connaissez mon parcours. Je n’ai pas grandi avec d’autres enfants. Je n’ai pas grandi avec des adultes. J’ai grandi avec des cochons d’Inde et des rats de laboratoire et un aquarium plein de guppys. Donc je ne connaissais pas les rituels humains normaux, mais j’avais entendu cet adage que lorsque vous voulez dire non à quelqu’un, si vous êtes un mensch, si vous êtes un vrai homme, vous devez leur dire non en face.

J’ai donc accepté de rencontrer les Jackson et j’ai pris l’ascenseur jusqu’au 54ème étage de l’hôtel Helmsley Palace sur Madison Avenue à 50th Street à Manhattan. Et j’ai marché dans le couloir et j’ai frappé à la porte, et la porte s’est ouverte de quatre pouces. Et à la minute où la porte s’est ouverte, je savais que j’allais devoir travailler avec les Jackson parce que vous pouviez voir ces quatre gars collés contre le mur comme si quelque chose de vraiment sombre et inquiétant était dans la chambre, et personne ne pouvait dire de quoi il s’agissait. Et il m’a fallu environ 10 ou 15 ans pour clarifier la raison pour laquelle je pensais que les Jackson m’avaient embauché. Une fois que j’eus enfin compris, j’ai réalisé qu’ils m’avaient engagé pour sauver l’âme de leur frère. Parce qu’il y avait des problèmes — il y avait de gros problèmes. Alors, quand Michael est mort, j’ai senti que mon travail n’était pas terminé. Je n’avais pas réussi ma mission. Toute l’histoire de la traque du vilain qui a fait Michael Jackson est dans mon nouveau livre Einstein, Michael Jackson & Me: a Search for Soul in the Power Pits of Rock & Roll.

Michael a passé 50 ans sur cette planète, et pendant 25 ans, il s’est élevé vers la gloire et la renommée. La plus grande gloire et renommée que l’on n’ait jamais vues. Puis pendant 25 ans, pendant la moitié de sa vie, il a été suspendu à la croix. Il a été crucifié par la presse, entre autres choses. Et je sentais que le travail de sauver son âme n’était pas terminé. Et je sentais les conversations qui nous manquaient, que nous n’avions jamais eues, que nous aurions dû avoir. Mais j’ai toujours pensé qu’il nous restait beaucoup de temps devant nous; et puis, tout d’un coup, la nuit de mon anniversaire, en guise de cadeau, j’ai appris que Michael Jackson était mort. J’étais dévasté — j’étais terrassé. L’histoire de la nuit où l’on m’a annoncé que Michael Jackson était mort est dans le premier chapitre d’Einstein, Michael Jackson & Me. Quand ils ont fermé le café où je travaillais la nuit à cette époque, je suis allé au parc pour ma promenade à travers la prairie, regardant les étoiles. Et puis, je suis revenu du parc dans la rue. Et normalement, les rues de Park Slope, Brooklyn, à cette heure — il était environ 12h30 du soir — sont abandonnées. Elles sont désertes dans mon quartier. Mais ce soir-là, il y avait deux enfants, âgés d’environ 19 ans, assis sur un perron. Et en les dépassant, j’ai entendu une voix.

J’avais mes écouteurs, donc je ne savais pas ce que la voix avait dit. J’écoutais un livre. Et puis, j’ai réalisé, quand je suis descendu à une centaine de mètres dans la rue, qu’elle avait dit : « Michael Jackson est mort. » Et je me suis demandé: « Me disent-ils cela parce qu’ils savent que j’ai travaillé avec Michael Jackson? Ou le disent-ils à quiconque passe ? » Alors je me suis retourné et j’ai remonté la rue et j’ai enlevé mes écouteurs et j’ai dit: « Qu’avez-vous dit ? » Et ils ont répété : « Michael Jackson est mort. » Et j’ai dit : « Pourquoi avez-vous dit cela ? », m’attendant à ce qu’ils disent me connaître en tant que client du Tea Lounge, le café où je travaillais. Et ils ont juste déclaré : « Nous essayons de le dire à tout le monde. »

Il est donc devenu évident qu’ils me le disaient parce que j’avais une génération ou deux de plus qu’eux, et ils voulaient qu’il n’y ait personne de plus de 30 ans qui s’échappe sans réaliser qu’un grand homme était décédé, qu’une personne d’une importance capitale venait de mourir. Et je ne me souviens pas si je leur ai dit que j’avais travaillé avec Michael ou non, mais me connaissant, je leur ai probablement dit. La mort de Michael était choquante. Comme je l’ai dit, il me reste encore des conversations à terminer avec Michael. Et l’une des choses les plus troublantes à propos de la mort est son irréversibilité. Vous ne pouvez plus parler à ces gens qui sont partis — pas du tout. Il n’y a plus aucune chance d’avoir une conversation.

Prince est une toute autre affaire. J’étais plus réceptif émotionnellement à Michael. Écoutez, quand j’avais 10 ans à Buffalo, New York, aucun autre enfant ne voulait de moi. Mes parents n’avaient pas de temps à m’accorder. J’étais donc seul depuis mon enfance. Un après-midi, j’étais dans mon salon et il y avait un livre ouvert sur mes genoux. Et le livre affirmait que les deux premières règles de la science sont les suivantes: « La vérité à tout prix, y compris au prix de votre vie. » Et il racontait l’histoire de Galileo en se trompant à ce sujet. Comme s’il avait voulu aller sur le bûcher pour défendre sa vérité. Cela était faux. Galileo a juré que tout ce qu’il avait écrit était faux en échange d’une assignation à résidence. Mais j’avais besoin de la version héroïque de l’histoire. Le livre affirmait que la deuxième règle de la science est : « Regardez les choses juste sous votre nez comme si vous ne les aviez jamais vues auparavant, puis procédez à partir de là. » Et il racontait l’histoire d’Anton van Leeuwenhoek — il se trompait un peu là aussi. Leeuwenhoek était l’un des deux hommes à avoir inventé le microscope. Mais ces deux règles sont devenues ma religion. Et Michael Jackson était l’incarnation vivante de ces deux règles ; il était ces deux règles fondamentales venues à la vie. La première règle: « La vérité à tout prix, y compris au prix de votre vie » est la loi du courage. Michael avait du courage. Il ne laisserait personne faire du tort à ses enfants. Et la seconde loi : « Regardez les choses sous votre nez comme si vous ne les aviez jamais vues auparavant » est la loi de la curiosité, de la stupeur et de l’émerveillement. Et Michael était impressionné, stupéfié et surpris à un degré que je ne m’étais jamais attendu à voir chez qui que ce soit.

Prince et moi avions quelque chose en commun en ce sens que nous avions tous deux construit nos propres mini-sociétés. J’ai aidé à mettre sur pied, par accident, le mouvement hippie. Comme les cliques des autres ne voulaient pas de moi, les seules cliques dans lesquelles je pouvais vivre étaient des cliques que je façonnais moi-même, et Prince avait aussi cette qualité. Vous savez, quand il était adolescent dans le sous-sol d’Andre Cymone, il a créé une culture — une mini-culture — sa propre mini-culture fondée sur l’idée que le sexe vous libérera, que le sexe brisera vos chaînes, et que le sexe rendra la violence inutile. C’était en fait une idée qu’il avait eue de la culture que j’avais aidé à entamer, la culture hippie. Rappelez-vous, notre devise dans le mouvement hippie était « faites l’amour, pas la guerre ». Nous avons créé une révolution sexuelle. Bien que nous n’ayons pas réellement initié les idées de cette révolution — cette idée de l’amour libre a commencé vers 1800, 160 ans plus tôt. Mais je n’avais pas autant de conversations inachevées avec Prince. Il était si vigoureux pendant tout le temps que je l’ai connu. Il était si bien bâti malgré le fait qu’il ne faisait que cinq pieds deux pouces, ou quelque chose comme cela. Il était impossible de l’imaginer parti.

Et donc, il n’était pas aussi urgent de terminer une conversation avec lui, même si je sentais que j’avais des conversations inachevées avec lui. Après tout, nous avions eu notre ascension ensemble. Je l’avais aidé à passer d’un inconnu de 19 ans — c’est ce qu’il affirmait qu’il était à l’époque, il avait peut-être 22 ans — à la gloire et à la renommée, et j’avais utilisé tout ce que j’avais appris de mes années d’étude de la fabrication de vedettes afin de l’y emmener. Et nous avions des choses à nous dire. Mais ce n’était pas la même chose. Michael était pour moi deux fois plus important que quiconque j’avais rencontré dans ma vie — au moins deux fois plus important que quiconque j’avais rencontré dans ma vie.

Prince, malgré toute sa remarquable addiction au travail [workaholism] et toute sa formidable productivité et toute sa capacité étonnante à commander un public sur scène, était un simple mortel. Michael n’était pas du tout comme un mortel. Michael était comme un ange ou un saint. En d’autres termes, il était l’incarnation vivante d’une sorte de divinité — spécifiquement, la divinité qui émane de son degré étonnant de stupeur et d’émerveillement. « Earth Song » est probablement mon titre préféré de la musique de Michael Jackson. C’est tout simplement magnifique, musicalement. Les paroles n’ont rien de spécial, parce qu’elles portent sur des clichés écologiques standards. Mais souvenez-vous, Michael n’était pas seulement un parolier ; il était un musicien. Il parlait à travers sa musique. Il parlait à travers sa danse. Et quelle chanson puissante cette « Earth Song » était !

Donc, Michael vous montrait son âme à travers ses chansons, en coécrivant des choses comme « We Are the World », « Earth Song » et « Man in the Mirror », qui dit essentiellement : « Si vous avez quelque chose d’important à faire, mettez-vous y maintenant » — le même message que « The Love Song of J. Alfred Prufrock », un poème de T.S. Eliot avec lequel j’ai grandi. Michael vous montrait où étaient ses valeurs avec ces chansons — cela dit, de manière incomplète. N’était la nuit décrite dans le livre que j’avais passée, assis dans une roulotte à l’extérieur d’un immense complexe de studios, à écouter les raisons pour lesquelles il annulait sa tournée, puis, à essayer de lui expliquer en quoi l’annulation de sa tournée nuirait aux enfants qu’il prenait si au sérieux — les dizaines de milliers d’enfants qu’il portait dans son cœur — je n’aurais jamais compris l’engagement intense de Michael envers son public et ses enfants. Encore une fois, c’est une histoire dans Einstein, Michael Jackson & Me: a Search for Soul in the Power Pits of Rock & Roll. Et c’est une histoire incroyable.

Mais Mère Nature aime ceux de ses enfants qui, comme Michael Jackson, s’opposent le plus à elle. La nature procède en enfreignant ses propres règles. Et nous sommes la prochaine génération de transgresseurs de la nature. Nous transportons la nature dans son avenir en inventant de nouvelles choses. Depuis 13,7 milliards d’années, la nature est passée de rien d’autre qu’une grande détonation [big bang] d’espace, de temps et de vitesse à un univers de plus en plus complexe, des particules élémentaires aux atomes, des atomes aux étalages géants d’atomes appelés galaxies, des galaxies aux étoiles et aux planètes, et puis, aux grosses molécules et à la vie. En d’autres termes, la nature n’a jamais cessé de créer au cours des 13,7 milliards d’années de l’existence de cet univers. Et nous sommes véritablement ses prochains outils de création. Nous avons donc l’obligation de créer. Nous avons l’obligation d’innover. Nous avons l’obligation de violer les lois de la nature — au nom de la nature et de sa créativité passionnée.

Maintenant, cela ne veut pas dire que nous avons l’obligation de détruire la capacité de cette planète à maintenir la vie, loin de là. Mais ce sont nous, les humains — en particulier nous, les humains de la civilisation occidentale — qui avons inventé l’idée de l’écologie et inventé l’idée que nous devrions « soigner le monde » [« heal the world »] au lieu de détruire les systèmes écologiques à la surface de la planète. Et c’est la toute première fois dans l’histoire de l’humanité que nous avons eu des mouvements de protestation de masse qui ont reçu une sanction institutionnelle, qui ont été intégrés au système. Et c’est la première fois dans l’histoire de l’humanité, au cours des 150 ou 200 dernières années, que nous avons eu des mouvements pour la paix, que nous avons eu des mouvements anticolonialistes et anti-impérialistes — puis des mouvements écologiques. Nous avons entendu Greta Thunberg crier « Comment osez-vous ? » tout comme Michael Jackson chantait « Tout ce que j’ai à dire, c’est qu’ils n’en ont rien à faire de nous. »

Mais même cela n’est pas naturel, d’avoir des mouvements de protestation. Et c’est à travers ces mouvements de protestation que nous avons des mécanismes d’autocorrection. Le travail des humains est de faire des choses aussi anormales que des plantes se rendant sur la terre, des arbres qui grimpent vers le ciel, et l’invention de la photosynthèse. Parce que c’est ainsi que fonctionne l’univers. Elle enfreint ses propres lois. Elle se fraie un chemin entre ses limitations précédentes. La nature se rebelle contre les entraves de sa nature. Elle déclenche constamment ce que mes livres appellent un choc de forme [shape shock] et des surprises surdimensionnées [supersized surprises]. Et la nature ou l’univers ne recule jamais. Quand elle semble reculer, comme lorsqu’elle a fait exploser ses premières étoiles, au bout d’un million d’années passé pour ces étoiles à exister, elle utilise cette catastrophe pour créer de toutes nouvelles réalités. Bien avant la mort de ces étoiles, lorsque la première génération d’étoiles est née, il n’y avait que trois types d’atomes différents : l’hydrogène, l’hélium et le lithium. Et dans le désastre des étoiles mourantes, la nature a créé quatre-vingt-neuf nouveaux types d’atomes. C’est ce que la nature fait avec le processus de destruction : elle crée.

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Grégoire Canlorbe : Vous voyagez régulièrement en Asie pour des raisons professionnelles. Comment expliquez-vous la fascination que l’Asie, et surtout la Thaïlande, se sont avérées exercer sur le cinéma d’action des années 80 — avec John Rambo (joué par Sylvester Stallone) cherchant refuge en Thaïlande… ou Jean-Claude Van Damme battant un champion thaïlandais sous l’acclamation d’une foule qui l’appelle « le guerrier blanc » ?

Howard Bloom : Je suis allé à Séoul, en Corée, deux fois. L’une de ces visites était pour prononcer le discours inaugural d’une conférence des Nations Unies sur la gouvernance. Je suis allé à Chengdu, en Chine, une fois. Je suis allé à Kuala Lumpur, en Malaisie, deux fois. La première fois, pour mettre sur pied un programme de formation intensive de deux jours pour les PDG et les directeurs généraux appelé « Re-percevoir la gouvernance [leadership] », et la deuxième fois, parce que j’ai co-fondé et co-présidé le Sommet de la Technologie Spatiale Asiatique. Donc, c’est mon expérience asiatique. Oh, oui, je suis allé à Kobe, au Japon, pour donner une conférence sur la récolte de l’énergie solaire dans l’espace et sa transmission à la Terre.

Nous — l’Occident — avons commencé à traiter avec l’Asie il y a deux mille ans lorsque la Route de la Soie a été ouverte et que la Chine a commencé à exporter de la soie à Rome. Les épouses des sénateurs romains — les femmes les plus riches de Rome — essayaient de se tenir tête les unes aux autres en portant le symbole de statut ultime, des robes de soie chinoises. Et puis, nous avons de nouveau perdu le contact avec l’Asie lorsque nous, l’Occident, avons plongé dans nos âges sombres, et le contact a repris avec Marco Polo vers 1250 après Jésus Christ. La Chine a été une terre de richesses et une terre de merveilles pendant ces deux mille ans. La Chine, tout au long presque de ces deux mille ans, a été le plus grand pays exportateur sur Terre — et le plus innovant. Plus, nous sommes tellement fascinés par des sociétés radicalement différentes de la nôtre que nous avons développé l’exploration et l’anthropologie. La Chine a presque toujours été en avance sur nous. Sauf dans la curiosité pour les autres sociétés — pour la Chine, les sociétés en dehors des frontières de l’empire chinois étaient trop barbares pour être dignes d’attention.

En Occident, l’idée de tout ce qui est étrange et exotique nous attire. Tout du moins, cela nous attire quand nous ne sommes pas dans les âges sombres. Quand nous sommes dans les âges sombres, nous tirons une couverture sur nos têtes et nous nous cachons — nous ne voulons pas connaître ce qui est étranger. Mais nous sommes tellement fascinés par les cultures extraterrestres que nous imaginons des étrangers extraterrestres, des gens d’autres galaxies. Et beaucoup d’entre nous sommes certains que ces extraterrestres existent et qu’ils entrent en contact avec la Terre depuis longtemps. La différence et l’étrangeté sont exaltantes — en particulier l’étrangeté d’une culture qui est presque aussi vieille que la nôtre, qui n’a que deux mille ans de moins, et qui a produit des étonnements, des merveilles ! Je veux dire, les Japonais et les Chinois ont inventé l’utilisation du thé comme boisson. Ils ont inventé la tasse de thé, la soucoupe, et la fine porcelaine dont ces choses sont faites. Ils ont inventé la théière et la cérémonie du thé. Ils ont inventé toutes ces choses qui, pour des gens comme Voltaire, étaient hypnotiques.

Voltaire a vécu à une époque qui était fascinée par l’Asie, fascinée par l’Inde, fascinée principalement par la Chine, et fascinée aussi par le Japon. Et depuis, nous sommes attirés par la culture asiatique en raison de la différence radicale de l’Est et de la lumière que cette différence a jetée sur notre propre culture. Pour la Thaïlande, en particulier, je ne peux pas répondre à cette question, si ce n’est que la Thaïlande était Ceylan, et Ceylan semble avoir joué un grand rôle dans les Mille et Une Nuits arabes, dans l’histoire de Sinbad le marin. Et jusqu’aux 100 dernières années, Ceylan était un endroit magique, un endroit où des choses étranges et magiques se produisaient.

Grégoire Canlorbe : Clint Eastwood, qui tenait un discours favorable à Trump en 2016, a préféré annoncer son soutien à Michael Bloomberg dans l’élection présidentielle de 2020. À quel point vous reconnaissez-vous dans un tel endossement ?

Howard Bloom : J’espérais que Bloomberg deviendrait le candidat démocrate à la présidence. Bernie Sanders est un homme brillant, notamment pour sa capacité à réduire une plateforme entière à cinq phrases, quelque chose dont Hillary Clinton n’était définitivement pas capable. Et une autre qualité de Bernie est d’être honnête s’il lui est posé une question, comme il y a quatre jours : « Que pensez-vous des Russes, de l’idée que les Russes soutiennent votre élection? », lui a demandé un journaliste. Il est venu à la caméra et a immédiatement déclaré : « Les Russes feraient mieux de se retirer de nos élections ! ». J’aimerais que Donald Trump dise cela. Mais aussi brillant soit-il, Bernie Sanders ne comprend pas le système capitaliste.

Le système occidental, le système que j’ai décrit dans The Genius of the Beast: a Radical Revision of Capitalism, a apporté un miracle matériel après l’autre à la face de cette Terre. Et le système occidental est fondé sur un équilibre entre l’industrie privée, le gouvernement et l’industrie de la protestation. Ou, pour le dire autrement, le génie du système occidental est fondé sur un équilibre entre le socialisme et le capitalisme. Le gouvernement fournit des choses comme les routes et Internet, que le gouvernement a inventé. DARPA (la Defense Advanced Research Projects Agency) a inventé Internet. Vous pourriez appeler cela du socialisme si vous le vouliez. Ensuite, il y a l’industrie de la protestation, dont nous avons parlé il y a une minute : le mouvement pour la paix qui a reçu de Henry David Thoreau en 1848 l’outil de la désobéissance civile ; le mouvement anti-colonialiste et anti-impérialiste qui a eu ses premières conventions mondiales en 1899, et le mouvement écologiste. Et quand vous gardez ces trois éléments en équilibre — l’industrie privée, le gouvernement et l’industrie de la protestation — vous avez un système brillant qui produit des résultats stupéfiants. Mais Bernie ne comprend pas la partie entreprise privée du système. Il ne comprend pas les milliardaires. Il pense qu’il ne devrait y avoir aucun milliardaire.

En ce moment, le programme spatial du gouvernement américain à la NASA est mort — il est absolument en panne. Il dépense d’énormes sommes d’argent, mais il n’accomplit rien, du moins rien en ce qui concerne les humains dans l’espace. Il accomplit des choses merveilleuses quand il s’agit de faire de la science dans l’espace, de la science faite avec un équipement automatisé comme nos Mars Rovers au succès fou. Mais la seule chose qui garde l’espace habité en vie et nous donne de l’espoir pour l’avenir — pour aller au-delà de cette planète, instaurer des villes sur la lune, et instaurer des cités sur Mars — est Elon Musk, un milliardaire, Jeff Bezos, un autre milliardaire, et, possiblement, Richard Branson, un autre milliardaire. Mais cette initiative ne vient pas du tout des gouvernements. Si nous n’avions pas de milliardaires, nous n’aurions pas la moindre chance de jardiner le système solaire et de verdir la galaxie. Nous n’aurions pas la moindre chance d’apporter de l’espace à la vie en apportant la vie à l’espace.

Les premiers milliardaires achètent des choses qu’eux seuls peuvent se permettre. Puis 20 ans plus tard, nous pouvons tous nous les permettre. Mais il faut que les milliardaires percent l’interférence. Il faut que les milliardaires se taillent la prochaine étape, ou du moins, soient là pour payer la prochaine étape. Michael Milken, le gars qui a inventé les junk bonds, a fondé un institut de recherche sur le cancer qui fait un travail très important. Bill Gates finance des choses très importantes sur toute la planète. Nous avons besoin de milliardaires. Franchement, nous n’avons pas besoin de milliardaires qui sont des milliardaires parce que leurs pères ont fait de l’argent, ou leurs mères ont fait l’argent. Nous avons besoin de milliardaires capables de gagner de l’argent eux-mêmes parce que pour gagner ces milliards, ils doivent apporter une contribution majeure à la société. Bernie ne comprend pas cela.

Bloomberg comprend cela. Il a commencé comme un enfant de la classe moyenne et il a construit un empire qui vaut 59 milliards de dollars. Il l’a construit en offrant de nouveaux services et des améliorations sur les anciens services. Il a dirigé et organisé des milliers de personnes. Donald Trump n’a jamais géré beaucoup plus de quatre employés, ou peut-être 10 au plus. Donald Trump dirigeait une très petite entreprise fondée, dans une large mesure, sur le mensonge et la tricherie. Mais Michael Bloomberg l’a fait de façon honnête. Michael Bloomberg est défaillant dans les débats. Mais il a démontré sa plateforme à travers quelque chose de plus important que des mots sur une scène de débat. Il l’a démontré par des actions. Regardez les œuvres de bienfaisance qu’il a soutenues très généreusement au cours des 20 dernières années : diriger le mouvement anti-armes à feu et assurer la formation des enfants noirs du centre-ville qui réussissent mal dans le système d’éducation public.

Ma cousine Deborah Kenny a fondé quelque chose qui s’appelle les Harlem Village Academies, qui acceptent au hasard les enfants dans les rues de Harlem et leur font suivre une éducation qui les aide à entrer à l’université. Puis ses enfants restent à l’université — ils obtiennent leur diplôme. C’est remarquable. Et Bloomberg a financé ces programmes éducatifs. Il a financé toute une organisation anti-armes. Mon neveu a été l’un de ses organisateurs communautaires pour ces groupes anti-armes. Bloomberg a financé des organisations écologistes. Il n’a pas besoin de gagner dans un débat. Il gagne grâce aux actions qu’il entreprend.

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Grégoire Canlorbe : On dit occasionnellement du président Trump qu’il aurait introduit un esprit « punk » en politique. Or Donald Trump s’est imposé comme un homme à femmes ; en tant que président, il s’impose désormais comme un homme de paix, rompant avec la doctrine néo-conservatrice interventionniste, tout en s’efforçant d’instaurer la paix au Moyen-Orient entre les nations sunnites et Israël — et de provoquer la chute des mollahs en Iran. Sous cet angle, n’est-il pas plutôt en accord avec la devise hippie « Faites l’amour, pas la guerre » ?

Howard Bloom : Cela est une façon très intéressante de voir les choses. Nous verrons bien l’impact de ce que fait Trump. Vous savez, l’économie a très bien fonctionné sous Barack Obama pendant les six dernières années du mandat de Barack Obama. Elle a très bien fonctionné pendant les trois premières années de Donald Trump. En fait, il a établi de nouveaux records au cours de ces trois années. Puis est venu le virus COVID-19 et a pris fin la plus longue période de croissance économique de l’histoire américaine. Cependant, l’administration Obama a créé plus d’emplois au cours de ses trois dernières années que n’en a créés l’administration Trump au cours de ses trois premières années. Rappelez-vous la première règle de la science, celle à laquelle j’ai adhéré à l’âge de dix ans, la règle que Michael Jackson incarnait: « La vérité à tout prix, y compris au prix de votre vie. » L’une des choses qui m’importune à propos de Donald Trump est que Trump dit 12 mensonges par jour, et il improvise au fur et à mesure qu’il parle. Il n’a aucune allégeance à la vérité. Et sa vérité change chaque jour — il se contredit. Et je ne peux pas supporter cela — je ne peux tout simplement pas supporter cette destruction de la vérité. Pour moi, une démocratie dépend de la vérité. Il en va de même pour la conquête aboutie du COVID-19.

Je n’ai pas lu le plan de paix de Trump quand il est sorti. J’étais probablement occupé à passer à la radio ou sur un autre média et à travailler sur un autre sujet. Mais avant l’annonce du plan de paix, le plan de Trump était de réunir les Saoudiens et les autres nations sunnites et de les conduire à faire la paix avec Israël afin que les nations sunnites puissent profiter d’Israël en tant qu’allié ; et ainsi, ensemble, ils pourraient affronter l’Iran. C’est exactement ce que l’Arabie saoudite veut faire. Elle veut mener une alliance contre l’Iran. Les Saoudiens ont une peur bleue de l’Iran. En tant que sioniste, je salue vivement la paix avec l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Dubaï, et tous les pays sunnites du Moyen-Orient. Et je suis horrifié que le monde laisse l’Iran s’en tirer en faisant chanter à son peuple dans les rues : « Mort à l’Amérique, mort à Israël », parce que les Iraniens entendent vraiment donner la mort.

Ils ne peuvent pas faire que la mort s’abatte sur les États-Unis avec leurs missiles — du moins pas encore — mais ils peuvent le faire avec Israël très facilement. Et je suis consterné que le monde le tolère quand l’Iran affiche le slogan « Détruire l’entité sioniste » sur les parois de ses missiles pendant ses tests de lancement. Je suis consterné que le monde permette à une nation entière de s’en tirer avec une politique génocidaire ouverte. Donc, ce que fait Trump au Moyen-Orient me semble bien. Le problème est ce qui se passera une fois que Trump sera parti. Bien sûr, Trump n’a aucune intention de partir, et Trump veut être remplacé par son fils Donald, puis par sa fille Ivanka. Mais si Trump doit un jour s’en aller, il y a une telle répulsion contre Donald Trump aux États-Unis que cette répulsion sera également utilisée contre Israël parce que Trump est vraiment un poison dans l’esprit des Démocrates américains. Et je suis un Démocrate et un homme de gauche [liberal]. Il est donc délicat pour moi de reconnaître que Trump a fait certaines choses que j’approuve.

Grégoire Canlorbe : Dans son autobiographie, Billy Idol se remémore sa collaboration avec vous à l’occasion d’un épisode mouvementé de sa carrière. « « Fin février 1987, j’ai recommencé à fumer du crack comme un fou et je me suis retrouvé dans un coup de filet anti-crack de la police à Washington Square, avec une copine, Grace Hattersley. Tout le monde, sauf nous à Manhattan, avait lu dans le journal que, cette nuit-là, il y aurait un contrôle dans le parc. La police ne voulait arrêter que l’un d’entre nous, et Grace a gentiment décidé de tomber à ma place. Un véritable cadeau, parce que j’aurais pu être expulsé si j’avais été arrêté. Malgré tout, cela a fini en première page de tous les journaux new-yorkais. Juste avant cet incident, j’avais eu une réunion avec mon attaché de presse, Howard Bloom, qui m’avait dit qu’il nous fallait un gros événement médiatique pour nous aider à annoncer la tournée, donc le lendemain, quand j’ai vu les gros titres, je lui ai dit : « Alors, qu’est-ce que tu penses de ça comme couverture médiatique ? » Il a répondu, d’un ton exaspéré : « Je ne pensais pas à ce genre de presse. » L’histoire ne s’est pas arrêtée là. Grace a donné une conférence de presse et a déclaré que j’étais son petit ami, ce qui a rendu folle de rage Perri, qui a décidé de faire sa propre conférence de presse pour déclarer que c’était elle, ma véritable copine. Le lendemain du discours de Grace, Perri a fait le sien, déboutonnant son chemisier pour exhiber un soutien-gorge léopard aux photographes, en s’écriant devant le parterre de journalistes : « Je suis la petite amie de Billy Idol. Je sais que ce genre de trucs peut briser des couples, mais nous, nous avons traversé beaucoup de choses. » Point final. Quand j’ai été tête d’affiche au Madison Square Garden, plus tard dans l’année, j’ai commencé le concert par une remarque destinée aux initiés : « De Washington Square à Madison Square », et le public a éclaté de rire. »

Comment vous souvenez-vous de cet incident tragicomique pour votre part? Comment évaluez-vous la situation présente de la carrière de Billy Idol par rapport à celle de Mick Jagger ou Iggy Pop ?

Howard Bloom : Je pense que le livre de Billy est brillant — et il est brillant pour ce qu’il révèle. Ce qui me dérangeait chez Billy était sa consommation de drogues. Et je pensais qu’il ne prenait que de la cocaïne. Mais il s’avère, lorsque vous lisez son livre, qu’il n’était pas seulement sous cocaïne ; il était sous héroïne et sous alcool. Puis, il s’avère également qu’il consommait de la cocaïne épurée [was freebasing cocaine]. En fait, je savais pour la cocaïne épurée. Mais découvrir dans son livre à quel point il était hideusement plongé dans la drogue était horrible pour moi. Et, à travers son livre, voir qu’il s’est sorti de la drogue et peut écrire à ce sujet est, pour moi, admirable. Dieu sait quelle a été ma réponse. Je me souviens vaguement de cet incident dans le parc dont Billy parle, mais la chose la plus importante dont je me souvienne est d’avoir essayé de sauver la vie de Billy et de le sauver de la drogue. Et, espérons-le, nous l’avons fait parce qu’il était sur le point de mourir. Et cela aurait été terrible parce qu’il est en fait un homme brillant. Et il exprime sans nul doute sa personnalité dans un mode de vie éclatant.

Donc, je suis ravi que nous ayons réussi à l’arrêter. Je veux dire, il s’est passé ceci fondamentalement. Ses parents sont venus en ville et j’étais très contrarié par ce qui arrivait à Billy avec la drogue. Et ses parents ont rencontré tout le monde dans son équipe. Et tous les membres de son équipe ont déclaré : « Oh, Billy s’en sort à merveille. Il va vraiment très bien ! », parce qu’ils ne voulaient pas perdre leur emploi. Être associé à Billy Idol signifiait l’argent, et cela signifiait le pouvoir pour eux, quoique cela ne fût pas le cas lorsque j’ai commencé avec Billy. Sa carrière était sur le point de mourir quand j’ai commencé avec lui. J’ai mis en place une stratégie qui l’a essentiellement ramené à la vie et fait de lui une source d’argent et de pouvoir. Mais ses parents recevaient de faux rapports sur Billy. Ils nous faisaient entrer dans la pièce un par un. Alors, finalement, ils m’ont fait entrer dans la pièce où ils étaient assis, et j’ai déclaré : « Votre fils est en train de se tuer et nous devons l’arrêter. »

J’ai expliqué son problème avec la drogue à ses parents et ses parents l’ont éloigné de son manager Bill Aucoin. Bill Aucoin consommait également de la cocaïne épurée et détruirait sa propre carrière avec sa consommation. Fâcheusement, parce que j’aimais travailler avec Bill Aucoin, le manager de Billy — j’aimais cet homme. Mais c’est cette croisade pour sauver Billy de la drogue dont je me souviens le plus dans ma collaboration avec Billy. Je l’ai vu pour la dernière fois il y a environ sept ans lors du Rockin’ Eve du Nouvel An, une célébration du réveillon du Nouvel An à la télévision, ce qui est très important aux États-Unis. J’étais stupéfait. Il avait la même forme physique que du temps où il travaillait avec moi. Il était très musclé. Je veux dire, regardez Christina Aguilera du temps de sa splendeur et à quoi elle ressemble aujourd’hui ; à l’époque, elle avait cette silhouette magnifique, et maintenant, elle est une petite chose ronde et dodue. Et Billy n’a pas du tout succombé à l’âge.

Je n’ai pas entendu ce qu’il fait musicalement aujourd’hui. Ma station Pandora ne me joue jamais Billy Idol. Donc, je ne sais pas à quoi ressemble sa musique de nos jours. J’ai l’impression qu’il est toujours une icône, qu’il est toujours une sorte de force musicale et une sorte de personnalité. Mais je ne peux pas en être sûr car, vous savez, les médias sont fragmentés de nos jours, et je ne suis pas du tout le journalisme musical. Je suis trop occupé à faire de la politique et de la science. J’ai essayé de contacter Billy à quelques reprises, mais je n’ai obtenu aucune réponse. Cependant, j’ai reçu récemment une série de courriels et d’appels de son manager me demandant d’être dans un prochain documentaire sur Billy. Et quand je suis allé à Manhattan pour mener l’entretien, le réalisateur du documentaire a promis qu’il ferait savoir à Billy l’émotion avec laquelle je pense encore à lui. Nous verrons si ce message passe.

Grégoire Canlorbe : Dans votre livre, “The Genius of the Beast”, dédié à percer les mystères de la créativité occidentale, vous avez introduit la notion d’une forme immatérielle de capital — faite de nos rêves prométhéens. Vous l’avez appelée « l’infrastructure de la fantaisie ». La manière dont vous avez eu cette idée avait-elle quelque chose à voir avec la chanson de Billy Idol « Flesh for Fantasy » ?

Howard Bloom : C’est une bonne question. Je ne me souviens pas des paroles de cette chanson. Mais mon concept est de tirer des choses du royaume de la fantaisie vers le royaume de la chair, et de les transformer en réalités, ce que nous, les humains, faisons mieux que toutes les autres créatures sur la surface de la Terre. En fait, à notre connaissance, nous sommes les seuls à avoir des fantaisies. Pendant tout le temps que nous avons passé à étudier le comportement animal, nous n’avons pas vu de fantaisies chez les animaux. Donc, dans la mesure où la chanson de Billy parle du fait de faire passer des choses depuis une fantaisie rebelle vers le royaume de la réalité, je suis tout à fait d’accord. Nous sommes la nature. Et toutes les choses que nous admirons et pensons naturelles sont aussi contraires à la nature qu’elles peuvent l’être.

Prenez un arbre, par exemple. Il y a environ 400 à 600 millions d’années, juste après l’explosion cambrienne, les plantes se sont rendues sur la terre, malgré le fait qu’il s’agissait là d’une proposition tout à fait fantasque. Je veux dire, les plantes avaient besoin d’eau pour survivre. C’était dans l’eau que la vie s’entraidait. L’idée que vous pouviez amener des plantes sur la terre, un endroit avec très peu d’eau, était complètement contre nature. La terre à cette époque était entièrement constituée de roches vierges et les roches étaient hostiles à la vie. La pierre ne contenait pas l’eau dont la vie avait besoin pour maintenir ses cellules vivantes. Après tout, une cellule est majoritairement faite d’eau. Et où alliez-vous obtenir l’eau pour alimenter une cellule si vous laissiez l’océan derrière vous et que vous alliez à la surface de cette roche très dure et impénétrable ? En outre, il y avait les rayons ultraviolets, le changement climatique radical de l’été, de l’automne, de l’hiver et du printemps, et une multitude d’autres menaces sur cette surface stérile et hostile. Arriver sur la terre était pour les premières plantes une proposition impossible — et totalement et complètement contre nature. Et pourtant, les plantes l’ont fait. Et les premières plantes à avoir évolué sur la terre ont pu atteindre environ trois pouces de haut.

Cela fait près de huit centimètres. Mais envoyer « se faire foutre » la loi la plus fondamentale de la nature, la loi de la gravité, et se lever de trois pouces de haut étaient violemment et radicalement contre nature. Et puis sont venus les arbres, et les arbres relevaient encore plus d’un « Va te faire foutre » lancé à la nature. Ils étaient encore plus contre nature. Ils s’élevaient de trente à parfois cent cinquante pieds de haut. Ce qui signifie qu’ils devaient soulever 100 gallons d’eau par jour de la terre vers le ciel juste pour survivre. Cela va totalement à l’encontre de la loi de la gravité. Et rappelez-vous, la gravité est l’une des lois les plus fondamentales de la nature. Donc, si vous et moi étions assis à une table de café au début de l’univers, à l’époque, j’aurais pu vous prouver que les arbres ne pouvaient pas exister. Mais le fait est que la nature progresse grâce aux efforts de ses enfants contraires à la nature — en ayant des enfants qui seront contre nature et la défieront. Et tout ce qui est futuriste dans cet univers — tout ce qui définit l’avenir de l’univers — prend place à travers ces rebelles qui sont contre nature, qui sont aussi contre nature que Joan Jett, John Mellencamp, et Billy Idol levant leurs poings.

Même lorsque nous nous mettons à inventer des technologies, nous ne sommes pas différents des arbres. Je veux dire, les plantes ont inventé la photosynthèse. Cela est radicalement contre nature. Cela signifie prendre des choses qui n’existent pas — des vagues, des impulsions d’électromagnétisme appelées lumière. Ces impulsions ne sont même pas des choses ; elles ne sont pas du tout matérielles. Et les premiers photo-synthétiseurs ont capturé ces photons de lumière et les ont transformés en sources d’énergie pour le processus de la vie. Cela est une technologie, et c’est une technologie radicalement contre nature que de prendre quelque chose qui n’est pas matériel et de le transformer en énergie, une technologie qui récolte une chose immatérielle à des fins matérielles. Les inventions que nous avons faites ressemblent donc beaucoup à la photosynthèse. Elles sont radicalement contre nature, mais seulement dans la mesure où un arbre est radicalement contre nature ou que la photosynthèse est radicalement contre nature.

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Grégoire Canlorbe : Dans Global Brain, vous avez longuement évoqué la lutte immémoriale entre l’espèce humaine, de plus en plus interconnectée, et l’intelligence mondiale des bactéries, virus, et microbes, vous concentrant tout particulièrement sur la confrontation entre le VIH proliférant à l’échelle du monde et le cerveau planétaire des scientifiques dans les dernières décennies du XXème siècle. Voyez-vous l’histoire se répéter avec l’épidémie actuelle du COVID-19 ?

Howard Bloom : Absolument. Les virus et les bactéries, le monde des microbes, ont des pouvoirs créatifs incroyables et des capacités incroyablement adaptatives et font constamment de la recherche et du développement. Et la tâche de l’humanité a été de dépasser le monde des microbes en faisant de la R&D. Il y a quelques années à peine, il fallait deux mois pour séquencer un virus. Et avec le nouveau coronavirus — le virus qui cause le COVID-19 — le séquençage n’a pris que quelques jours. Moins de deux semaines — mais ce n’est pas suffisant. Nous n’avons pas de vaccin pour combattre le COVID-19. Nous n’avons pas de médicament pour traiter ceux pour qui un vaccin est trop tard. Bien que nous testions neuf médicaments existants dans des études en double aveugle. Mais nous devons mettre de l’ordre dans nos travaux de recherche et développement afin de pouvoir vraiment mettre en place un programme accéléré pour trouver un vaccin contre ce virus. En ce moment [février 2020], le COVID-19 nous bat. Il nous dépasse — il gagne la course.

Grégoire Canlorbe : Dans votre élaboration d’une nouvelle version d’une métaphysique athée, une qui mette évidence la communication et l’auto-organisation créatrice « depuis les quarks jusqu’aux humains », vous avez modélisé le cosmos comme un grand bagel. Pourriez-vous nous en dire plus ?

Howard Bloom : J’ai élaboré la théorie du Big Bagel en 1959 alors que je travaillais au plus grand laboratoire de recherche sur le cancer du monde, le Roswell Park Memorial Institute, dans ma ville natale de Buffalo, NY. J’essayais de résoudre le problème CPT en physique théorique. Le problème CPT — le problème de la charge, de la parité, et du temps — est le suivant : si la matière et l’antimatière sont créées en même temps et en quantités égales, où est donc toute l’antimatière ? Donc, imaginez un bagel avec un trou presque inexistant, et au moment du début de l’univers, l’univers matière sort de ce petit trou et se précipite vers le haut du bagel et l’univers antimatière sort du trou par le bas et se précipite vers la partie inférieure du bagel. L’inclinaison de la pente en sortant du trou signifie que l’univers de la matière et celui de l’antimatière s’éloignent très rapidement l’un de l’autre. Et puis, vous arrivez à la bosse du bagel. Et le fait qu’il y ait une bosse signifie que l’univers de la matière et l’univers de l’antimatière ont ralenti. Ils sont à court d’énergie pour les séparer. Mais les univers matière et antimatière parlent un langage commun : la gravité.

Alors ils se mettent à chuchoter entre eux avec leur gravité. Et leur gravité se met à les tirer à une vitesse de plus en plus rapide vers l’extérieur du bagel et l’un vers l’autre jusqu’à ce que l’univers de la matière et l’univers de l’antimatière se rencontrent sur le bord extérieur du bagel, s’annihilent, et deviennent le prochain trou au centre du bagel. Donc, en substance, l’univers est cette grande chose récurrente comme un photon, qui se résume à absolument rien, puis monte à la hauteur de son amplitude et puis, revient à rien encore, puis remonte. Notre univers fait cela. Il s’élève d’abord dans les limites de son amplitude, qui est précisément le bombement du bagel. Et puis, redescend à rien puis remonte à la hauteur de son amplitude. Ou du moins est-ce là ce que dit la Théorie du Grand Bagel.

Grégoire Canlorbe : Merci pour votre temps.

Howard Bloom : Merci pour toutes ces années d’amitié, Grégoire. Cela a beaucoup compté pour moi.

Dans la lignée de “How I Accidentally Started the Sixties”, Bloom a un livre autobiographique “Einstein, Michael Jackson & Me: A Search for Soul in the Power Pits of Rock and Roll” qui sortira en avril 2020. Bloom a également collaboré avec Canlorbe sur un livre d’entretien (actuellement finalisé) synthétisant le voyage Bloomien dans les modèles universels qui façonnent l’histoire cosmique et humaine.

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