Si d’aventure vous avez été déçus des résultats des élections présidentielles et des législatives, sachez que cela est parfaitement normal. Ce n’est pas seulement la faute aux candidats désastreux qui étaient en lice voyez-vous, sachez que vous êtes partiellement fautif.
Halte là, nous le savons, vous vous êtes abstenus, ou vous avez voté pour le moins pire, ou vous avez voté utile ou encore fait le choix du cœur. Brisons là, vous êtes déçu. Et tout comme l’on est responsable de son propre ennui, l’on est aussi responsable de sa propre déception. Car en effet, vous et moi avons la fâcheuse mais néanmoins trop humaine manie d’en vouloir beaucoup pour être satisfait, surtout pour être satisfait de la nature de l’investissement des autres.
Passons en revue les divers blocs politiques ;
– Les communistes souhaitent au plus profond d’eux-mêmes l’abolition du capitalisme et des classes sociales.
– Les écologistes désirent une complète réforme des modes de transports, de l’économie et de l’agriculture, voir même une profonde remise en question mentale de l’Humanité et du rôle qu’elle s’attribue sur la planète.
– Les libéraux souhaitent la non-intervention de l’Etat dans l’économie et dans le plus possible d’éléments du quotidien, quand ils ne désirent pas la suppression de l’Etat.
– Les conservateurs désirent l’ordre et la morale à coup de prohibitions.
– Les identitaires aspirent à la remigration de tous les étrangers.
– Les antiracistes antiblancs désirent l’abolition de toutes formes de racisme et de discriminations envers les “racisés” ainsi que la mise au pilon de toutes les œuvres “problématiques” du passé.
Bref, chacune des communautés bien identifiables aspire à une certaine forme d’absolu, et il y en a qui sont encore plus excitées.
Aspirer à une certaine forme d’absolu est une manifestation de votre humanité ; il se trouve que l’humain est un animal social. Cette faculté de sociabiliser et d’avoir besoin de sociabiliser est à la racine des religions, d’ailleurs le mot religion est pour certains issu d’un verbe latin – religare – qui signifie “relier”. Etre en capacité d’adhérer et de manifester son adhésion à une religion majoritaire ou communautaire fut bien souvent une question de survie pour nos aïeux.
Or il se trouve que les individus sont prêts à manifester leur adhésion à une vision du monde par un fort investissement temporel, pécuniaire ou mental. Ceci est doublement une question de survie personnelle ; survivre en adhérant à un groupe ou garantir sa survie en s’assurant de l’adhésion d’autrui à son groupe.
Je cite ici le livre Le monde jusqu’à hier de Jared Diamond ;
“Une interprétation récente chez certains spécialistes de la religion veut que la croyance en des superstitions religieuses serve à manifester son adhésion à cette religion. Tous les groupes humains durables – les fans des Boston Red Sox, les catholiques fervents, les japonais Kamikazes et d’autres encore – sont confrontés au même problème fondamental, savoir à qui l’on peut se fier comme membre vraiment attaché au groupe.
Plus votre vie est liée à votre groupe et plus il est crucial de pouvoir identifier correctement les vrais membres du groupe et ne pas être dupe de quelque hypocrite en quête d’un avantage temporaire au prétexte qu’il partage vos idéaux. Si cet homme qui porte un fanion des Boston Red Sox, et que vous avez accepté comme fan de l’équipe, acclame soudain les New York Yankees qui ont marqué un point, vous en conclurez à sa fourberie, mais pas au fait qu’il est une menace pour votre vie, à l’encontre d’un soldat, qui en pleine attaque ennemie, jetterait son fusil ou le retournerait contre vous.
C’est pourquoi l’affiliation religieuse implique tant de manifestations coûteuses pour démontrer la sincérité de l’engagement personnel. La plus assurément convaincante pour les autres adeptes est d’épouser quelque croyance irrationnelle qui contredit l’évidence des sens de quiconque n’en est pas ; affirmer que le fondateur de votre Eglise à été conçu par une relation sexuelle normale entre son père et sa mère, chacun vous croira à commencer par ceux qui n’appartiennent pas à cette Eglise. Le bénéfice d’appartenance sera donc nul ; mais soutenez que ce même fondateur est né d’une vierge et que rien en vous n’a pu ébranler cette conviction irrationnelle, alors vos coreligionnaires y verront un vrai signe d’appartenance au groupe.”
Ici il est certes question de religion mais cela a beaucoup à voir avec la politique, les mécanismes sont les mêmes, d’autant plus que la religion est largement hors-jeu dans notre pays.
On a vu dans l’introduction quelles étaient les croyances irrationnelles de nos divers blocs ; abolition de l’Etat, des classes sociales, remigration intégrale, prohibitions efficaces, suppression d’instincts tel que les préjugés et la xénophobie. Ce sont des objectifs irrationnels, et le militantisme pour ces divers objectifs n’est que le témoignage d’une forte croyance envers le projet de société porté par le groupe.
Montrer son adhésion aux croyances irrationnelles du groupe que l’on intègre et demander à autrui de faire de même permet en théorie de s’intégrer à son groupe politique et par conséquent d’obtenir des garanties, et ce bien que cela présente un certain nombre de risques sécuritaires et professionnels. Des garanties qui semblent très importantes, puisque à en lire certains ils jouaient littéralement leurs vies durant ces élections et l’avenir du monde se jouerait aussi dans les isoloirs.
Citons encore une fois Jared Diamond ;
“Revenons un instant sur ce thème largement abordé. Les croyants passent leur vie entre eux et comptent sur le soutient de chacun dans un monde où beaucoup de gens, voire la plupart, adhèrent à d’autre fois, peuvent se montrer hostiles à leur religion ou sceptiques à l’égard de toutes. Dans certains cas, sécurité, prospérité et existence dépendront de la capacité à identifier correctement les vrais coreligionnaires et à les convaincre qu’ils peuvent se fier à eux. Seuls des signes visibles et coûteux en engagement peuvent alors signifier la profondeur de la foi ; temps non compté pour apprendre et pratiquer régulièrement rituels, prières et cantiques, et pour entreprendre des pèlerinages ; engagements importants de ressources, entre autres en argent, dons et animaux sacrifiés ; épouser publiquement des croyances rationnellement invraisemblables ; et subir ou montre en public des signes de mutilations corporelles douloureuses et permanentes, comme se couper jusqu’au sang des parties sensibles du corps, subir des opérations qui déforment vos parties génitales et s’amputer des phalanges.
Pour la même raison essentiellement, les biologistes évolutionnistes reconnaissent que de nombreux signaux chez les animaux aussi (comme la queue du paon) ont évolué de façon coûteuses précisément parce que cela les rends crédibles. Quand une paonne voit un mâle faire largement la roue devant elle, elle peut être sûre que, capable de croitre et de survivre avec un tel attribut, il doit réellement avoir de meilleurs gènes et être mieux nourri qu’un autre mâle avec une petite traine de plumes.”
Pour les animaux, exhiber des attributs pouvant être néfastes du point de vue des dépenses énergétiques et de la mobilité face aux prédateurs se révèle finalement payant face à une partenaire sexuelle tel que nous le confirme la théorie du handicap formulée par le biologiste Amotz Zahavi, qui se veut toutefois remise en cause par certains chercheurs. Dans le cas d’un être humain il lui faut arborer des attitudes et signes visibles et coûteux pour montrer qu’il est un vrai adepte du groupe et donc espérer survivre et à terme avoir une descendance. La séduction d’ailleurs passera là aussi par un étalage d’handicaps personnels librement consentis destinés à prouver à l’objet de désir que l’on est effectivement capable de prendre des risques ou d’effectuer des sacrifices financiers pour donner la plus belle impression. De ce point de vue la frénésie consumériste qui agite bien des hommes mûrs n’est pas une “crise de la quarantaine” mais plutôt une démonstration d’endurance destinée aux jeunes femmes entrées depuis peu dans l’âge nubile.
Il est rare que l’on prie publiquement ou que l’on se coupe une phalange pour la femme que l’on désire rejoindre dans son lit et il est encore plus rare de faire cela pour son candidat, certes. Cependant convaincre et, au-delà de cela, militer en ligne ou dans la rue pour son candidat est coûteux en temps, en énergie et peut aussi comporter son lot de risques. En premier lieu il y a le risque d’être licencié à l’instar de Kuzmanovich du parti République Souveraine ou d’être agressé à l’occasion de son militantisme. On peut voir son visage circuler sur les réseaux sociaux et susciter le rire de foules hostiles en raison de son physique, de son patronyme ou de l’esthétisme des affiches sur lesquelles on est représenté. De même si l’on milite anonymement, on peut aussi voir ses informations personnelles être dévoilées par des adversaires malintentionnés. Enfin, dans un cadre plus officiel, on peut être carrément exploité par la hiérarchie des milieux associatifs que l’on rejoint, et ce de diverses manières, les salariés du Média géré jadis par Sophia Chikirou, la compagne de Mélenchon, en savent quelque chose, le livre de Thomas Guénolé est éloquent à ce sujet.
J’imagine que certains voient dans les avantages théoriques de l’engagement – victoires, rencontres, solidarité en cas de précarité – une certaine forme de récompense pour le militantisme et la foi manifestée, mais tous ne sont pas prêts à courir de tels désagréments sans avoir de garanties, ni à accepter des risques tel que l’agression physique ou la prédation sexuelle, par exemple. Il n’est donc pas étonnant que la proportion de militants de tous bords parmi les blocs est très réduite, et que de fait, forts de leur foi et de leur enfermement dans une bulle théorique ils soient aussi très prompts à demander l’impossible tant à leur direction qu’à leurs comparses, et ce plus encore que les électeurs passifs.
Notons qu’ils existent des sites de dating entre militants, comme quoi la biologie rejoint ici comme très souvent le politique. Sur ce, ne désespérez pas de l’offre politique actuelle ni de ses militants, car comme tout ce qui est biologique, le vide lui fait horreur et il y a de la recomposition permanente. Ainsi comme le dirait Ian Malcolm “La vie trouve toujours un chemin”.
Et la vie pourrait se révéler agréable dans le futur. Si aujourd’hui comme hier des instincts grégaires font faire tout et n’importe quoi aux individus – des pèlerinages au faux port de bracelet électronique – nous avons un aperçu avec les mœurs victoriennes de ce que les mécanismes de recherches d’un groupe à intégrer peuvent produire.
Il était dans les mœurs d’y être policé, agréable, cultivé tout en feignant l’humilité. Voilà qu’elle pourrait être l’épure des foules idéales lorsque ces mœurs se conjugueront avec les impératifs contemporains tels que la pratique du sport, la recherche de l’esprit critique, la confiance sereine dans la technologie et la science.
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Le podcast n’est pas celui de l’article.
Il y a une erreur sur le titre mais c’est le bon podcast