Lumières Sombres et Science du Secret

Notre auteur Marquis de Turgolibéralie s’est fendu d’un thread visant à démanteler la pensée NRx, en prenant quelques détours pour jeter une crotte de nez à ce pauvre Philippe Fabry, qui n’avait rien demandé. L’auteur donne explicitement sur quels textes il s’appuie pour effectuer sa critique. Il a lu les séries principales de Moldbug dans leur version originale (dommage, c’eut été une bonne occasion de faire la promotion du magazine qui les traduits en français, mais je comprends la volonté de garder un thread le plus court possible ؟) ; A Gentle Introduction to UR, Open Letter to Open Minded Progressists, How Dawkins got Pwned ainsi que d’autres textes autour de Carlyle. Cela lui permet d’obtenir une vision plutôt adéquate de la pensée de Yarvin, même s’il commet quelques erreurs triviales. En revanche, il commet une erreur de compréhension bien plus fondamentale quant au rapport de la néoréaction avec la science, qui n’est pas sans faire écho à l’échange qu’Elon Musk avait eu avec Yann LeCun. Ce n’est d’ailleurs pas anodin que le Marquis s’en prenne à Musk et défende LeCun au sein de ce thread. Le Marquis voudrait que la droite devienne scientifique et que le gouvernement soit gouverné par la science, ou plutôt la Science.

La perception du Marquis de la pensée de Yarvin, est celle d’un “Roi Philosophe” qui n’aurait que faire de la science et préférerait “s’enfiler en intraveineuse de la philo absconse pour éviter d’être concret”. Ses lectures n’entretiendraient aucun lien avec la réalité et l’amèneraient à formuler une critique de la démocratie, qu’il déteste, en imaginant être le premier à se lancer dans l’exercice sans avoir fait un “état de l’art”. il suppose que sa critique s’appuie sur celle de Hoppe, en réalité Yarvin est très explicite quant à sa parenté idéologique avec ce dernier et une citation célèbre de Hoppe est “La démocratie est une variante douce du communisme, et rares sont les moments dans l’histoire des idées où elle a été perçue différemment.” Yarvin ne prétend pas avoir découvert les problèmes de la démocratie et il est bien conscient que l’histoire est traversée de ces critiques. Il les a lus, il en recommande la lecture. De plus, il dit bien que s’il devait choisir entre les démocraties libérales, le communisme et le nazisme, il choisirait les démocraties libérales et que ce dont elles souffrent aujourd’hui est le manque de point de schelling, c’est-à-dire de meilleures alternatives existantes. Voilà qui répond à la question du Marquis se demandant pourquoi les NRx ne se posent pas la question de savoir pourquoi la démocratie perdure (la réponse est pourtant dans les textes mentionnés).

Par philosophie absconse, on pointe souvent du doigt la philosophie continentale, dont les têtes de proue sont en grande partie des philosophes allemands du XIXe siècle ; Kant, Hegel, Schopenhauer, Nietzsche, Husserl, Heidegger, Deleuze, Foucault… Contrairement à la philosophie analytique qui regroupe des auteurs comme Frege, Russel, Whitehead, Wittgenstein, Carnap, ou encore Popper. Par extension, il est amusant de remarquer que l’on pourrait associer, a posteriori, Platon à la philosophie continentale et Aristote à la philosophie analytique. Les individus ne jurant que par la science auront tendance à favoriser la philosophie analytique et aller jusqu’à mépriser la philosophie continentale – Je suis à peu près sûr que la sociologie du Marquis l’amènerait à choisir Aristote contre Platon si on lui demandait de n’en garder qu’un. Le souci de la philosophie continentale est qu’elle entend traiter des problèmes les plus abstraits, qu’elle crée ses propres termes à cette fin, et qu’elle n’explicite jamais ses connexions avec la science. Il est évident que la pensée de Nietzsche est influencée par la thermodynamique qui est contemporaine de son époque, mais à aucun moment ce dernier n’y fait explicitement allusion. Le danger d’une telle approche – et ce sera le thème principal de cet article – est de se dégager d’une boucle de rétroaction avec la réalité, qui amène à une position autoréférentielle qui n’a plus de valeur. En revanche, cette remarque adressée à Yarvin de la part du Marquis est très mal venue, car il partage la même réticence envers la philosophie continentale et c’est même la raison pour laquelle il n’a jamais lu les écrits de Nick Land. Il est vrai que Nick Land est imprégné de philosophie continentale. On pourait dire qu’au sein de la néoréaction, Aristote vient avant Platon, c’est Yarvin qui écrit en premier et Nick Land qui suit – ce serait toutefois oblitérer les écrits passés de Land commencés dès les années 90. C’est un reproche que les zététiciens comme le Marquis et Hassan m’adressent aussi régulièrement, et je leur montre comment mes propos sont falsifiables, mais il y aura toujours un blocage chez ces gens-là à l’égard de la philosophie continentale, peu importe le degré de science sur lequel elle s’appuie.

En revanche, Yarvin, lui, partage leur cadre de pensée. Lorsqu’il émet une critique du réchauffement climatique en 2009 dans sa série A Gentle Introduction to UR, son scepticisme porte sur la capacité des modèles à prédire l’avenir, car c’est une méthode difficilement falsifiable.

Le RCA est le résultat d’un effet décrit par Arrhenius à la fin du 19ème siècle, dans lequel le CO2 dans l’atmosphère réfléchit le rayonnement infrarouge sortant vers la terre. Il n’y a pas de litige quant à l’existence de cet effet, ou aux niveaux croissants de CO2 dans l’atmosphère terrestre, ou au fait que cette tendance est produite par les gens qui brûlent des combustibles fossiles.

[…]

Et quelle augmentation de température cela causera-t-il ? La réponse à cette question est appelée la sensibilité climatique — la fonction qui relie une augmentation du rayonnement entrant à une augmentation de la température atmosphérique. (Le lien renvoie à un site négationniste, mais il n’y a pas de débat sur le concept.) Quelle est la meilleure estimation scientifique de la sensibilité climatique de la Terre ? Reportons cette question pour un moment. Elle nous oblige à définir la science. Ou la Science. Ici, malheureusement, nous devons nous séparer de Joe Romm. Sa définition de la Science est claire. La Science est ce qui est fait par les scientifiques. Les scientifiques sont des personnes employées, avec le titre de professeur, par les universités. Les universités sont accréditées par Washington. Par conséquent, la Science, dans l’esprit de Joe Romm, peut être définie comme la vérité officielle. Gardons la majuscule pour celle-ci. Notez que si nous remplaçons Science par Scriptures et scientifiques par ministres, nous revenons dans la colonie de la baie du Massachusetts. Nous avons réduit la méthode scientifique à l’énoncé suivant : Washington a toujours raison. Mais sûrement, même le sage qui nous a donné “ASS-whole” n’est pas assez grossier pour approuver ce principe.

L’explication conventionnelle de pourquoi la science, avec un s minuscule, fonctionne si bien, est due à Karl Popper et son concept de falsifiabilité. Des forêts entières ont été abattues sur cette question, mais ici à UR, nous avons une interprétation très simple de la falsifiabilité, que nous allons maintenant partager.

[…]

Il n’y a tout simplement pas de moyen scientifique de vérifier ou de falsifier la précision d’un tel logiciel. Il n’est pas pratique de perturber le climat de la Terre, de perturber le climat de votre modèle, et de tester qu’ils réagissent tous les deux de la même manière. Et il n’y a pas d’autre moyen de tester un modèle. À la fin, tout ce que vous avez, c’est une courbe qui enregistre la température passée, et un logiciel qui génère la température future. Peut-être que si nous pouvions regarder les courbes prédites et réelles correspondre pendant un siècle ou deux, nous pourrions générer quelque chose comme une signification statistique. Mais nous ne le pouvons pas. Et la rétroprojection – adapter les modèles aux données du passé – surajuste, et est complètement inutile.

[…]

Nous avons donc deux définitions, et notre question à 64 000 dollars : la Science est-elle de la science ? C’est-à-dire : la vérité officielle du RCA, qui revendique la haute crédibilité produite par la falsifiabilité poppérienne dans un système fonctionnel de rétroaction critique, est-elle en fait justifiée à revendiquer cette crédibilité ? La réponse est facile : non. Pour comprendre l’impact de l’augmentation du CO2, nous devons connaître la sensibilité climatique. Q : comment les scientifiques, du moins les scientifiques poppériens, peuvent-ils évaluer la sensibilité climatique ? R : ils ne peuvent pas. Il n’y a pas de procédure falsifiable qui puisse estimer la sensibilité climatique. Pour estimer la sensibilité climatique, il vous suffit d’avoir un modèle précis de l’atmosphère terrestre. De même, pour aller à Alpha Centauri, il vous suffit de sauter très haut. La différence entre la puissance de calcul que nous avons et la puissance de calcul dont nous aurions besoin pour modéliser avec précision l’atmosphère terrestre est comparable à la différence entre mon saut vertical et la distance à Alpha Centauri. À toutes fins pratiques, la modélisation du climat est l’équivalent de la prédiction des tremblements de terre : un problème insoluble.

Curtis Yarvin, Une introduction en douceur à UR

Yarvin critique la capacité des modèles à obtenir le titre de connaissance scientifique, car un modèle est nécessairement une représentation simplifiée d’un système ou d’un phénomène complexe. Plus le système est complexe et plus il y a de paramètres à prendre en compte, plus il sera difficile d’obtenir un résultat en adéquation avec la réalité. Yarvin est réellement un climato-sceptique selon l’acception que le mot sceptique recouvre dans son rapport à la zététique. Les doutes de Yarvin quant à la capacité des modèles à prédire le futur reposent sur la méthodologie et non les résultats eux-mêmes. Yarvin établit une distinction entre la Science (avec une majuscule) qui est la façon dont des sceintifiques vont participer à former un message politique, et la science (avec une minuscule) qui est la méthode scientifique. On pourrait les séparer entre la science-politisée et la science. Yarvin défend la science en tant que discipline contre la science-politisée des experts qui peuvent être soumis à des incitations extérieures et servir à façonner ou porter un discours politique. Ce n’est pas toujours le cas, mais il dit que c’est une dérive possible. On observe parfois une intervention de considérations politiques venant interférer avec la connaissance scientifique.

On l’observe par exemple sur les bloqueurs de puberté ou sur les questions raciales. Cela repose plus souvent sur le fait de ne pas publier une étude pouvant avoir un impact jugé négatif, plutôt que publier quelque chose de faux, mais cela témoigne de l’intervention du politique au sein de la science. À tout le moins, d’un point de vue moral. Est-ce le cas pour le réchauffement climatique ? Est-ce qu’il y aurait une incitation naturelle à publier des études allant dans le sens de ce discours et se garder de publier des études minimisant ce phénomène ? Ce n’est pas impossible, c’est même facile à imaginer, mais ce n’est pas parce que cela existe dans un domaine que cela existe dans tous les domaines, et la Cathédrale aura toujours plus à gagner à s’appuyer sur des connaissances réelles allant dans son sens autour desquelles elle va construire son discours politique. Je ne crois pas que les données publiées souffrent de compromission, mais il est évident que cette connaissance fait l’objet d’un intérêt politique qui éveille les soupçons de Yarvin. Comme le Marquis le mentionne, Yarvin écrit cela en 2009 et on peut lui accorder le manque de recul nécessaire. Aujourd’hui, en 2024, on peut voir que les modèles de 2009 étaient plutôt en accord avec la réalité, mais Yarvin nous disait déjà à l’époque qu’il faudrait une précision avérée sur 100 ans pour avoir un recul satisfaisant. On peut discuter de combien d’années suffisent pour estimer que nous avons assez de recul, mais on ne peut pas discuter de la pertinence du propos de Yarvin. Sabine Hossenfelder a elle-même dit récemment que, bien que nous avions des modèles il y a déjà 50 ans, rien ne nous permettait de savoir s’ils étaient corrects et d’agir en fonction. Seul le temps peut les valider. La précaution de Yarvin souhaitant conserver un esprit critique me semble plutôt faire honneur à la discipline scientifique, car l’inverse revient à exiger d’offrir une confiance aveugle aux experts, alors même qu’on observe l’intervention avérée de l’aspect politique dans certains domaines.

Si Yarvin observe des mécanismes conduisant la Cathédrale à effectuer des transferts de sommes copieuses pour des projets sans fondements autour du réchauffement climatique, il n’en conclut pas pour autant que l’ensemble des scientifiques produisent des contre-vérités car appartenant à la Cathédrale. La Cathédral a d’ailleurs plus intérêt à faire reposer ses détournements d’argent sur des choses vraies et à s’appuyer sur des gens brillants. Il dit bien que la Cathédrale attire les gens les plus brillants, qu’elle a raison sur 90% des connaissances, mais qu’elle se trompe sur quelques sujets qui compromettent sa vision du monde. Les sciences dures ne font pas l’objet de la critique de Yarvin pour une seule et bonne raison, leur lien étroit avec la réalité. Même lorsqu’il propose ces trois sujets d’erreurs potentiels que sont le réchauffement climatique, la politique monétariste keynésienne et la supposée égalité cognitive des individus, il précise que le temps lui donnera peut-être tort sur le réchauffement climatique. Sa critique se concentre surtout en réalité sur les sciences humaines, pour les raisons mentionnées plus haut, leur capacité à produire un discours autoréférentiel qui n’entretient plus de connexions avec la réalité, mais qui va pourtant servir de socle pour proposer des directives politiques. Car c’est cela qui dérange Yarvin tout particulièrement dans le gouvernement des experts, c’est leur capacité à formuler des directives imposées à tous. Le sujet importe alors assez peu, le principe que Yarvin propose s’est vu vérifié avec l’exemple de ce qu’il nomme la HNU qui désigne l’égalité cognitive des humains. Les connaissances autour de ce sujet n’allant pas dans le sens de la Cathédrale, nous avons observé de nombreux journaux scientifiques faisant passer la morale avant la vérité scientifique en affirmant leur attachement à combattre le racisme systémique, ainsi que des quotas d’embauche, d’entrée à l’université, de représentation dans les films, etc. Plus le décalage entre le discours dominant et la réalité est évident, plus le pouvoir se révèle. Ce décalage est simplement plus large autour du sujet de la HNU que du RCA.

Alors pourquoi le Marquis dit que ses idées sont identiques à celles des gauchistes ? Selon lui, son idée de la Cathédrale n’entretiendrait aucun lien avec la réalité. Ah bon ? Je ne sais pas. On peut évaluer la pertinence de cette idée à la façon dont elle est traitée par le système mis en cause. Si Yarvin était aujourd’hui invité sur tous les plateaux télés pour venir expliquer ses idées, alors elles n’auraient aucune valeur puisque cela prouverait, de facto, que le système qu’il prétend avoir identifié n’existe pas. C’est d’ailleurs pour cela que les idées de gauche sont une farce, puisqu’elles prétendent à l’existence d’un système en place qu’elles combattent alors même qu’il lui déroule le tapis rouge. Ce n’est pas le cas de Yarvin ou Nick Land qui sont blacklistés et dont les idées sont systématiquement tronquées par ce même système. Si cela ne suffit pas à valider ses idées, cela suffit à tout le moins à le différencier des travers de gauche. D’autre part, il suffit d’avoir vu la couverture des élections de 2016 aux USA et 2017 en France pour avoir vu ce système en plein jour.

Ainsi, nous voyons toute l’horrible image se fusionner. C’est Cthulhu. Nous ne vivons pas seulement dans quelque chose qui ressemble vaguement à une théocratie puritaine. Nous vivons dans une véritable, authentique et fonctionnelle, bien que guère saine, théocratie puritaine du XXIe siècle. 

Cela signifie que vous pouvez difficilement faire confiance à vos croyances. Vous avez été éduqué par ce système, qui prétend être une machine à vérité mais qui n’en est clairement rien. Puisque les États-Unis ne sont pas l’Union soviétique, les faits scientifiques durs — physique, chimie et biologie, sont peu susceptibles d’être erronés. Mais l’Union soviétique s’en est en réalité plutôt bien sortie avec la science dure. 

Mis à part cela, vous n’avez aucune raison rationnelle de faire confiance à quoi que ce soit provenant de la Cathédrale — c’est-à-dire des universités et de la presse. Vous n’avez pas plus de raisons de faire confiance à ces institutions qu’à, disons, le Vatican. En fait, elles sont motivées pour vous induire en erreur de manière que le Vatican ne l’est pas, car le Vatican n’a pas de liens profonds, troubles et intéressés dans la bureaucratie de Washington. Elles prétendent être des machines à vérité. Pourquoi ne le seraient-elles pas ? 

La Cathédrale, avec son union informelle de l’Église et de l’État, est parfaitement positionnée. Elle a tous les avantages d’être un bras formel du gouvernement, et aucun des inconvénients. Parce qu’elle formule la politique publique, elle est considérée comme notre organe de gouvernance ultime, mais elle ne porte certainement aucune responsabilité quant au succès ou à l’échec de ladite politique. De plus, elle arrive à programmer le petit ver qui est inséré dans la tête de chacun, à partir de l’âge de cinq ans et jusqu’à la fin des études supérieures.

Curtis Yarvin, Introduction en Douceur à UR

Yarvin ne discrédite pas la science en tant que méthode, il a entièrement confiance en la science comme moyen de découvrir la vérité, contre les travers humains dont les scientifiques ne sont pas exclus. Mais deux visions de la science s’opposent ici, et elles furent mises à la vue de tous dans la discussion entre Musk et LeCun, où LeCun soutenait que, pour qu’une connaissance relève de la science, elle doive nécessairement faire l’objet d’une publication soumise à la révision des pairs. Ce qui ne manqua pas de faire rire Elon Musk, car cela signifie qu’un individu seul, faisant des expériences en suivant la méthode scientifique validées directement dans le monde réel ne ferait pas de la science. Plus encore, dans le cas qui importe à Musk, selon l’énoncé de LeCun, un individu qui suivrait la méthode scientifique dans le but d’obtenir une connaissance qu’il ne souhaite pas partager, ne ferait pas de la science. Cela me semble difficilement soutenable. On pourrait finalement distinguer ces deux positions sur la science entre la science du consensus et la science du secret. Yann LeCun et le Marquis considèrent qu’une connaissance est scientifique à partir du moment où la méthodologie est appropriée et que des experts l’ont révisée et validée, se dirigeant ainsi vers un consensus. La position de la NRx veut de son côté qu’une connaissance n’est pleinement valable qu’à partir du moment où elle est validée par la réalité elle-même. Nick Land l’explicite très bien.

La première thèse essentielle concernant les sciences naturelles — ou la “philosophie naturelle” autonome — est qu’elles sont un phénomène exclusivement capitaliste. L’existence de la science, en tant que réalité sociale effective, est strictement liée à des époques et des lieux où certaines structures fondamentales de l’organisation capitaliste sont dominantes. La science dépend, par définition, d’une forme moderne de concurrence. Autrement dit, il ne peut y avoir de science sans un mécanisme social efficace d’élimination des échecs, basé sur des critères extra-rationnels, insensibles à la manipulation culturelle.

L’échec d’une entreprise ou d’une théorie scientifique ne peut, en fin de compte, être réglé par le consensus. Aucune décision politique, fondée sur la persuasion ou l’accord collectif, ne peut résoudre la question. Bien sûr, une grande partie de ce qui est qualifié de science et d’entreprise capitaliste est parfois soumise à ces formes de résolution, mais dans ces cas, ni le capitalisme ni la science ne sont véritablement effectifs. Lorsque le pouvoir définit la viabilité, la concurrence est étouffée et la véritable découverte se trouve paralysée.

Dans le cadre d’un processus capitaliste pleinement libre, les entreprises et les théories ont une double nature : leur formulation est mathématisée, et leur efficacité est mise à l’épreuve dans la réalité, ou dans une performance exempte de toute influence politique. Les mathématiques réduisent la rhétorique à l’échelle du signe en communiquant des résultats expérimentaux — sans nécessiter aucun consensus — qui valident leur pertinence concurrentielle. Ce n’est pas un hasard si, en l’absence de soutien d’institutions conformistes, les entreprises et théories capitalistes renouent avec la logique de la guerre et de la décision militaire, qui les a accompagnées dès leur origine à la Renaissance. Une défaite militaire ne se négocie pas. Ce n’est que lorsque le besoin de débat est écarté — c’est-à-dire lorsque le capitalisme commence véritablement — que la contrainte militaire devient inutile.

Le capitalisme fonctionne lorsqu’il n’y a plus de discussion. Une entreprise ou une théorie est simplement détruite (ou non). Si les calculs sont faux, c’est terminé. La rhétorique politique n’a alors aucune place. La “science politisée” n’est plus de la science, tout comme une économie politisée n’est plus du capitalisme. Comprendre l’un ou l’autre implique d’accepter cette réalité.


Nick Land, Science

Comme le fait remarquer le Marquis lui-même, même un individu aussi brillant que Steve Jobs n’est pas à l’abri de prendre des décisions stupides. La position du Marquis est donc de dire que, pour se prémunir de ce danger, il convient de s’en remettre aux experts formulant un avis reposant sur le consensus scientifique. La finalité d’une telle pensée est que le gouvernement peut être gouverné par la science et dans ce cas, il est alors possible de mettre en place des politiques mondiales forçant tous les pays à suivre la même voie. La science, et les experts, deviennent donc un moyen d’imposer des choix politiques aux autres, donc d’avoir un contrôle sur eux. Or, tout moyen permettant d’exprimer sa puissance, c’est-à-dire d’exprimer son contrôle sur les autres, sera utilisé à cette fin. La science étant par définition un domaine qui se révise lui-même pour générer la connaissance, que se passera-t-il si le pouvoir d’une personne repose sur une connaissance obsolète ? Évidemment, il quittera son poste… non. Il tentera d’entretenir le mensonge qui l’a placé ici, quitte à dévoyer la science.

C’est ainsi que toute science qui devient politisée, n’est plus de la science et que les domaines souffrant le plus de la crise de réplicabilité sont ceux qui permettent le plus de façonner les directions politiques. Le débat est inutile, car des personnes ont intérêt à entretenir un mensonge. Cela arrive aussi au sein de compagnies privées, mais les actionnaires ont un intérêt direct à trouver la vérité alors qu’un président élu démocratiquement peut lui-même avoir un intérêt à entretenir le mensonge qui lui a permis d’être élu en premier lieu. Un gouvernement efficace ne serait pas dispensé d’utiliser des experts, mais cela ne donnerait pas lieu à des débats ayant pour but de mettre en place des politiques à l’échelle nationale ou mondiale. Les gouvernements privés utiliseraient au contraire la connaissance comme un secret leur permettant d’être plus efficaces que les autres. Si vous connaissez la date du pic pétrolier, plutôt que d’alerter le monde entier, vous travaillez d’arrache-pied pour trouver une alternative. Vous avez une étude mettant en avant combien la diversité est une chance, ne l’imposez pas aux autres, gardez jalousement ce secret et recrutez directement à Bamako. La décroissance est la clef du bonheur ? Laissez les autres se battre pour les dernières gouttes de pétrole et mettez la en place. Ils seront bien attrapés. La science n’a de valeur que dans le lien qu’elle entretient avec la réalité, si vous possédez une connaissance scientifique réelle, les autres n’auront d’autres choix que de s’aligner dessus sans les forcer. La meilleure façon de découvrir ce qui est vrai est de passer le test de la réalité et à ce petit jeu, le capitalisme est roi. En attirant l’attention sur un problème, un activiste, recherchera le pouvoir que cela lui procure sans la responsabilité de le résoudre, en faisant pression sur un gouvernement qui aura la responsabilité de le résoudre sans l’incitation directe à le faire, car le gouvernement démocratique n’est pas soumis à la compétition.

Ainsi, si nous sommes soumis au bon vouloir de Steve Jobs décidant tout, tout seul, il y a un risque, si nous sommes soumis au bon vouloir d’une bureaucratie d’experts, il y a peut-être moins de risque, mais ils ne sont pas à l’abri de se tromper. Dans les deux cas, si ceci est porté à l’échelle mondiale, s’ils se trompent, on tombe tous en même temps. Le vrai danger, est le manque d’alternative. Mais qu’est-ce qui serait dans l’intérêt de Steve Jobs de mettre en place s’il avait le contrôle total sur le monde ? Une politique au doigt mouillé ? Non, il s’entourerait sûrement d’experts. Est-ce que ces experts auraient réponse à tout ? Non, il y a une nécessité de découvrir les choses par essai-erreur. Dans le monde du numérique, on use régulièrement de tests A/B afin d’identifier ce qui fonctionne le mieux et valider nos hypothèses. Alors comment Steve Jobs gérerait-il le monde ? Il y a fort à parier qu’il appliquerait ce procédé, c’est-à-dire, mettre en place un système de patchs permettant les tests A/B. Il aura aussi tout intérêt à traiter cela de façon décentralisée et déléguer la tâche de gérer chaque patch à d’autres individus.

Comment faire en sorte que le gouvernement soit dirigé par la science ? L’alternative est le capitalisme et le patchwork. Les patchs (ou les pays) qui obtiendront la meilleure vision de la réalité auront un avantage concurrentiel. Ils pourront engager des experts travaillant sur des modèles simulant l’évolution du climat, mais cela aura pour but de leur offrir un avantage concurrentiel dans leur façon de gérer leur patch. Ils anticiperont mieux la transition écologique, leur patch gagnera en valeur et les autres voudront comprendre pourquoi et ils les immiteront. Ou du moins, ils tenteront d’avoir la vision du monde la plus adéquate en reposant sur les meilleures données possibles, mais en dernière instance, il y a toujours une part d’incertitude. C’est précisément là où réside la valeur. L’incertitude est de l’information manquante, de l’entropie. Les patchs qui s’en sortiront le mieux seront les plus capables à résoudre l’incertitude, donc à réduire localement l’entropie et trouver de “l’Ordre en tant qu’Information” comme le dit le Marquis. Parce qu’il y aura toujours une incertitude, on ne peut pas gouverner par la science seule. Qu’est-ce que cela signifie de transformer l’information en ordre ? Il y a en fait deux sciences, celle de l’intérieur du patch et celle de l’extérieur, le patchwork. Celle de votre système et celle du méta-système. La science de l’intérieur est rationnelle et sert à mettre le maximum de chances de son côté, mais il faut nécessairement faire des choix pour lesquels la science n’a pas de réponse et naviguer dans cette incertitude. La décision finale revient à un leader qui doit prendre la décision dans cette incertitude en toute responsabilité. C’est pourquoi le plus important pour un leader est le thymos. Qui jugera de ses choix ? en dernière instance cela revient au capitalisme favorisé par l’organisation en patchwork, c’est-à-dire la réalité. Ce faisant, on crée de nouvelles données exploitables pour les générations futures, plus d’information dirigeant l’ensemble du patchwork vers plus d’ordre, mais pas tous les patchs. L’idée est d’apprendre des patchs qui échouent. Pour ce qui est de la science de l’extérieur, cela dépasse la raison. Tout le but du scientifique est de faire passer la connaissance de l’extérieur à l’intérieur pour l’amener dans le champ de la raison. La science de l’intérieur est dans les mains des scientifiques, la science de l’extérieur appartient au patchwork lui-même. L’aspect scientifique est alors intrinsèque au patchwork. Il ne repose cependant pas sur le consensus, mais le secret. Il inverse la relation entre le sujet et l’objet. Alors que les experts considèrent la science comme leur objet, le patchwork fait de nous les sujets de la science. On ne gouverne pas par la science, la science nous gouverne. La science gouverne réellement le gouvernement via le patchwork, il n’y pas plus de recherche de consensus inter-patchs, plus de débat. Il n’y aurait rien de pire que de vouloir imposer une politique à tout le patchwork via un consensus, car cela paralyserait sa capacité d’apprendre. Or, le patchwork n’est jamais qu’une formalisation de ce qui existe déjà, des nations souveraines. Le danger du consensus menant à une politique unique imposée à toutes les nations permet d’avoir le contrôle sur elles, mais empêche le monde d’apprendre efficacement. C’est précisément ici que la NRx devient les Lumières Sombres. Les Lumières pensaient que la Science permettrait à l’humanité de comprendre et dominer le monde, les Lumières Sombres voient la science comme une façon de comprendre comment le monde, l’extérieur, nous domine. Les Lumières voyaient une capacité d’obtenir la connaissance via la collaboration amenant à un consensus, les Lumières Sombres voient la compétition comme un moyen supérieur. Celui qui connaît le plus domine. Sa domination est légitime et si les autres ne sont pas capables de comprendre pourquoi il domine alors ils méritent d’être dominés. La science devient le décryptage du langage de Gnon. Celui qui domine domine car Gnon est avec lui. Je le dis volontairement sous cette forme pour marquer l’aspect réactionnaire d’un tel propos. Toutefois, dire « Espérons que Gnon soit avec nous » n’est pas une prière ou une incantation chamanique désespérée, cela signifie, « espérons que nous avons mieux compris la réalité que nos adversaires ». On s’en remet à la providence et on apprend à mieux la comprendre. C’est cela qui dérange profondément les zététiciens athées. Ils veulent faire rentrer la néoréaction dans un cadre qu’ils connaissent alors que son langage leur échappe complètement. Je comprends que ce soit déroutant quand Nick Land dit des choses comme “Dieu et Satan seraient d’accord pour dire que tout satanisme digne de ce nom serait une exploration froide et disciplinée de la complexité de la providence divine”. Ce qu’il signifie est en réalité que la façon de comprendre le fonctionnement du monde matériel (monde dirigé par Satan) est une recherche disciplinée de l’information manquante, qui permet de réduire l’entropie par la résolution d’incertitude, nous permettant de nous rapprocher de la compréhension des lois qui gouvernent le monde (la providence divine). Chaque gain de compréhension conduisant à une singularité. Un langage qui parait à première vue absconse devient limpide lorsqu’on partage les mêmes références.

Comment rendre la droite plus scientifique ? Il y a deux façons ; attirer les scientifiques à droite ou faire des gens de droite des scientifiques. Les scientifiques suivent le pouvoir, s’il se déplace vers la gauche, ils iront vers la gauche, s’il se déplace vers la droite, ils iront vers la droite. La démocratie ayant une tendance à aller vers la gauche comme le Marquis le reconnaît lui-même, comment espère-t-il “développer la discipline scientifique de la droite” avec des scientifiques allant toujours plus vers la gauche ? S’il n’est pas possible d’attirer les scientifiques à droite, alors développer la culture scientifique de la droite revient à vouloir le faire sans les scientifiques en rendant les gens de droite plus familiers avec les connaissances scientifiques. Ce n’est pas impossible, mais bonne chance pour transformer Philippe de Villiers en Einstein. On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif. La réception de l’expérience du Cercle Cobalt dit tout ce qu’il y a à savoir sur la question. Mais surtout, le faire sans les scientifiques conduira à un déficit de crédibilité. Devine quoi ? Peu importe que tu aies raison Marquis, en démocratie, tout ce qui compte est la crédibilité, donc c’est voué à l’échec. En revanche, cela fonctionnerait très bien dans le système du patchwork. Dans de telles conditions, ce n’est pas la droite qui deviendrait scientifique, ce sont les scientifiques qui deviendraient naturellement de droite, car les incitations à mieux conprendre la réalité, leur permettant d’obtenir du pouvoir, seraient motivées par des leviers capitalistiques et non démocratiques.

Ainsi, un but suffisant pour toi Marquis, plutôt que de vouloir rendre la droite scientifique, qui est une démarche activiste vouée à l’échec, serait tout simplement de fournir les informations scientifiques dont les jeunes de droite, y compris les scientifiques, ont besoin pour faire de bons choix de vie et exploiter ces connaissances dans un cadre capitaliste, à la manière d’un passiviste.

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