La droite au rythme du Kremlin – le cas de l’Institut Des Libertés

Lorsqu’aux heures tristes de 1940 la soldatesque française défendait héroïquement Dunkerque, permettant le rembarquement d’une foule de soldats anglais et français, les tracts allemands dénonçaient la volonté des anglais de se battre jusqu’au dernier français. En 2022 alors que le monde à les yeux rivés sur la courageuse résistance ukrainienne face aux séides du Kremlin, l’institut des libertés recycle ce triste trait d’esprit, attribuant désormais aux américains le désir de se battre jusqu’au dernier européen. Ce trait d’esprit n’est qu’une goutte dans l’océan d’une droite qui ces dernières années s’est trop souvent mise au diapason du Kremlin. Si l’article se concentre ici sur les propos de Charles Gave et Jean-Baptiste Noé, les mêmes critiques pourraient s’appliquer à bien d’autres.

Charles Gave et son acolyte Pierre Lorain soutenaient l’idée que les sanctions à l’encontre de la Russie étaient inefficaces et que les États-Unis se servaient des coups que se portaient Européens et Russes pour anéantir le potentiel concurrentiel européen. Écoutons l’intervention de Charles Gave sur Cnews durant le « Face à Rioufol » du 20 mars dernier ;

C.G – « Regardez, prenez les chiffres, la Russie importe 60 milliards de dollars à peu près par an de Chine et 60 milliards d’Europe. Les chinois font à peu près tout ce qu’on fait. Qu’est-ce qu’on leur vend aux russes ? On leur vend des bagnoles, des sacs Hermès – bon ça les chinois vont pas les faire mais ils peuvent en faire des copies – et donc on vient de perdre 60 milliards d’exportations boom, comme cela d’un seul coup.
I.R – Et comment les États-Unis s’en tirent-ils par rapport à…
C.G – Bah les États-Unis sont quasiment autosuffisant énergétiquement, ils exportent en tout 5 milliards par an en Russie, c’est à dire rien. Et donc les États-Unis une fois de plus nous montre qu’ils sont prêts à se battre jusqu’au dernier européen.
IR – Vous voulez dire ? A se battre contre l’Europe vous voulez dire ?
C.G – A se battre pour n’importe quoi. A condition que les victimes soient en Europe.
I.R – Vous voulez dire que les États-Unis jouent contre le camp européen ?
C.G – Mais complètement, les États-Unis sont en train de détruire toute l’industrie européenne.

Face à Rioufol, 20 Mars

Mais cela n’était pas un coup d’essai. Ce même 20 mars il publiait sur son site un article intitulé Ukraine Russie: Hommes des arbres, Hommes des bateaux faisant suite à un article daté du 9 novembre 2020 – USA : hommes des arbres contre hommes des bateaux – déplorant le résultat des élections présidentielles américaines en reprenant les allégations de fraude.

Tout y est, mis à part une polarisation du monde au profit de l’Asie qui se profile à l’occasion de la guerre russo-ukrainienne, il est intéressant de voir le narratif du patriarche Gave sur les relations que les autorités occidentales essayeraient d’imposer à la Russie. Les hommes des bateaux, ou hommes de Davos, sont des mondialistes hors sols, ils sont de ceux qui « coupent l’arbre sous lequel ils sont nés, en font une pirogue et vont voir si l’île d’à côté n’est pas plus belle et si l’herbe n’y est pas plus verte ». Ils sont opposés au petit peuple « les hommes des arbres », qui n’ont que leur patrie et leur petite vie. Les hommes des bateaux possèdent « toutes les cours de Justice, aussi bien domestiques qu’internationales, à l’exception de la Cour Suprême » mais également la quasi intégralité des instances parlementaires, des pouvoirs exécutifs et des universités d’occident.

Les Davosiens espèrent alors « un système de systèmes non démocratiques de gouvernance pour l’Europe […] visant à supprimer les souverainetés nationales grâce au pouvoir monétaire exercé par ceux qui contrôlent le dollar » et le règne de l’homo festivus et de la novlangue, le tout sous le protectorat de l’Otan « sous le contrôle des USA, où le poids du FBI, de la CIA, des GAFA et du parti politique portant ce projet (le parti démocrate) se fait de plus en plus pesant ». Or comme tous les pouvoirs non démocratiques, la technocratie a besoin d’un ennemi, et pour Gave, la technocratie des Davosiens s’est choisie la Russie.

Pourquoi la Russie ? Je viens d’en indiquer la raison fondamentale dans la phrase précédente : l’énergie. C’est en Russie que se trouvent les ressources en matières premières dont le monde a besoin, et nulle part ailleurs.

Charles Gave

La CIA sait que la puissance financière de la Russie va exploser dans les vingt ans qui viennent et que les USA vont se retrouver pour la première fois avec en face d’eux une puissance qui sera à la fois énergétique, financière et technologique et qu’il faut tout faire pour que cette puissance s’effondre avant qu’elle ne gagne ce surcroît de pouvoir. Il fallait donc organiser toutes affaires cessantes une mise au ban des nations de la Russie, et c’est ce que la CIA organise depuis 2014 et le coup d’état dit de Maidan, renversant un Président Ukrainien parfaitement élu mais favorable à la Russie, pour le remplacer par des élus favorables aux USA, le but étant que le problème Ukrainien empêche la Russie de se développer.

Charles Gave

Horreur
Augmentée

Sélection de textes de
Zero HP Lovecraft

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Que dire si ce n’est que le narratif du Kremlin est entièrement validé ici ? Une mise au ban de la Russie ? Mais n’est-ce pas la Russie qui fait tout pour être au ban des nations et ce depuis bien avant 2014 ? Charles Gave semble oublier le soutien moral intéressé de Moscou aux séparatistes de Transnistrie au dépend des intérêts Moldaves et à ceux d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie au dépend des intérêts Géorgiens. De même il semble oublier les multiples violations de la part des Russes des eaux territoriales et espaces aériens de pays souverains, l’invasion russe de la Géorgie en 2008 ainsi que les cyberattaques ayant ciblées l’Estonie en 2007. Notons d’ailleurs que le leg de ses cyberattaques fut la création l’année suivante au sein de la capitale estonienne du Centre d’excellence pour la cyberdéfense en coopération de l’Otan.

Ainsi si Poutine est « le maître des échecs », force est de constater qu’il est le joueur blanc et que l’OTAN ne fait que réagir à ses coups. Notons également qu’il n’y a là pas un mot sur l’annexion de la Crimée qui suivit « le coup d’état de Maidan », on a ses priorités narratives lorsque l’on pratique l’historiographie contre le grand satan américain. Quant à la Russie empêchée de se développer… Elle l’est davantage par son gouvernement que par quiconque. Le despotisme, l’oligarchie et le népotisme ont provoqué une véritable saignée démographique ainsi qu’une crise de confiance envers l’avenir, aboutissant à un taux de fécondité par femme largement inférieur à celui nécessaire pour garantir le renouvellement des générations ; 1,61 en lieu et place de 2,1. En somme le narratif de Charles Gave ne tient pas. Mais tâchons de développer encore un peu cet article.

Jean-baptiste Noé, auteur à l’Institut des libertés écrivit le 24 Février sur le site un billet intitulé Ukraine : cinq leçons pour l’Europe. La dernière leçon « la recomposition du monde se fait sans les Européens » ainsi que la seconde «l’indépendance énergétique est primordiale» ne nous intéressent pas ici, concentrons-nous sur les autres. Tout d’abord il y a la première leçon, « l’importance d’avoir une armée nationale », entendez par là « non inféodée aux américains, non membre de l’Otan », une armée qui ne serait pas une armée de soumission, un tribut. A celle-là je joins la quatrième, « il ne faut pas mentir car c’est le dissolvant des relations internationales ».

Première leçon pour l’Europe de cette crise ukrainienne : sans armée, un pays ne compte pas.. L’armée ne sert pas à attaquer, mais à dissuader l’autre de nous attaquer. En 1991, l’Ukraine a renoncé à son arsenal nucléaire. Si tel n’avait pas été le cas et si Kiev avait gardé son armement, la Russie ne pourrait pas occuper aujourd’hui les territoires du Donbass. Les pays d’Europe ont une armée, qui s’appelle l’OTAN, mais qui n’est pas une armée nationale et qui donc ne sert pas les intérêts des pays. Ce n’est pas non plus une armée de mercenaires. C’est une armée de tribut et de soumission. Les pays baltes ne voulant pas de l’armée russe sur leurs terres ils ont ouvert leurs frontières à l’armée de l’OTAN. C’est, depuis 30 ans, tout l’enjeu de l’Ukraine : quelle armée occupera son territoire, l’otanienne ou la russe ? Nombreux sont les pays d’Europe à avoir abdiqué leur indépendance en acceptant de se soumettre à une armée autre que celle de leur pays.

Jean-Baptiste Noé

Quatrième leçon : le mensonge dissout les relations internationales. En 1991, les États- Unis avaient promis que l’Ukraine n’intègrerait jamais l’OTAN, puis ils sont régulièrement revenus sur cette promesse en défendant l’extension de l’OTAN jusqu’à la Russie, ligne rouge inacceptable pour Moscou. Si les États-Unis ne veulent pas de missiles soviétiques à Cuba, on peut comprendre que la Russie ne veut pas de missiles otaniens en Ukraine. Mensonge en 2003 pour justifier l’intervention en Irak. Mensonge en 2011 sur le dossier libyen, tant le renversement de Kadhafi était programmé. Mensonges durant toute la guerre en Syrie. À force de mentir, plus personne ne croit les États-Unis. La diplomatie repose essentiellement sur la parole et sur la confiance. En mentant, Washington a dissout ce qui fait la nature même de la diplomatie. Ne reste donc plus que la force et l’armée.

Jean-Baptiste Noé

Il serait judicieux de rappeler à Monsieur Noé qu’absolument aucun traité écrit n’a garanti à la Russie que l’OTAN ne s’étendrait pas vers l’Est. De même l’honnêteté oblige à reconnaître que l’Otan ne fut guère coercitif envers ses membres durant son histoire. Ainsi le nombre de soldats américains sur le continent à subi une lente diminution jusqu’à ce que la crise éclate. Nous sommes passé d’un pic de 413 000 hommes de l’United States European Command en 1955 à 67 000 en 2015.

À titre d’exemples, on se souvient que la France put quitter l’Otan librement en 1967 et que Donald Trump lors de son bras de fer avec Angela Markel a voulu réintégrer 6400 boys basés en Allemagne au sein du territoire américain et en repositionner 5600 autres dans les autres pays de l’OTAN. Il est vrai que c’était un tacle économique, car cela aurait fait des milliers de consommateurs en moins dans de grandes villes allemandes mais ce dernier point nous amène à la notion de tribut. On sait que les États-Unis assurent 70 % du budget militaire de l’OTAN, singulier parasite !

Une autre personne de bon sens pourrait faire remarquer à Monsieur Noé que si en 1994 l’Ukraine a renoncé à son arsenal nucléaire, c’était sous la triple garantie des États-Unis, du Royaume-Uni et de la Fédération de Russie de voir son intégrité territoriale inviolée, Crimée et Donbass inclus. C’est le fameux memorandum de Budapest du 5 décembre 1994, qui vit dans les mois qui suivirent ledit désarmement nucléaire être financé par les États-Unis, décidément alors bien peu au fait de leur mission de créer un Cuba dans les flancs russes.

Puisque il est question d’armement, il faut que Monsieur Noé apprenne que l’OTAN permet à quelques-uns de ses états membres de disposer de technologie dont même la Russie et la Chine ne disposent pas. Là encore c’est une singulière façon de traiter de soit disant subalternes, des armées de soumis. Par exemple la marine française bénéficie de la technologie des catapultes à vapeur pour ses portes avions, ce qui permet aux Rafales de décoller avec un chargement plein.

Passons à la fameuse troisième leçon ; « être un moralisateur n’a qu’un temps ».

Troisième leçon : l’hypocrisie moralisatrice finie toujours par être retournée contre soi. L’Europe ne peut opposer aucun argument politique et philosophique à Poutine puisque celui-ci ne fait qu’appliquer la théorie politique européenne. Que peuvent dire des pays qui ont soutenu la guerre contre la Serbie dans les années 1990, qui en ont détaché le Kosovo pour créer un État artificiel et mafieux ? Que peuvent dire des pays qui ont attaqué l’Irak, au mépris des résolutions de l’ONU et en mentant sur les armes de destructions massives ? Difficile alors de parler de respect du droit international et de l’intangibilité des frontières. Impossible aussi de s’offusquer de la défense de groupes sécessionnistes quand on a soi-même, en Syrie, financé et défendu « les rebelles », c’est- à-dire des groupes islamistes attaquant un État légitime agressé. Difficile aussi après l’intervention en Libye, où la résolution de l’ONU fut violée, allant jusqu’à renverser Kadhafi et à détruire un État légitime. Comment enfin s’opposer à ce que le Donbass rejoigne la Russie quand on défend depuis un siècle « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » et que l’UE soutient « l’Europe des régions », c’est-à-dire la sécession de la Catalogne et de l’Écosse ? Ce que les Européens font depuis 30 ans, au nom de la démocratie et des droits de l’homme, les Russes ne pourraient pas le faire en Ukraine ?

Jean-Baptiste Noé

Face à ce sophisme de la double faute nous pourrions nous contenter de répondre que les méfaits des uns ne donnent jamais aux autres un blanc-seing pour leurs propres méfaits. Pour être exhaustif il faudrait rappeler à Monsieur Noé que contrairement au Kremlin et à son chef inamovible qui suit un plan sur le temps long, les états occidentaux sont des démocraties au sein desquelles les majorités changent, et qu’il est par conséquent vain et puéril de reprocher à ces régimes les actes de dirigeants pour beaucoup d’entre eux éjectés par le suffrage populaire.

Poutine a exercé une charge contre le monde libre, ce dernier fait des erreurs dans cette croisade qui lui fut imposée par le Kremlin, entendu. Tachons donc de mobiliser à l’avenir messieurs Gave et Noé toutes nos capacités intellectuelles pour l’aider à garantir sa résilience, plutôt que d’user de ces dernières pour donner des gages à son ennemi déclaré. 

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