De David Guetta à David Bowie en passant par Pink Floyd, Depeche Mode, Coldplay et Daft Punk… Ils reconnaissent tous en Kraftwerk une référence majeure. Le groupe est un des piliers de la musique actuelle, des courants de musique entiers doivent leur existence au groupe allemand, notamment la techno, la new wave ou la musique électronique en générale. Ils ont également été samplés des milliers de fois depuis 50 ans …
Pourtant Kraftwerk est victime d’un relatif anonymat en comparaison des autres icônes musicales des années 70-80, trop peu dans les nouvelles générations connaissent l’importance de ce groupe. C’est d’autant plus malheureux que le groupe a ceci de singulier qu’il est un des plus beau témoignage d’une époque pas si éloignée (moins de 50 ans) où la technologie faisait encore rêver une grande partie de l’occident. De plus il est un formidable exemple des apport du progrès technique à l’art.
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Un groupe fondateur
Le groupe est fondé en 1970, près de la ville de Düsseldorf, fleuron de l’industrie ouest allemande, les membre du groupe sont profondément marqué par cet environnement. Florian Schneider-Esleben et Ralf Hütter les deux fondateurs se sont rencontrés deux ans plus tôt en 1968, ils ont fondé un premier groupe et collaborent avec d’autres groupes allemands expérimentaux comme “CAN” et forment les débuts de la scène Krautrock.
Leur premier coup d’éclat a lieu lors d’un concert mémorable retransmis à la télévision en 1970 alors qu’ils n’avaient pas encore sorti le moindre album.
Le groupe explose vraiment en 1974 avec leur album Autobahn qui est un grand succès en Europe et aux USA et va définir leur style pour la suite de leur carrière. À base de synthétiseurs, bruits synthétiques, vocodeurs, boîtes à rythmes, et le travail en studio…
Les débuts du groupe se font dans un contexte de montée en puissance des instruments électroniques. Ceux-ci étaient jusqu’alors majoritairement réservés à des ingénieurs, chercheurs, théoriciens musicaux pionniers comme le français Pierre Schaeffer et se retrouvaient dans la musique concrète ou les musiques de films.
A la fin des années 60 un grand nombre d’artistes musicaux se servent de ces instruments comme de nouveaux modes d’expression musicaux. En 1969 Gershon Kingsley sort le titre “Popcorn”, qui en 1972 deviendra le 1er hit mondiale de la musique électronique. Kraftwerk participe a ce phénomène via ses expérimentations et fera la synthèse géniale entre la pop commerciale et l’avant garde en introduisant des structures plus populaires avec des couplets, des refrains, mais aussi par un travail conséquent sur leurs mélodies. Grâce à cette popularisation de la musique électronique et de ces outils, ils se retrouvent dans pratiquement tout le spectre musical actuel, du Rap à la Pop en passant par la Dubstep. Tous ces genres passent par du travail en studio, des synthétiseurs analogiques ou numériques, et furent influencés, structurés de près ou de loin par le travail de Kraftwerk. Ils sont en quelques sortes le premier groupe populaire moderne.
L’amour de la technologie
Pour Kraftwerk cette recherche de nouveaux modes d’expression musicaux via ces nouveaux instruments (qu’ils construisent eux-mêmes avec des amis ingénieurs du son) se fait dans le contexte du Die Stunde Null (l’heure zéro) qui est cette intention en Allemagne de l’Ouest de faire table rase, sur un plan politique et culturel suite à la seconde guerre mondiale et au morcellement du pays.
Comme l’Allemagne qui devait se rebâtir après la guerre, nous avions à cœur de tout reconstruire à partir de rien.
Ralf Hütter (fondateur de Kraftwerk)
Ils vont également faire référence à des idéaux politiques d’avenir comme la perspective d’un certain idéal européen. Cela est visible dans le choix des langues pour leurs paroles et l’importance accordée aux différentes déclinaisons de leurs compositions (beaucoup d’entre-elles ont une version allemande, anglaise et française). C’est aussi visible dans le titre de certaines musiques comme “Trans-Europe Express”, “Europe Endless”, “Autobahn” qui font référence au grand réseaux de transports reliant les différents pays du continent.
Tout cela va également se combiner avec un véritable amour de la technologie. L’amour de la technologie dans l’art n’est pas nouveau et a eu un impact dans un passé plus lointain, notamment avec le futurisme de Marinetti.
Mais indéniablement, cette démarche technophile dans la musique n’a jamais eu un aussi grand impact qu’avec Kraftwerk. Pour ce faire, ils ont choisis de mettre en place un art total, à la fois cohérent sur le fond et sur la forme, en travaillant leurs musiques ainsi que leurs visuels.
En premier lieu, ils vont systématiser l’utilisation des nouveaux outils électroniques dans leurs compositions. Le batteur est remplacé par des boites à rythmes, les voix chantées sont passées au travers d’un vocodeur pour les rendre plus robotiques, les sons naturels sont reconstitués à partir d’ordinateurs et tout cela est retravaillé et ajouté par les machines en studio. Il y a une vraie démarche de digitalisation de leur musique. Tout cela produit une musique rigide et répétitive. Mais jouant avec le cliché d’une musique électronique froide et sans âme, ils arrivent à insuffler à cette musique quelque chose de profondément humain, de pratiquement romantique, notamment grâce à leurs basses et leurs mélodies qui donnent ce qu’il faut de souffle à leurs machines. Ils arrivent à faire du chaud, du romantique, du violent avec du froid. C’est une véritable démarche d’hybridation musicale entre l’humain et la machine. Cela se retrouve également dans les titres de leurs compositions : “Computer Love”, “The Robots”, “It’s more fun to compute”, “The Man Machine”, “Sex Object” …
Dans un second temps, ils vont appliquer cette démarche technophile et d’hybridation homme/machine à leur univers visuel. Beaucoup de leurs pochettes qu’ils réalisent eux même sont minimalistes, pixélisées, ou font référence à des signalisations industrielles. Ils vont également se digitaliser et se reconstituer en 3D pour la pochette de leur album “Electric café”. Certaines de leurs pochettes sont inspirés de mouvement artistique protechnologie comme le constructivisme russe, qui présupposait que le futur serait l’oeuvre des ingénieurs et des scientifiques et que ce serait une société idéale.
Ils vont particulièrement travailler leurs clips musicaux et leurs performances live. Vous pouvez les observer grimés en androïds pour le titre “The Robots”, et pousser au maximum la confusion entre eux-mêmes et leurs doubles robotiques.
Ils vont également faire des concerts au MOMA de New York, le temple de l’art moderne et contemporain afin de rattacher un peu plus leur travail à la modernité. Il y a des dizaines d’exemples de cet art total qu’ils ont mis minutieusement en place au fil des ans pour aboutir à ce tout extrêmement cohérent. Ce qui transpire de leur travail c’est un rapport très positif avec la modernité, un rapport presque enfantin, naïf (même si ils peuvent émettre des critiques face au monde moderne dans leurs paroles). Un mélange de contemplation et d’admiration de la technologie. Cette vision positive de la technologie prie naissance à la fin des années 60, à une époque ou les peurs des avancées technologiques et les discours technophobes étaient plus rare qu’aujourd’hui… Le travail de Kraftwerk est d’ailleurs une formidable réponse à toute cette technophobie actuelle.
Horreur
Augmentée
Sélection de textes de
Zero HP Lovecraft
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Kraftwerk, exemple de l’évolution technologique au service de l’art
Comme nous venons de le voir, le groupe ouest allemand ne s’est pas seulement contenté d’utiliser les nouveaux outils technologiques de son temps, il a codifié et démocratisé leur utilisation. Permettant au plus grand nombre de découvrir de nouveaux continents musicaux jusqu’alors inexplorés. Au-delà de leurs merveilleuses compositions, c’est leur rôle de pionniers et de pivot de l’histoire musical qui les rend aussi important et intéressant.
Ils sont une belle illustration de l’évolution technologique au service de l’art et des résistances que cela entraine. Ils ont brillamment su profiter de ces nouveaux outils pour imposer la musique électronique malgré le snobisme et le conservatisme musical qui s’est exercé à son encontre pendant des décennies. Celle-ci ayant subit une vague de mépris et de stigmatisation de la part des médias et des autres artistes musicaux notamment à la fin des années 80 début des années 90 …
Fuck la Techno, c’est d’la musique de drogués
Rohff – 94
Ce genre de réactions conservatrices sont tout à fait communes dans l’histoire de l’art. Nous le vivons actuellement avec l’IA Midjourney génératrice d’images qui gagne des concours artistiques.
L’exemple le plus remarquable fut selon moi les oppositions que dut affronter la photographie. Beaucoup pensaient que c’était une étape de plus vers la ruine de l’art. Charles Baudelaire exprima brillamment cette profonde inquiétude.
Comme l’industrie photographique était le refuge de tous les peintres manqués, trop mal doués ou trop paresseux pour achever leurs études, cet universel engouement portait non-seulement le caractère de l’aveuglement et de l’imbécillité, mais avait aussi la couleur d’une vengeance. Qu’une si stupide conspiration, dans laquelle on trouve, comme dans toutes les autres, les méchants et les dupes, puisse réussir d’une manière absolue, je ne le crois pas, ou du moins je ne veux pas le croire; mais je suis convaincu que les progrès mal appliqués de la photographie ont beaucoup contribué, comme d’ailleurs tous les progrès purement matériels, à l’appauvrissement du génie artistique français, déjà si rare. La Fatuité moderne aura beau rugir, éructer tous les borborygmes de sa ronde personnalité, vomir tous les sophismes indigestes dont une philosophie récente l’a bourrée à gueule-que-veux-tu, cela tombe sous le sens que l’industrie, faisant irruption dans l’art, en devient la plus mortelle ennemie, et que la confusion des fonctions empêche qu’aucune soit bien remplie. La poésie et le progrès sont deux ambitieux qui se haïssent d’une haine instinctive, et, quand ils se rencontrent dans le même chemin, il faut que l’un des deux serve l’autre. S’il est permis à la photographie de suppléer l’art dans quelques-unes de ses fonctions, elle l’aura bientôt supplanté ou corrompu tout à fait, grâce à l’alliance naturelle qu’elle trouvera dans la sottise de la multitude.
Charles Baudelaire – Le public moderne et la photographie
Malgré son inquiétude viscérale Baudelaire était un grand esprit et il avait malgré tout perçu que la coexistence entre le progrès technique et l’art était possible. Il explique ainsi dans la suite du même texte:
Il faut donc qu’elle rentre dans son véritable devoir, qui est d’être la servante des sciences et des arts, mais la très humble servante, comme l’imprimerie et la sténographie, qui n’ont ni créé ni suppléé la littérature. Qu’elle enrichisse rapidement l’album du voyageur et rende à ses yeux la précision qui manquait à sa mémoire, qu’elle orne la bibliothèque du naturaliste, exagère les animaux microscopiques, fortifie même de quelques renseignements les hypothèses de l’astronome; qu’elle soit enfin le secrétaire et le garde-note de quiconque a besoin dans sa profession d’une absolue exactitude matérielle, jusque-là rien de mieux. Qu’elle sauve de l’oubli les ruines pendantes, les livres, les estampes et les manuscrits que le temps dévore, les choses précieuses dont la forme va disparaître et qui demandent une place dans les archives de notre mémoire, elle sera remerciée et applaudie. Mais s’il lui est permis d’empiéter sur le domaine de l’impalpable et de l’imaginaire, sur tout ce qui ne vaut que parce que l’homme y ajoute de son âme, alors malheur à nous !
Charles Baudelaire – Le public moderne et la photographie
Il n’avait cependant pas compris que la photographie ne devait pas seulement avoir un rôle de servante de l’art. Mais quelle en serait une actrice en devenant au fur et à mesure du temps une discipline artistique à part entière. Elle apportera sa pierre au grand édifice qu’est l’art humain avec des grands artistes photographes comme Jean Eugène Auguste Atget ou bien Henri Cartier-Bresson. Sans pour autant éradiquer la peinture…
Kraftwerk, la Photographie, Midjourney sont des exemples qui illustrent le fait que tout comme l’évolution biologique, l’évolution technologique est un phénomène d’accroissement de potentiel sans forcément détruire les étapes d’évolution précédentes. Les procaryotes se sont fait supplanter par les eucaryotes sans être détruites, ces derniers ce sont elles-même faites supplanter par les organismes multicellulaires sans être détruites par eux et la peinture s’est fait supplanter par la photographie sans disparaître. La musique électronique de Kraftwerk à supplanté la musique acoustique sans l’éradiquer.
Non, Midjourney ne ruinera pas l’art visuel tout comme Kraftwerk n’a pas ruiné l’art musical, au contraire. Les créations du groupe allemand sont la preuve que l’hybridation homme/machine rendue possible par l’évolution technique est capable de produire des merveilles, qui en plus d’êtres belles par elles-mêmes sont capables d’influencer toute la musique actuelle au point d’en être la base, augmentant ainsi son potentiel artistique. Ils sont l’exemple triomphant de l’union entre l’homme et la machine au service de l’art grâce au progrès technique.
Conclusion
Écoutez Kraftwerk. À cet effet, je mets à votre disposition une playlist Youtube des titres majeurs du groupe.
Retrouvez l’auteur de cet article, Lino Vertigo sur twitter @LinoVertigo et sur la chaîne YouTube Lino Vertigo.
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