Est-ce que non seulement l’espace ne serait pas fondamental mais aussi le temps et que seule l’information serait fondamentale ? Afin d’étudier plus en détails cette hypothèse il nous faut comprendre ce que l’on entend ici par information.
L’antiréalisme de Wheeler et l’hypothèse du it from bit
Par conséquent, l’espace et le temps n’étaient possibles, le premier que par le rapport des substances, le second que par la liaison de leurs déterminations les unes avec les autres à titre de principes et de conséquences. Au demeurant devrait-il en être ainsi, de fait, si l’entendement pur pouvait se rapporter immédiatement à des objets et si l’espace et le temps étaient des déterminations des choses en soi. Mais s’ils ne sont que des intuitions sensibles dans le cadre desquelles nous déterminons tous les objets exclusivement comme phénomènes, la forme de l’intuition (en tant qu’elle est une constitution subjective de la sensibilité) précède toute matière (les sensations) : par conséquent, l’espace et le temps précèdent tous les phénomènes, ainsi que toutes les données de l’expérience, et ils ne font bien plutôt que les rendre possibles. […] Un monde, par conséquent, n’est pas infini relativement à l’espace, mais il est contenu dans les limites qui sont les siennes. […] En ce sens, les choses, comme phénomènes, déterminent bien l’espace, c’est-à-dire que, parmi tous les prédicats possibles de celui-ci (grandeur et rapport), elles font que tels ou tels appartiennent à la réalité ; mais, inversement, l’espace ne peut pas, comme quelque chose qui possède en soi-même sa consistance, déterminer la réalité effective des choses du point de vue de la grandeur ou de la figure, parce qu’il n’est en lui-même rien qui soit effectivement réel. Un espace peut donc fort bien (qu’il soit plein ou vide)* être limité par des phénomènes, mais des phénomènes ne peuvent pas être limités par un espace vide extérieur à eux.
Kant, Critique de la raison pure
Wheeler était ce type de personne un peu engoncé, toujours le dernier bouton de la chemise boutonné, jamais un mot plus haut que l’autre mais il est aussi celui qui avait les idées les plus folles.
Traité
Néoréactionnaire
Le premier livre de NIMH
Traité
Néoréactionnaire
Le premier livre de NIMH
Parmi lesquelles beaucoup étaient des idées surtout fausses, comme la fois où il a postulé qu’il n’y avait qu’un électron dans l’univers, des idées intrigantes comme celle du positron qui serait un électron voyageant dans le temps en sens inverse. Cependant, il fut aussi l’un des premiers physiciens éminents à proposer que la réalité ne soit pas entièrement physique ; en un sens, notre cosmos doit être un phénomène « participatif » nécessitant l’acte d’observation. Ce qui en fait une théorie antiréaliste selon Smolin, puisque cela confère un rôle particulier à la mesure. La soudaineté de l’effondrement de la fonction d’onde lors de la mesure, dictée par la règle 2, signifie que les états quantiques changent d’une manière qui ne tient pas compte de la localité ni de l’énergie, et qui semble dépendre directement de ce que nous savons ou croyons.
Mais Wheeler a surtout attiré l’attention sur les liens intrigants entre la physique et la théorie de l’information de Claude Shannon. Tout comme la physique s’appuie sur une entité élémentaire, le quantum, défini par l’acte d’observation, la théorie de l’information fait de même. Son « quantum » est l’unité binaire, ou bit, qui est un message représentant l’un des deux choix suivants : pile ou face, oui ou non, zéro ou un.
Wheeler postule alors que « chaque chose – chaque particule, chaque champ de force, voire le continuum espace-temps lui-même – tire sa fonction, sa signification, son existence même entièrement – même si, dans certains contextes, c’est de manière indirecte – des réponses données par l’appareil de mesure aux questions oui ou non, aux choix binaires, aux bits ».
Cette formule symbolise l’idée que chaque élément du monde physique a, au fond, une source et une explication immatérielles ; que ce que nous appelons réalité découle en dernière analyse de la formulation de questions binaires et de l’enregistrement de réponses provoquées par un équipement ; en bref, que toutes les choses physiques sont d’origine informationnelle et qu’il s’agit d’un univers participatif impliquant la conscience de l’observateur.
La politique de l’inventeur du moteur, John Kris, nous dit : « Mettez-le en marche et voyez pourquoi il ne part pas ! ». Dans cet esprit, je tente, comme d’autres chercheurs, de formuler les questions centrales les unes après les autres, et je présente ici une vue d’ensemble plus large, en prenant pour hypothèse de travail la plus efficace qui a survécu à ce vannage : Le « it » à partir du « bit ». Autrement dit, chaque « it » – chaque particule, chaque champ de force, voire le continuum espace-temps lui-même – tire sa fonction, sa signification, son existence même, entièrement – même si, dans certains contextes, c’est de manière indirecte – des réponses obtenues par l’appareil à des questions oui ou non, des choix binaires, des bits.
John Wheeler, Information, Physics, Quantum: The Search for Links.
Du it from bit au it from Qubit
Plus récemment, des chercheurs ont tenté de faire le lien entre la thermodynamique et la physique quantique. Jonathan Oppenheim, de l’University College of London y consacre tous ses travaux. Il soutient que la thermodynamique peut être considérée comme une conséquence de la physique quantique. Plus précisément, il montre que la thermodynamique peut être dérivée à partir des principes de la mécanique quantique et que les lois de la thermodynamique ont une interprétation physique claire en termes de la mécanique quantique.
Oppenheim s’appuie sur la théorie de l’information quantique pour développer cette approche, en utilisant la notion d’entropie quantique pour relier les concepts de la thermodynamique à ceux de la mécanique quantique. En effet, l’entropie quantique est une mesure de l’information contenue dans un système quantique et elle peut être utilisée pour caractériser l’état thermodynamique d’un système.
Ainsi, Oppenheim montre que la deuxième loi de la thermodynamique peut être comprise comme une conséquence de la croissance de l’entropie quantique d’un système. Il établit également un lien entre les processus irréversibles en thermodynamique et les processus de mesure irréversibles en physique quantique.
Dans le papier A post-quantum theory of classical gravity?, Jonathan Oppenheim explore la possibilité de formuler une théorie de la gravité classique qui serait cohérente avec la théorie quantique. L’auteur soutient que la théorie classique de la gravité doit être révisée pour tenir compte des principes de la mécanique quantique, notamment l’idée que les informations ne peuvent pas être créées ni détruites.
Il commence par expliquer pourquoi la théorie de la gravité classique est incompatible avec la théorie quantique, en se concentrant sur le paradoxe de l’information et les problèmes liés à la mesure de l’espace-temps. Ensuite, il propose une nouvelle théorie de la gravité post-quantique qui tient compte de ces problèmes. La nouvelle théorie de la gravité proposée par l’auteur est basée sur l’idée que l’information est conservée dans l’univers, même lorsqu’elle traverse des horizons d’événements, tels que ceux présents dans les trous noirs. Il propose également que l’espace-temps soit un réseau de relations quantiques entre des événements plutôt qu’une structure continue. On retrouve alors ici l’idée de Lee Smolin évoquée plus tôt. Plus encore, on retrouve l’idée que j’ai évoqué dans mon article faisant le parallèle entre l’information et l’Être voulant que l’Être soit la somme des possibilités totales qui existent et qu’il ne puisse qu’être sélectionné. L’information ne serait alors pas créée mais seulement sélectionnée selon les possibilités initiales.
Se pourrait-il qu’il existe un « monde de l’information » qui ne soit pas régit par les lois de la physique ? Un monde dualiste avec l’information d’un côté et la représentation de l’autre ne me surprendrait pas et ça ne remettrait pas en cause l’existence d’une réalité objective existant sans observateur et peut-être même pas notre capacité à la connaître pleinement. Alors Platon aurait raison depuis le début avec son monde des idées ? C’est ce que pense Roger Penrose en tout cas, qui imagine que « chaque fois que l’esprit perçoit une idée mathématique, il prend contact avec le monde platonicien des idées ».
L’information est physique ?
Quel est donc le problème de dire que tout se résume à des informations, des bits, des réponses à nos questions ? Tout d’abord, comme aimait à le dire le physicien Rolf Landauer, toute information est physique – c’est-à-dire que toute information est incarnée dans des choses ou des processus physiques – mais cela ne signifie pas que toutes les choses physiques seraient nécessairement réductibles à l’information. Le concept d’information n’a aucun sens en l’absence de quelque chose à informer, c’est-à-dire d’un observateur conscient capable de choix. Si tous les humains du monde disparaissaient demain, toutes les informations disparaîtraient également. Sans esprit de surprise et de changement, les livres, les télévisions et les ordinateurs seraient aussi stupides que des souches et des pierres car l’aspect sémantique de l’information est aussi important que son aspect structurel.
“Un monde dualiste avec l’information d’un côté et la représentation de l’autre ne me surprendrait pas et ça ne remettrait pas en cause l’existence d’une réalité objective existant sans observateur et peut-être même pas notre capacité à la connaître pleinement. ‘
“que toutes les choses physiques sont d’origine informationnelle et qu’il s’agit d’un univers participatif impliquant la conscience de l’observateur”
De ce que l’on “sait”, la conscience, du moins sur terre, est apparue a minima avec nous, voire avec la vie. Mais elle est apparue à un moment donné dans tous les cas.
S’il n’existait que l’information impliquant une conscience observatrice, on aurait un problème pour expliquer l’apparition de l’univers qui nous précède.
Il faut donc nécessairement qu’il existe aussi une réalité sans observateur, que l’on pourrait approximativement qualifier d’objective.
Ou alors, il faudrait poser l’hypothèse que la conscience existe sans support organique, et qu’elle n’a fait que s’incarner à un moment donné dans des formes vivantes, mais qu’elle “observait” déjà l’univers avant cet évènement … mais il semble difficile de concevoir comment elle aurait “observer” sans organe pour ce faire.
“Space time is doomed”. C’est le mantra de Donald Hoffman qui défend que la conscience est fondamentale. Il se base sur une théorie à base d’amplituhédrons que je ne connais pas plus que ça.
Par contre, j’ai lu son papier sur le fitness évolutif de la perception qui démontre qu’il n’y a rien de vrai dans nos perceptions (https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33231784/) et je ne suis pas convaincu par son raisonnement un peu trop simpliste d’une part, et parce que le “fitness” est “vrai” selon moi … c’est juste une information agrégée.
Il y a aussi Wolfram avec son “new kind of physics” qui explore une réalité plus fondamentale (à base d’automate cellulaire) d’où émergerait l’espace-temps. Son approche me parle plus déjà, mais je suis incapable de savoir si elle aboutira, car il faudrait qu’il parvienne à recréer le modèle standard avec et là, bon courage à lui !
(il faut reproduire a minima un équivalent des champs quantiques)
La théorie de la gravitation quantique à boucle de Rovelli fait aussi émerger l’espace temps de composant plus fondamentaux, et bien sûr la théorie des cordes fait de même. (sous réserve que j’ai bien compris, ce sont tout de même des théories qui demandent un très haut niveau mathématique)