Confiance aveugle en Raoult et biais de prestige

Les derniers mois auront été le lieu de tous les débats, tous les clashs et de toutes les bassesses intellectuelles. On observa une étrange confrontation du monde médical au monde médiatique, ravageant sur son passage la neutralité journalistique et supprimant ce qu’il restait de rationalité à l’espace public hexagonal. Je veux bien sûr parler de la popularité numérique du Professeur Didier Raoult.

A toute catastrophe il faut un héros, à toute fin du monde un sauveur. Lorsque la panique contamine les âmes plus que la maladie ne le fait des corps, les temps deviennent propice à voir se lever de nouveaux parangons, promettant de tout leur être le salut et s’assurant par la même gloire et reconnaissance.

Et au sein de ce tableau apocalyptique se dresse Didier Raoult, Docteur en médecine infectiologique et microbiologique, fondateur de l’IHU de Marseille et jouissant d’un prestige international à faire pâlir la majorité des cliniciens du pays. Et c’est là le socle de notre propos. Ce prestige, cette expérience, cette reconnaissance et cette certification partagée sont-elles garantes du travail de M. Raoult ? Tous ces honneurs accumulés sont-ils l’assurance d’une confiance totale à accorder au professeur marseillais ? Alors que les États-Unis viennent de suspendre l’utilisation de l’hydroxychloroquine et que son sort semble réglé, le personnage divise, mieux, incite à une binarisation profonde du débat et instaure dans l’espace médiatique une logique de « camps » et donc de clash. De ces deux camps émergent deux franges, deux facettes de la France que l’on pourrait livrer à une grille d’analyse sociale, économique ou politique et ainsi, cristalliser toujours plus la confrontation, choisissant d’opposer la France d’en haut à celle d’en bas, la France des éduqués à celle des ignorants, la France bourgeoise et citadine à la France rurale et populaire. Que nenni. Nous mettrons les modalités de lecture sociologique de côté et concentrerons, pour cet article, notre attention sur un facteur incontournable de la psychologie évolutionniste : le biais de prestige.

Le biais de prestige consiste en un trait évolutif acquis par les hommes durant le paléolithique, lorsque que les homo-sapiens formaient des petits groupes humains dépassant rarement les 30 individus et dont la survie dépendait presque uniquement de la chasse. En effet, nomade et évoluant dans des environnements hostiles, la structure sociale de l’époque s’appuyait sur un élément catalyseur de la cohésion de groupe : le prestige. Était prestigieux celui qui, couronné par ses nombreux succès à la chasse, jouissait en retour de l’admiration et du respect du reste de la communauté. L’homme prestigieux pouvait dès lors s’accoupler avec la femme qu’il désirait et transmettre ses gènes à celle qu’il trouvait la plus féconde. Ce dernier était également en mesure, grâce à son prestige, de nouer des réseaux de coopération avec d’autres chasseurs plus ou moins prestigieux et ainsi assurer ressources et pérennité à son groupe social et à sa famille. Joseph Henrich, directeur du département de biologie évolutionniste à Harvard et auteur de l’ouvrage incontournable « L’intelligence collective » explique bien comment les groupes humains, au fil de l’évolution paléolithique, ont toujours mis en avant les bons chasseurs, ceux qui étaient capables de rapporter le plus de viande au groupe et qui faisaient preuve de générosité en partageant leurs trophées. Il s’agissait selon Henrich de déléguer une certaine forme d’autorité, non pas politique ou religieuse, mais symbolique et éducationnelle à ces chasseurs qui, par leurs compétences et leur agilité, permettaient au groupe de survivre. Ainsi, c’était les chasseurs les plus prestigieux qui faisaient office d’exemples à suivre pour les jeunes chasseurs. Ceux-là copiaient leurs technique de pistage, fabriquaient des arcs avec les mêmes matériaux et adoptaient les mêmes mouvements de lancer de javelot ou d’égorgement de proies. La notion de prestige est en fait une nécessite évolutive, une adaptation à la pression de la sélection naturelle en admirant, respectant et imitant ceux qui excellent dans leurs domaines. Et si la chasse était le domaine par excellence au paléolithique, le 21ème siècle à vu le culte du soi et de la santé devenir un dogme international en Occident.

Le mismatch : pourquoi nombreux sont ceux qui agissent encore comme au paléolithique ?

Le principe fondateur de la psychologie évolutionniste consiste à admettre comme certaine l’hypothèse selon laquelle notre cerveau fonctionne comme au paléolithique car c’est la période la plus longue et la plus sélective que l’homme a enduré durant toute son histoire. Ces millions d’années d’évolution et d’adaptation ont ainsi modelé nos connexions neurales et nos gènes cérébraux de sorte à ce que beaucoup de nos comportements cognitifs soient ancrés en nous, faisant dès lors triompher l’inné sur l’acquis. Conçus et programmés pour vivre comme durant la période paléolithique, nos cerveaux seraient dans une situation de dissonance au 21ème siècle, période durant laquelle notre environnement a été bouleversé avec une vitesse inédite dans l’histoire humaine. Cette dissonance s’appelle le « mismatch ».

Actant de cette notion de prestige cérébralement ancrée en nous et codée dans nos gènes, nous pouvons dès lors envisager de comprendre pourquoi le Professeur Didier Raoult, dont le prestige est internationalement et unanimement reconnu (Grand Prix 2010 de l’INSERN…), est activement soutenu par des millions d’individus en France et ce, malgré des faiblesses méthodologiques d’études largement pointées du doigt par les médias français. Si la communauté médicale et médiatique continue de se déchirer sur Le Docteur Raoult et son traitement à base de chloroquine, le but de cet article n’est pas de se prononcer dessus, l’auteur de ces lignes n’ayant pas les compétences requises pour s’y essayer.

Toutefois, c’est bien souvent dans des cas de force majeure tels que des crises sanitaires mondiales comme celle que nous vivons aujourd’hui que se révèle au grand jour nos ancrages cérébraux les plus vieux. Nous sommes avant tout des animaux, sociaux et coopératifs certes, mais des animaux, et nous agissons de la sorte.

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