Cet article est un extrait du livre Convergence 2045: IA, créativité artificielle et effondrement ? de Boris H.
Sans vous en rendre compte, vous mobilisez votre cerveau à cet instant précis, en lisant ces lignes. Nous l’utilisons tout le temps, pour parler, manger, respirer, marcher, danser, lire, écrire… Mais pensez-vous que le cerveau est conçu pour penser ? Non, notre cerveau n’est pas fait pour penser ! Du moins, pas au premier abord. Plusieurs chercheurs pensent qu’en réalité la pensée n’est qu’un effet secondaire de l’évolution. Au départ, les neurones sont apparus pour permettre aux organismes vivants de se mouvoir. De ce fait, le cerveau n’est peut-être pas un outil fini, avec les avancées dans le domaine des interfaces neuronales, nous allons pouvoir augmenter nos capacités cognitives en le dotant de puissance informatique.
L’interface cerveau-machine et la créativité
Aujourd’hui, il nous semble évident que le cerveau est le centre de nos pensées, de nos émotions et de notre représentation du monde, et de nous-mêmes. Notre cerveau est extraordinairement complexe ; on le considère même comme la structure la plus complexe connue à ce jour dans l’Univers. Et d’une certaine façon, notre organe cérébral nous donne l’impression d’avoir une place à part dans la nature.
Pourtant ce savoir est très récent. Le plus ancien document faisant référence au cerveau est un papyrus égyptien datant de 1600 av. J.-C. Il s’agit d’un texte qui s’intéresse aux conséquences de traumatismes violents et notamment de coups reçus à la tête. On y trouve entre autres les plus anciennes descriptions de notre cerveau. En lisant le document, une chose est très claire : le rôle du cerveau était totalement méconnu à cette époque.
Pour Aristote, penseur du IVe siècle av. J.-C, le cerveau n’était rien d’autre qu’un radiateur qui permettrait à l’humain de garder son sang-froid. Pendant longtemps, comme Aristote, de nombreux savants pensaient que le siège de la pensée et des émotions était dans le cœur, même si Hippocrate et d’autres suspectaient déjà que c’était dans le cerveau. Pendant des siècles, les dissections du corps humain étant peu pratiquées pour des raisons religieuses, la connaissance n’a donc pas beaucoup progressé… Il faut attendre le XIXe siècle pour connaître la nature électrique des signaux qui parcourent le cerveau, et ce n’est qu’au début du XXe siècle que seront découverts les neurones.
Les cellules du cerveau sont capables de réagir à leur environnement de manière coordonnée via des signaux chimiques ou électriques. Cette capacité ne date pas d’hier, plusieurs organismes unicellulaires marins, comme les Choanoflagellés, communiquent entre eux avec des composés identiques à ceux qu’ont nos neurones. Ces animaux marins ressemblent très probablement aux organismes qui existaient il y a 850 millions d’années et qui ont marqué l’émergence de tout le règne animal. Les animaux constitués de plus d’une cellule, les métazoaires (s’opposant aux protozoaires unicellulaires) sont spécialisés dans la transmission d’informations, permettant ainsi une meilleure réactivité de l’organisme face à l’environnement106.
Pour le neurobiologiste Daniel Wolpert, tous ces éléments indiquent que si les animaux ont acquis un cerveau, le mouvement en serait la clé. Comment se déplacer, comment agir sur l’environnement, comment contrôler ses mouvements de sorte à produire un comportement adapté ? C’est ainsi que sous la contrainte de la sélection naturelle, la nature a répondu en produisant le cerveau.
Mais pourquoi la nature a fait grossir le cerveau ? Un gros cerveau offre une meilleure anticipation de ce qui se passe autour de l’animal. Et l’anticipation est ce qui permet d’adopter un comportement, d’engager un mouvement compatible avec la survie. On peut voir le gros cerveau comme un outil qui génère une représentation du futur, représentation à partir de laquelle l’animal adapte son comportement. Bien entendu, notre cerveau est conçu pour voir le futur sur le court terme pas sur le long terme.
En parallèle éclot la culture avec l’homo sapiens : avec le langage verbal (nos ancêtres communiquaient d’abord avec le langage non verbal au début), les outils, l’apprentissage, l’écriture, etc., elle apporte de nouveaux avantages dans la lutte pour la survie. Le savoir a pu se transmettre de génération en génération de manière marginale au fil des siècles.
Ensuite est venue l’invention de l’imprimerie avec Gutenberg, qui a permis d’optimiser le pouvoir de transmission du savoir et de l’information. Puis l’invention et la démocratisation d’internet qui nous a permis de communiquer à des niveaux stratosphériques. La pensée d’une seule personne peut aujourd’hui toucher des millions de personnes dans le monde, alors qu’avant, elle n’était limitée qu’à un cercle très petit d’individus.
Le langage a permis de faire passer un message d’un cerveau à un autre cerveau, et même s’il n’est pas parfait, il a permis de transmettre les informations. Le langage est l’intermédiaire de la pensée initiale que nous avons dans le cerveau, mais il n’est pas fiable à 100% – il est souvent prêté à mauvaise interprétation. Il est impossible de comprendre pour l’instant correctement l’idée ou la pensée initiale de son interlocuteur. C’est pour cette raison, que nous avons encore beaucoup de mal à nous faire comprendre, même si paradoxalement le langage a permis le développement de la civilisation humaine.
Nous avons déjà en quelque sorte des interfaces homme-machine, comme l’ordinateur ou le smartphone. Vous avez déjà entendu quelque part que nous avons n’importe quelle information au bout de nos doigts grâce à ces outils. Mais la façon dont nous interagissons avec ces appareils est beaucoup trop lente et peu naturelle et ils ont une très petite bande passante de communication avec notre cerveau.
Les interfaces cerveau-ordinateur vont optimiser ce fonctionnement, car elles vont permettre de communiquer directement de cerveau à cerveau sans avoir besoin de passer par un intermédiaire comme le langage ou l’écriture. Cette technologie permettra à l’humanité d’augmenter ses capacités cognitives en lui donnant des capacités informatiques, éventuellement en fusionnant avec l’IA. Mais elles vont également changer, voire décupler notre productivité et notre créativité.
C’est quoi une interface neuronale ?
Une interface neuronale (ou interface cerveau-machine, ou encore cerveau-ordinateur) est une interface de communication directe entre le cerveau et un système informatique externe. Ces systèmes peuvent être conçus dans le but d’étudier le cerveau, d’assister, d’améliorer ou de réparer des fonctions humaines. En fonction des techniques les interfaces sont plus ou moins invasives pour analyser l’activité électrique des neurones.
Les interfaces cerveau-machine se concentrent principalement sur ces 3 points :
1) L’échelle – combien de neurones peuvent être enregistrés simultanément. C’est la bande passante du nombre de neurones qui sont possibles à analyser.
2) La résolution – le degré de détail de l’information reçue par l’outil – il existe deux types de résolution : spatiale (la précision avec laquelle vos enregistrements vous indiquent comment les neurones individuels fonctionnent) et temporelle (dans quelle mesure vous pouvez déterminer quand l’activité que vous avez enregistrée s’est produite).
3) L’invasivité – une intervention chirurgicale est-elle nécessaire et dans l’affirmative, dans quelle mesure ? Si on doit résumer les différentes de technologies utilisées par les interfaces cerveau-ordinateur, nous avons :
- L’EEG (l’électroencéphalographie) qui a une bande passante de neurones assez grande, mais une résolution spatiale assez faible et une résolution temporelle assez moyenne. L’avantage de cette technologie c’est qu’elle est totalement non-invasive. La plupart du temps, c’est juste un casque doté d’électrodes qu’on pose sur le cuir chevelu qui enregistre l’activité électrique des différentes régions du cerveau.
- L’ECoG (électrocorticographie) – fonctionne de façon semblable à l’EEG qui utilise des électrodes, sauf qu’ici elles sont placées sous le crâne à la surface du cerveau. Méthode qui est plus invasive donc. La bande passante est grande tout comme l’EEG, avec une résolution spatiale faible, mais une meilleure résolution temporelle.
- Les potentiels de champ locaux – est une méthode très invasive qui permet d’avoir une résolution temporelle très bonne et une résolution spatiale moyenne. Cependant, la bande passante est assez faible, car elle enregistre juste quelques neurones. Nous passons ici des électrodes aux microélectrodes – de minuscules aiguilles que les chirurgiens enfoncent dans le cerveau.
- L’enregistrement de neurones unitaires est une méthode très invasive, puisqu’une ou plusieurs électrodes doivent pénétrer dans le cerveau. Sa bande passante est minuscule, mais la résolution temporelle et spatiale est très bonne.
Dans le domaine médical, les EEG et ECoG sont les interfaces cerveau-machine qui sont le plus utilisées et elles sont généralement placées dans la zone de la motricité du cerveau humain. Notamment pour aider les personnes paralysées à utiliser un ordinateur par la pensée.
Les interfaces neuronales sont pour l’instant encore au stade embryonnaire, mais plusieurs entreprises travaillent déjà d’arrache-pied sur cette technologie. Dans les prochaines décennies, cette technologie sera un vecteur économique de très grande ampleur. Il est donc tout à fait logique de voir un tel engouement.
Une nouvelle forme de créativité apparaîtra
De nouvelles formes de créativités et d’arts vont apparaître. Les possibilités des interfaces neuronales semblent grandioses dans ce domaine. Ainsi, notre créativité en sera démultipliée, non seulement avec l’aide des IA, mais aussi avec l’aide des interfaces neuronales.
Le musicien du futur pourrait devenir un chef d’orchestre « neuro-symphonique », en stimulant les neurones, celui-ci créerait des algorithmes capables de procurer des expériences psychiques et physiques d’une autre dimension. Avec l’aide de l’IA qui analyserait les données neuronales du cerveau, ces programmes seraient capables de produire des sons, des musiques, des images, des sensations et des stimulations neuronales en fonction de la spécificité de chaque structure cérébrale. Des milliers, voire des millions de neurones seraient ainsi stimulés, créant ainsi une symphonie neuronale sans commune mesure.
Il sera également possible de produire de la musique “traditionnelle” avec les interfaces neuronales et elles permettront de gagner énormément en productivité. Il suffirait alors simplement d’imaginer une mélodie ou un rythme dans la tête, puis de structurer tous les éléments musicaux avec son esprit.
Les graphistes 3D du futur seront capables de créer des environnements virtuels ou des personnages juste en les imaginant. Les philosophes pourront transmettre plus simplement leurs concepts. Les scientifiques plus simplement leurs dernières découvertes. Imaginez un monde où vous pouvez partager instantanément vos pensées, vos idées, vos sources d’inspiration, les sons que vous avez entendus ou les couleurs et l’atmosphère exacte que vous imaginez avec les gens avec qui vous collaborez. Imaginez à quoi ressemblerait une séance de brainstorming.
Le travail à distance n’en est qu’à ses balbutiements, mais l’interface neuronale l’élèverait à un tout autre niveau. Chacun pourrait se trouver sur différents continents, communiquer ses pensées – ses vraies pensées, ce qu’il voit et ressent en temps réel.
Et bien sûr, notre façon de travailler sera radicalement différente. Pourquoi avoir des ordinateurs portables avec claviers et tapis de souris alors que nous pourrons contrôler directement la machine avec notre esprit ? À quoi ressemblera la collaboration entre le cerveau et l’ordinateur une fois qu’on aura dépassé les simples actions motrices du déplacement de la souris ou de l’appui des touches ?
Il est impossible de savoir avec certitude ce qui se passera, mais je pense que l’avenir nous surprendra. Une chose est sûre : de nouvelles formes de divertissements naîtront, des choses que nous ne pouvons même pas encore imaginer. Essayez de parler du fonctionnement d’internet à une personne vivant au début des années 1900, elle ne pourrait même pas en comprendre les concepts, étant donné que l’informatique n’existait pas encore à cette époque !
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