Il faut agir en homme de pensée, et penser en homme d’action.
Othmar Garithos
Ce texte fait suite à l’article « Pourquoi coloniser Mars » publié plus tôt. Cet article s’inspire entre autres de l’ouvrage Cap sur Mars de Robert Zubrin, Président de la Mars Society, que je vous invite à lire.
Rappelons comment nous avions défini la colonisation. La colonisation de Mars par l’homme recouvre deux réalités, l’exploration et l’étude de la planète par des poignées d’hommes demeurant sur place de longues durées, plus d’un an, et l’établissement de milliers d’hommes sur la planète afin d’y fonder une nouvelle société. Les possibilités évoquées dans la précédente analyse mènent à une question de bon sens. La colonisation de Mars, poste avancé d’exploration ou colonisation de peuplement, est-elle techniquement, économiquement et politiquement possible ? L’exemple des programmes Apollo permet d’en douter. Après une décennie d’efforts impulsés par le président Kennedy, l’homme posa le pied sur la Lune. Et ce fut tout. La colonisation de Mars sera-t-elle dès le départ condamnée à n’être qu’un remake, comme un nouveau record d’altitude à battre ? Non, car Mars n’est pas la Lune. Mars est beaucoup plus adaptée à la colonisation que ce vulgaire planétoïde qui nous sert de plus proche voisin.
Technique et Economie : Mars Direct
L’architecture de mission Mars Direct
L’architecture de mission Mars Direct, défendue par la Mars Society de Robert Zubrin dont la section française est l’Association Planète Mars, permettrait la colonisation de Mars au sens de son exploration efficace, ouvrant la voie à l’arrivée de colons, au coût modique de 800 M$ par duo d’années. La mission Mars Direct répétée tous les deux ans, non tous les ans pour des raisons techniques de trajectoires, donc 816 M$ par duo d’années, permettrait d’atteindre trois objectifs tout en restant économiquement et politiquement faisable :
- Envoyer des hommes sur Mars pour plus d’un an avec du matériel pour une exploration efficace, notamment un véhicule tout-terrain d’autonomie supérieure à 1000km,
- Au fil des missions, faire de Mars le second lieu le plus sûr du système solaire après la Terre par l’accumulation de matériel utile pour l’activité humaine, préalable à toute entreprise d’envergure,
- Entretenir une boucle de rétroaction positive pour l’exploration humaine de Mars. Les découvertes scientifiques sur Mars entraîneront de nouvelles questions de plus en plus concrètes et utiles, à résoudre par de nouvelles explorations de terrain. Le matériel s’accumulant, ces missions deviendront de plus en plus aisées à mener une fois sur la planète.
Mars Direct est essentiellement deux choses :
- Se focaliser sur l’exploration de Mars directement, contrairement aux autres architectures de mission de type croiseur spatial se focalisant plutôt sur un vaisseau dans l’espace, l’exploration de Mars ne constituant qu’une annexe de la vie à bord du vaisseau,
- Et l’ISRU, In Situ Ressource Utilization, c’est-à-dire utiliser comme toutes les explorations réussies les ressources spécifiques de la contrée explorée, Mars, au lieu de tout importer depuis la Terre.
Présentons l’architecture de mission mars Direct et sa spécificité, l’ISRU. Mars Direct se compose de trois phases.
Première phase, l’ERV
La première phase consiste à envoyer avant les hommes un ERV (Earth Return Vehicle) sur Mars, pesant au total 28.6T.
L’ERV est à la fois le vaisseau qui sera utilisé pour le retour sur Terre des hommes arrivant plus tard, et une unité de production du carburant utilisé pour le retour, produit à partir des ressources locales. L’utilité est de ne pas avoir à faire décoller de Terre et amener sur Mars le carburant nécessaire au retour, permettant de grandes économies. L’unité de production est constituée d’un réacteur nucléaire d’ordre de grandeur 100kWe (kilowatt électrique), offrant en bonus 2000kWth (kilowatt thermique), d’un réacteur de Sabatier et d’un réservoir de 6T de dihydrogène. L’ERV atterrirait sur Mars et pendant six mois produirait du méthane par la réaction de Sabatier à partir du CO2 de l’atmosphère de Mars et du H2 embarqué, CO2 + 4H2 -> CH4 + 2H2O. Il produirait également du dioxygène par hydrolyse de l’eau produite par cette réaction de Sabatier : 2H2O->2H2 + O2, les moteurs CH4-O2 étant utilisés comme carburant fusée, notamment par les Falcon Heavy de SpaceX. L’énergie requise pour la réaction endothermique d’hydrolyse viendrait de l’énergie dégagée par la réaction de Sabatier, exothermique.
Le principal enjeu est le refroidissement du réacteur nucléaire, dégageant les 2000kWth, auxquels il faudrait trouver un usage. Peut-être pourrait-elle être utilisée pour chauffer du régolithe afin d’en capter l’eau composant jusqu’à 50% de sa masse.
Deuxième phase, les hommes.
La deuxième phase consiste à envoyer à l’issue d’un voyage de six mois quatre hommes avec le matériel nécessaire, pesant au total 25.2T, dont un véhicule à moteur thermique CH4-O2 d’autonomie 1000km afin d’explorer de vastes surfaces. En même temps, l’ERV pour la mission suivante serait envoyé, servant également de sécurité en cas de défaillance du premier ERV.
Troisième phase, l’exploration.
La troisième phase est l’exploration elle-même, les quatre hommes passent un an et demi sur Mars avant que la trajectoire de retour de conjonction ne soit disponible.
Le moment est venu d’expliquer sommairement les trajectoires permettant d’arriver à Mars et les contraintes qui y sont associées. Ces trajectoires sont particulières et doivent s’inscrire dans le contexte gravitationnel de la Terre, de Mars et du Soleil.
Il est théoriquement possible de foncer de la Terre à Mars en ligne droite, indépendamment des orbites respectives des planètes, mais cette option consommerait trop de carburant pour être envisageable. La Terre tournant autour du soleil à plus de 30km/s, pour avoir une trajectoire indépendante de l’orbite terrestre, le vaisseau devrait accélérer par lui-même à 30mk/s dans le sens contraire au mouvement de la Terre, ce qui est énorme.
Il est infiniment plus économique de suivre une trajectoire plus naturelle dans le champ gravitationnel, une sorte de grand arc de cercle tangent à l’orbite de la Terre et à celle de Mars, seulement possible à coût acceptable sous la forme de la trajectoire de conjonction, disponible tous les deux ans environ. Cette trajectoire de Hohman est particulièrement économique car elle permet de se lancer en suivant l’orbite terrestre, en ajoutant à la vitesse propre du vaisseau, environ 3km/s, les 30km/s de la Terre en rotation autour du Soleil. Une autre trajectoire économe en carburant, la trajectoire d’opposition, est également possible mais ne permet que de passer 30 jours à la surface de Mars, et serait donc réservée à des vaisseaux cargos et non à l’exploration humaine.
Bilan de la mission
Le bilan de la mission est clairement positif. Envoyer 28.6T + 25.2T = 53.8T de matériel en orbite martienne par des Falcon Heavy de SpaceX coûte 3.2 lancers, soit 816M $.
D’une part, cela permet l’exploration de Mars par quatre hommes dotés d’une mobilité de 1000km pendant un an et demi, avec tous les instruments nécessaires à la recherche.
D’autre part, cela permet l’accumulation de matériel à la surface de Mars, un module d’habitation, un véhicule pressurisé, une serre agricole, une centrale électrique, une unité de production chimique, un réservoir de stockage de carburant CH4-O2 et des instruments scientifiques, tout un support pour de futurs colons de peuplement.
Un projet raisonnable
Le grand avantage du plan Mars Direct comparé à d’autres architectures est qu’il reste à la fois techniquement, économiquement et politiquement raisonnable.
Premièrement, la technique. Mars Direct minimise le risque technologique. Le risque d’une mission spatiale repose essentiellement dans les équipements non testables en situation réelle, et Mars Direct n’en utilise qu’un. La technique de propulsion et l’ISRU sont testables et ont été testés dans des conditions reproduisant les conditions réelles. Seul l’atterrissage devrait être testé en direct. Ce critère du risque technologique minimum donne à Mars Direct un avantage sur toutes les architectures nécessitant un rendez-vous orbital autour de Mars, non testables depuis la Terre et son orbite.
Deuxièmement, la politique et l’économie. La mission Mars Direct est possible à coût réduit, 1G$/an/mission, et de mise en place de durée inférieure à dix ans, qui est la durée maximale de focalisation et de pouvoir d’un homme politique déterminé à sponsoriser le succès d’une mission.
Le contraste est clair entre le plan Mars Direct et par exemple le plan des 90 jours proposé par la NASA au président Bush senior. Le coût total était estimé à 400G$ de 1990, soit 940G$ de 2023. Le rapport décrivait la construction préalable à la mission vers Mars d’une spatioport en orbite, c’est-à-dire une infrastructure d’assemblage et d’entretien de vaisseaux en orbite, avec cales sèches, réservoirs de propergol, logements des opérateurs et ouvriers, d’une base lunaire et d’un gigantesque croiseur stellaire pourvu de tout le confort terrestre. Toute cette infrastructure, seulement réalisable grâce à une haute technologie disponible seulement après des décennies de recherches préliminaires, devait rendre possible un voyage de six mois vers Mars permettant aux explorateurs de ne passer qu’un jour et demi à sa surface. Un jour et demi.
Des mythes trop répandus
Le moment est venu de debunker ce qui est souvent cité par le demi-habile comme des facteurs rendant impossible l’exploration humaine de Mars :
- L’exposition des explorateurs aux radiations,
- L’exposition à une gravité réduite durant de longues périodes,
- Les tempêtes de poussière à la surface de la planète,
- La rétro-contamination par d’éventuels organismes martiens.
Les radiations
Premièrement, concernant l’exposition aux radiations, le danger est nul pour les explorateurs.
D’une part, l’exposition chronique aux radiations lors de l’exploration impliquerait une augmentation de moins de 1% de la probabilité de cancer au cours des trente années suivantes, sur une probabilité initiale de déjà 20%.
Le voyage vers Mars est la période quand les explorateurs recevraient la plus forte dose chronique. Les éruptions solaires, SPE (Solar Proton Events) et les rayons cosmiques, l’un maximum quand l’autre est minimum du fait de l’activité magnétique du Soleil, leur feraient subir une dose inférieure à 50rems/an. Sur Mars, l’atmosphère est certes ténue mais, avantage par rapport à la Lune, suffisamment épaisse pour arrêter la majeure partie des rayonnements, réduisant à quelques rems seulement l’exposition chronique à la surface de Mars. Remarquons que l’effet des rayonnements cosmiques est bien connu puisque la moitié de la dose naturellement reçue au niveau de la mer est Terre en est.
D’autre part, des événements brutaux comme des éruptions solaires particulièrement fortes leur feraient subir moins de 50rems d’exposition immédiate, ce qui est sans danger. Et même si ces dernières se révélaient dangereuses, nous savons les prédire avec précision, ce qui permettrait de ne pas lancer de voyage sur Mars si une éruption solaire était prévue dans les six mois.
La gravité
Deuxièmement, concernant l’exposition à une gravité réduite sur de longues durées, pouvant entraîner des problèmes cardiologiques, une perte de masse musculaire et une décalcification des os, les deux premiers problèmes peuvent être résolus par de l’exercice intensif. Quant à la décalcification des os, les cosmonautes redescendant sur Terre après de longs séjours en orbite récupéraient en moins de 48h, donc, les explorateurs récupéreraient en O(jours) sur Mars.
Dans tous les cas, il est possible avec un système de câbles de créer un référentiel tournant engendrant une gravité artificielle. Il suffirait pour avancer d’accélérer seulement quand le câble axial serait tendu dans la direction souhaitée, avec le hab en avant.
Les tempêtes de poussière
Troisièmement, les tempêtes de poussière sur Mars, pouvant recouvrir tout l’hémisphère sud, ne sont pas un danger.
Les plus grosses tempêtes sur Mars sont provoquées par une brusque augmentation locale de la pression atmosphérique par la sublimation de la glace carbonique du pôle sud à l’occasion de l’été austral. La faible pression atmosphérique de Mars transforme toutefois des vents de 100km/h en simples brises de 10km/h, soulevant de la poussière mais à une faible vitesse.
Cette poussière est inoffensive, contrairement à la poussière lunaire, ce qui est un autre avantage de Mars sur la Lune. La poussière lunaire est acérée, usant les équipements en quelques heures, alors que la poussière martienne fut érodée par les vents de l’atmosphère. Répétons-le, l’atmosphère de Mars est ténue mais présente, et extrêmement utile.
La visibilité elle-même serait peu affectée par une tempête de poussière.
Enfin, les atterrisseurs n’utilisant pas de parachutes, comme ceux prévus pour Mars Direct, bouclier thermique et rétrofusées ne seraient pas affectés.
La rétro-contamination
Quatrièmement, la menace de rétro-contamination par des formes de vie martiennes est la plus absurde de toutes. Non pas parce que la vie sur Mars, ou plutôt sous la surface de Mars, n’existe pas, mais parce que la rétro-contamination a déjà eu lieu. Elle a même lieu tous les jours. Dans les deux sens.
La Terre reçoit 500kg de roches martiennes par an et en envoie autant. On estime que la vie peut survivre à un tel voyage spatial. Dès lors, si la contamination par des formes de vie extraterrestres vous effraie, fuyez au plus vite la Terre car vous êtes en ce moment même exposé à un tir de barrage de missiles bactériologiques en provenance de Mars.
Plus fondamentalement, si un microbe n’est pas adapté à l’environnement vivant que constitue la biosphère de la Terre, il ne peut être dangereux. Nous ne sommes pas contaminés par des maladies d’arbres et un marronnier n’attrape pas de rhume.
Dans un prochain article, nous traiterons de la possibilité de colonisation de peuplement de Mars.
D’abord, inévitablement, l’idée, la fantaisie, le conte de fée. Ensuite, les calculs scientifiques. Enfin, la réalisation couronne le rêve
Konstantin Tsiolkovsky
Super article. J’ai beaucoup appris
Occupy Mars !!