Le progrès technologique est intimement lié à la question des ressources énergétiques. La découverte des ressources fossiles a permis à l’humanité d’effectuer un bond technologique sans précédent, mais face à leur raréfaction de nombreuses personnes commencent à douter de la capacité de l’humanité à soutenir une croissance technologique qui améliorera le confort de vie de ses ressortissants.
“Peut-on avoir une croissance infinie dans un monde fini ?”
Voila une phrase qu’on entend de plus en plus souvent. Partie de chez les décroissants, elle a fait son petit bout de chemin pour finalement se retrouver chez une large frange de la population. Partant de ce constat que le monde est fini, et anticipant la stagnation, voire la décroissance forcée du confort et du progrès, ils font le choix de s’y préparer afin de choisir plutôt que de subir.
Le problème central de la thèse est directement lié aux ressources terrestres qui seraient limitées par nature et qui, non seulement, ne pourraient pas soutenir une croissance infinie, mais en plus tendraient à se raréfier à une vitesse fulgurante alors que la population mondiale augmente. La Terre a une fin, certaines de ses ressources aussi, il est vrai. On pourrait cependant développer en quoi ce constat n’est pas catastrophique en soit et que cette limite n’appelle pas à un arrêt de la croissance économique évident.
Mais voyons plus grand. Quand bien même la croissance ne serait pas infinie, qu’appelle-t-on notre Monde ? Où place-t-on sa limite ? Et quelle est notre marge de manœuvre quant à une croissance technologique et énergétique finie ?
Notre Monde ne s’arrête pas à la Terre et cette vision de l’effondrement n’est pas quelque chose de nouveau. En prenant du recul par rapport à nos aînés, nous pouvons aisément affirmer qu’à chaque fois que l’un d’entre eux pensait que le sommet de l’avancement technologique était atteint, il avait tort : la technologie qui sous-tend les objets de notre quotidien relèverait de la magie à une époque peu lointaine.
Pourtant, ce pessimisme techno-sceptique persiste.
Mais tout de même, l’empirisme pur n’étant pas un mode de réflexion, peut-on vraiment affirmer rationnellement qu’il n’y aura pas de stagnation définitive de la technologie simplement parce qu’il n’y en a pas eu jusque-là ? Que jamais aucun plateau ne sera atteint ? Si oui, serions-nous proche de ce dernier ?
Peut-on mesurer le progrès technologique ?
Quand nous parlons d’innovation technologique, sa mesure paraît peu évidente. C’est l’exercice théorique auquel se sont livrés deux des plus brillants esprits européens, Nikolaï Kardashev et John Barrow. Chacun a choisi d’emprunter deux directions a priori opposées : la maîtrise énergétique de l’infiniment grand contre celle de l’infiniment petit.
Kardashev et la capacité à exploiter de l’énergie cosmique
Nikolaï Kardashev est un astronome soviétique qui a développé un concept dans les années 60 appelé “l’échelle de Kardashev” qui vise à établir les différents niveaux atteints par une civilisation (bien que la civilisation humaine soit un concept peu pertinent en soi, c’est en ce sens que le terme est employé par notre scientifique) basé sur la technologie d’exploitation de l’énergie.
Il admet dans cette échelle 3 types de civilisations. Bien que d’autres auteurs en eussent détaillé davantage, il reste pertinent d’en utiliser seulement 3, puisque c’est l’aspect exponentiel de cette évolution qui constitue la base de son concept.
- Type I : la civilisation est capable d’utiliser la puissance totale disponible sur sa planète. C’est un stade que nous maîtriserons avec des énergies à la fois renouvelables et hautement rentables, comme la fusion nucléaire, qui parait de moins en moins loin avec le projet ITER.
- Type II : la civilisation est capable d’utiliser la totalité de la puissance rendue disponible par son étoile. C’est une idée développée dans de nombreuses œuvres de science fiction, et surtout par le physicien Freeman Dyson.
- Type III : la civilisation est capable d’utiliser la totalité des énergies disponibles dans sa galaxie, dont celles produite par les trous noirs et les quasars.
Si vous voulez en savoir plus sur cette échelle conceptuelle, la page wikipédia qui y est dédiée est de grande qualité et très complète.
Barrow et la capacité à manipuler la matière
John Borrow est un astrophysicien. Contrairement à Kardashev, il propose de “mesurer” le développement d’une civilisation par rapport à la taille des objets qu’elle maîtrise.
Bien que la notion de maîtrise soit assez floue, affirmer que nous avons une maîtrise grandissante des nanotechnologies n’est pas excessif, à une époque où leurs applications généralisées ne relèvent que de l’avenir proche. De la même manière, nous avons une maîtrise, même si limitée, des atomes. Bien que nous comprenions certains fonctionnements de particules plus petites que le mal-nommé “incassable”, nous sommes vraisemblablement incapables d’affirmer que nous les maîtrisons.
Du moins pour le moment.
Un double échelle
Plutôt qu’uniquement l’une ou l’autre, je pense qu’il faut considérer les deux, simultanément, pour vraiment appréhender le progrès technologique dans un aspect global. Percer les secrets de la fusion nucléaire d’un côté et découvrir comment capter l’énergie solaire de l’autre pourrait déjà nous offrir des sources d’énergie immenses.
En cela, les échelles de Kardashev et Barrow sont vraiment complémentaires et on se rend compte que sur l’une comme sur l’autre nous disposons de beaucoup de marge.
Une limite ?
Pour penser la limite du progrès technologique, il faut donc se poser la question des raisons pour lesquelles le progrès de la maîtrise de l’infiniment grand ou de l’infiniment petit stagnerait. Nous observons justement une capacité grandissante à manipuler des petites entités matérielles, de même que des avancées dans l’observation de notre univers (et des voyages interplanétaires). Toutes choses étant égales par ailleurs, il n’y a pas de raison qui impose une limite en soi. Si limite il y a, elle est en tout cas suffisamment loin. Dès lors, la seule question qui nous intéresse est de savoir si ces ressources nous seront accessibles et quand.
Alors que certains pensent que l’Intelligence Artificielle nous ouvrira les portes de la singularité technologique, d’autres, comme Aurélien Barrau, diront que nous aurons tellement détruit notre environnement qu’il sera impossible de l’exploiter davantage. Cette vision pessimiste et obscurantiste oublie justement l’innovation technologique, les découvertes de nouveaux gisements, l’augmentation du rendement énergétique, une diminution de la dissipation de l’énergie etc.
Mais nous discuterons cela dans la dernière partie de notre mini série sur l’idéologie mortifère de l’environnementaliste déjà bien trop de fois mentionnée dans le présent article
Malheureusement, il peut aussi y avoir des limites qui ne sont pas réellement imposées par la nature des choses, mais par des erreurs humaines, dans le processus d’innovation. En effet, la technologie avance à un rythme plutôt faible depuis quelques années, comme expliqué dans un précédent article. Nous expliquions cette fois le ralentissement de ce processus par divers phénomènes. Et nous ne savons pas jusqu’à quelle point les problèmes de centralisation, de manque de concurrence, mais aussi le nombre abusif de normes, de réglementations peuvent freiner le progrès technologique.
Le piège techno-optimiste
En réalité, comme nous l’avons vu, il parait peut soutenable d’être techno-sceptique ou techno-pessimiste. Mais ça n’est pas pour autant qu’il faut tomber dans le techno-optimisme béat.
Ce n’est pas parce que les peurs de nos aînés se sont avérées fausses par le passé que les choses suivront leur cours ad vitam eternam. Aussi, nous ne pouvons pas deviner si des innovations technologiques opposeront une sérieuse résistance au progrès, voire si une technologie inventée ne nous condamnerait pas, en tant que civilisation, espèce ou être vivant. Pour ce dernier point, nous pouvons justement penser que le fait de manipuler des technologies et sources d’énergie de plus en plus puissantes représente un danger croissant.
Pour autant, il apparaît fallacieux et extrêmement dangereux de vendre l’idée aux jeunes générations que l’humanité pourrait disparaître d’ici 2050 comme l’a fait Yves Cochet récemment. Il ne faut pas se morfondre dans des discours incapacitants de la sorte. Nous sommes l’Occident, notre esprit prométhéen nous a toujours poussé vers l’avant, notre génie nous a toujours permis de nous en sortir. Ensemble nous trouverons les solutions. Plus qu’une formule magique, c’est cette disposition de l’esprit qui nous permettra de nous en sortir par le haut.
Tout ceci n’est que spéculation.
Pour essayer d’y voir plus clair il me semble qu’il faut creuser un peu plus loin la question.
Je vais commencer par quelques faits et axiomes.
* il faut faire (même si c’est un peu arbitraire) la différence entre innovation de rupture et innovation incrémentale.
* a technologie constante (et uniquement constante) les ressources sont finies
* seules les innovation de rupture augmentent le potentiel de ressources exploitables
* toutes les civilisations se basent sur une ou des innovations de ruptures
* quand une civilisation ne parvient plus à innover elle atteint un “cliquet malthusien”
* de nombreuses civilisations se sont effondrées par le passé, faute d’avoir sur dépasser un cliquet malthusien
* l’innovation de rupture est nécessaire pour dépasser ces cliquets
* pour que l’innovation existe, il faut qu’une certaine forme “d’intelligence collective”, de potentiel cognitif de groupe, existe
* les ressources cognitives dépendent de la capacité cognitive totale globale et du “temps disponible de cerveau” qu’il reste une fois assuré les besoins primaires
* on sait que beaucoup d’innovations ont été perdues ou inexploitées par le passé, le savoir n’est pas toujours une fonction croissante du temps
* une innovation de rupture est une innovation qui permet de s’améliorer elle même, de déclencher une rétroaction positive, d’embrayer une exponentielle. Exemple : plus on extrait de pétrole, plus on a d’énergie pour extraire du pétrole.
* la guerre favorise l’innovation
Partant de la, et en appliquant à la situation actuelle, on peut dire (je fais très succinct, il me faudrait plusieurs articles et citer mes sources pour étayer mes propos, mais ce n’est qu’un commentaire) :
* notre civilisation utilises de plus en plus de ressources cognitives dans autre chose que l’innovation de rupture
* notre civilisation souffre de dysgénisme
* plus il y a de monde, plus il y a de QI supérieurs, mais plus il y a de problèmes “humains” à résoudre aussi
* on “sait” (c’est une étude) que le rythme des innovations doit augmenter pour se maintenir
* notre civilisation étudie explicitement la connaissance, l’innovation, le progrès en tant que sujet et la manière d’optimiser le processus
* nous avons plusieurs pistes actuellement pour les innovation de rupture et plusieurs “territoires” potentiels à explorer : les nanos, le newspace, l’IA, le nucléaire pour l’essentiel.
* dans chacun de ces domaines nous faisons des progrès mais nous rencontrons aussi des “barrières” difficiles à franchir. Chacun de ces domaines peut impacter l’autre très fortement.
* LE TEMPS NOUS EST COMPTE !!!
Cette dernière phrase est la plus importante. Il ne s’agit pas d’être optimiste ou pessimiste : c’est réservé aux ignorants qui ne peuvent qu’essayer de deviner (et selon leur biais cognitifs, ils vont faire pencher la balance d’un coté ou de l’autre).
La dure réalité est que nous sommes en train d’atteindre un cliquet malthusien (ce n’est pas la première fois et les fois précédente ça c’est fait en douleur) et que pour l’instant, malgré d’immenses efforts investit nous n’avons pas encore pu trouver d’innovation de rupture qui permette de relancer un nouveau cycle.
Le nucléaire patine sur la fusion. L’IA se plante sur les routes. Le newspace ne parvient pas à sortir vraiment de l’orbite terrestre. Les nanos n’ont rien proposé encore.
(je vais très très vite, faudrait un article par thème minimum, ce que je dis est très réducteur j’en suis conscient).
Si je prends l’exemple de l’IA : on n’a pas fait de progrès théorique depuis les années 50/60, jusqu’à l’arrivée du big data. Et la boum, en ce moment, c’est le grand retour des réseaux neuronaux, convolutionnels, adversariaux, et tout un tas de publications sur les architectures neuronales, et on fait des trucs de oufs. L’IA faible est déjà présente partout et change déjà le monde en profondeur, accélère l’innovation incrémentale, mais, on bute sur de nouvelles “frontières” (cf les accidents de Tesla qui révèlent de vrais problèmes de fond et qu’on n’est pas prêt à dépasser pour l’instant).
Idem pour les autres domaines (que je ne vais pas traiter faute de temps).
Donc, non, il n’y a pas de limite théorique au progrès, mais il peut y avoir une limite pratique.
Pour l’instant, objectivement, nous sommes dans une civilisation qui s’effondre. Il ne reste pas beaucoup de temps pour trouver la clé qui permettra de rebondir. Parce que historiquement, une innovation de rupture, ça met entre 50 et 100 ans à changer le tissu industriel. Et il n’est pas dit qu’il nous reste tant de temps. Sachant que nous n’avons toujours pas identifié cette technologie de rupture pour l’instant.
Nous vivons des temps passionnants.
Grrr, les saut le ligne sautent. Ca rends les commentaires illisibles. J’ai fait un effort conséquent pour l’écrire.
Vous ne pourriez pas corriger le paramétrage de votre blog ?
Lecteur assidu de Rage, un article par thème ne serait pas de refus 🙂
“je vais très très vite, faudrait un article par thème minimum, ce que je dis est très réducteur j’en suis conscient”, on veut bien que tu écrives un article par thème 🙂 Tes commentaires sont toujours intéressants
La présence de longueurs et d’échecs dans certains domaines ne me paraît pas être généralisable.
Du reste, de grandes limites sont imposées à l’humanité quant à son avancement. Ces causes viennent, pour ma part, d’une bien trop grande socialisation de nos sociétés.
Cette question dépasse largement l’opposition simpliste entre optimistes et pessimistes. L’optimisme n’est pas réservé aux techno-solutionnistes et le pessimisme n’est pas réservé aux écologistes. Laurent Alexandre, par exemple, qui accuse les décroissants-collapsologues d’avoir un discours anxiogène, a lui aussi un discours anxiogène. Quand il nous parle de la « guerre des intelligences », quand il évoque ce monde d’hypercompétitivité où « les Chinois nous rattrapent », quand il aborde « le cauchemar d’Harari » qui va créer « des dieux et des inutiles », je me dis que c’est là un monde dans lequel je n’aimerais pas vivre. À l’inverse, Pablo Servigne, bien que théorisant l’effondrement de notre civilisation thermo-industrielle, est très optimiste au sujet de la « nature humaine ». En cas d’effondrement, il pense grosso modo qu’on va tous s’entraider dans la joie et la bonne humeur. Peu probable, à mon avis. Je pense qu’il y aurait quand même pas mal de violence. Yves Cochet, quant à lui, est réellement pessimiste ; et je trouve qu’il exagère pas mal des problèmes qui sont déjà suffisamment graves. De son côté, Aurélien Barrau insiste tout particulièrement, dans toutes ses interventions, sur la sixième extinction de masse, qui est un fait scientifique avéré. Un fait largement occulté par les techno-solutionnistes, qui se réclament de la science (alors qu’ils défendent surtout la technologie, ce qui n’est pas la même chose), tout en mettant soigneusement de côté les cris d’alarme de l’IPBES, de l’UICN et du WWF. Les cornucopiens ont une vision mercantile et radicalement anthropocentrée de la nature. Ils sont tellement obnubilés par le « progrès » qu’ils voient la Terre comme un vulgaire gisement de ressources à notre disposition, oubliant d’ailleurs que cette planète ne nous appartient pas. Aurélien Barrau ne vous dit pas que « notre environnement [est si dégradé] qu’il sera impossible de l’exploiter davantage » ; il vous dit justement qu’il faut arrêter de « l’exploiter », au sens strictement capitaliste du terme. Le profit avant la vie, c’est ce que nous faisons et ce n’est pas raisonnable. Ce qui nous amène à la première limite du progrès technologique : l’éthique. Dans un article récent, Laurent Alexandre nous invitait à « assumer ». Assumer quoi ? le zoocide ? l’écocide ? La science nous montre très clairement que nous avons déjà exterminé une bonne partie de la diversité biologique sur Terre et les populations d’animaux sauvages se sont déjà effondrées ces dernières décennies. Donc émerge ici une question importante : est-ce qu’on continue comme ça, avec une très forte probabilité d’aggraver les problèmes ? ou est-ce qu’on fait preuve d’un minimum de raison, en appuyant sur le frein ? Comme dirait Jean-Marc Gancille, il faut arrêter de se mentir. Continuer à développer exponentiellement les activités humaines, ça ne peut qu’altérer ce qui reste de la diversité biologique. C’est de la logique élémentaire et ça fait partie des effets pervers bien connus du « progrès » : c’est un jeu à somme nulle. On y gagne en confort en Occident, c’est indéniable. Mais on y perd aussi beaucoup en patrimoine naturel et on entame des stocks qui ne pourront plus être utilisés par les générations futures. Si on se dit que la protection de la biodiversité est une priorité absolue, on doit décroître. Si on s’en fout, on peut continuer le business as usual en se racontant de belles histoires, comme quoi la croissance est formidable pour la vie sur Terre, jusqu’au moment où on va dépasser un seuil écosystémique et où ça va devenir très désagréable pour tout le monde. Même si on parvient à contourner le problème énergétique, avec par exemple la fusion nucléaire, on risque malgré tout un effondrement lié à la destruction de la biosphère, car l’énergie, c’est d’une certaine façon ce qui nous permet d’artificialiser, et donc de détruire la biosphère (cf. « Effondrement puis métamorphose » de Jacques Niederer). La deuxième limite du techno-solutionnisme est de nature physique. Il faut notamment relire les travaux de Nicholas Georgescu-Roegen sur la loi de l’entropie énergétique et la loi de l’entropie matérielle, en s’appuyant évidemment sur la thermodynamique. Toute activité humaine consomme de l’énergie et des ressources. Hélas, le mix énergétique mondial repose toujours, à plus de 80 %, sur les énergies fossiles. On est également dans une logique extractiviste à tendance exponentielle qui finira, un jour ou l’autre, par épuiser les ressources. Difficile de fixer des dates, mais par nature, une croissance exponentielle dans un monde physique limité ne peut guère se maintenir très longtemps. Raison pour laquelle les cornucopiens doivent être cohérents et défendre la conquête spatiale. Jusqu’à présent, nous avons toujours repoussé les angoisses malthusiennes car les problèmes de ressources et d’énergie étaient très localisés. Aujourd’hui, nous jouons avec les limites physiques du système-Terre et il n’y a aucune issue favorable pour la croissance exponentielle si on ne devient pas une espèce multiplanétaire. C’est là qu’émerge une nouvelle question : ne serions-nous pas névrosés ? A-t-on vraiment besoin de coloniser l’espace alors qu’il suffirait de ralentir et de profiter de la vie ? Si la recherche scientifique, notamment fondamentale, est à encourager pour faire avancer la connaissance, je ne comprends pas ce besoin de se mettre un maximum de pression dans une guerre économique mondiale, tout ça pour enrichir quelques actionnaires. C’est absurde. Je pense que nous avons atteint un tel niveau de développement en Occident que nous devrions être capables de nous fixer des limites, en aidant par ailleurs les pays du Sud à se développer, avec un modèle plus vertueux que le nôtre. Les cornucopiens qui défendent l’idée d’une croissance infinie dans un monde fini sont bien souvent dans l’incantation et ne s’appuient sur rien d’autre que sur leur propre croyance quant à l’émergence d’une technologie salvatrice, hypothétique, permise par le génie humain : « On va trouver parce qu’on a toujours trouvé. » Or, comme vous l’écrivez vous-même, on n’en sait absolument rien. La science ne permet pas de l’affirmer avec assurance. C’est même assez idiot comme raisonnement car les tirages sont indépendants et le progrès n’est pas linéaire. Ça peut tout à fait suivre une courbe de Gauss, sous la forme d’une cloche. Et quitte à s’appuyer sur un constat empirique, remarquons qu’il n’y a jamais eu de découplage absolu à l’échelle mondiale entre la croissance du PIB et la consommation de matière/énergie. Donc on peut toujours espérer un miracle technologique pour résoudre tous les problèmes écologiques, mais en attendant, ça n’a aucun précédent historique (notamment à cause du paradoxe de Jevons). Dans une étude récente sur la croissance verte (Is Green Growth Possible?), Jason Hickel constatait même un recouplage relatif ces dernières années. Je termine ce commentaire en vous disant qu’il vaudrait mieux utiliser le mot « progrès » avec des pincettes. Ça évitera de taxer d’obscurantisme le premier venu qui critique la technologie, alors que ça me paraît très sain de se prêter à cet exercice. Un progrès technologique n’est pas toujours un progrès humain, ni même parfois un progrès tout court.
Merci pour votre réponse qui vous aura, au moins, prit du temps. Vous vous en doutez, je ne suis pas d’accord. En ce qui concerne les problématiques écologiques, mon collègue Techno-Prêtre a réalisé une série d’article “Aurélien Barrau contre le progrès”.
Du reste, vos arguments éthiques ne me paraissent ni justes, ni pertinents. En effet, si la terre n’appartient à personne, à qui appartient-elle ? Comment définir une propriété détachée du matériel sachant que le travail résulte du mélange entre des facteurs humains et naturels ? Nos descendants seraient-ils plus légitimes que nous à posséder ce qu’ils posséderont ? Faudrait-il encore plus d’Etat pour réguler davantage nos comportement consuméristes ? Ces réflexions sont absurdes, elles mènent aux mêmes problèmes que les régimes socialistes : une allocation des ressources foireuse (puisque non-basée sur la propriété privée des individus, ou sur une propriété privée avec des restrictions encore plus dures). Vous êtes en vérité prêt à sacrifier la liberté de tous les humains – sauf de ceux qui nous imposeront les limites et qui les respecteront, évidemment – simplement parce que VOTRE grille de lecture “morale” en a décidé ainsi. Certains individus n’en ont que faire du confort, d’autres, si. Certains individus ont le goût du risque et de l’aventure, d’autres non. Mais en tout cas, rien ne me répugne plus qu’un combat tiers-mondiste motivé par la simple survie de l’humanité par la prudence, l’antagonisme déclaré vis-à-vis de la liberté et le rejet du seul système qui fait progresser l’humanité dans son confort et dans sa volonté de puissance : le capitalisme.
Merci d’avoir accepté mon commentaire. Figurez-vous que j’ai déjà lu les articles de votre ami Techno-Prêtre avant de vous répondre. Je les trouve intéressants, mais il utilise malheureusement des sophismes assez grossiers, notamment l’homme de paille, pour disqualifier ses adversaires. Je trouve que ça dégrade considérablement son argumentaire, c’est dommage. Dommage parce qu’il y a des arguments tout à fait recevables, comme par exemple sur le nucléaire. Je regrette que votre collègue n’ait pas écouté plus attentivement « l’excellent Jean-Marc Jancovici », comme il le qualifie lui-même dans le deuxième article de sa série consacrée à Aurélien Barrau. Car Jancovici est certes pour le nucléaire, mais savez-vous dans quel but ? Pour « amortir la décroissance ». Jancovici est un ingénieur très terre-à-terre qui regarde les choses telles qu’elles sont et non pas telles qu’elles devraient être, ce que font par exemple les futurologues avec des idées hautement spéculatives. Or, comme les économistes, la plupart des futurologues projettent leurs fantasmes sur la réalité en ne tenant aucun compte de la « matérialité physique » du monde, pour reprendre une expression de Gaël Giraud. Jancovici a pleinement conscience de la grande accélération qui se déroule sous nos yeux et constate que ça va être difficile de continuer comme ça très longtemps si on se place juste sur le terrain de la physique. Dans sa préface de la dernière version du rapport Meadows, il insistait d’ailleurs sur notre relation, très problématique, avec la limite. Nous refusons d’admettre qu’il puisse y avoir une limite et nous admirons ceux qui dépassent les limites. Votre collègue n’écrit pas autre chose dans son dernier article : « Ils veulent un monde d’équilibre, figé et stable, nous voulons un monde sans limite, changeant et dynamique. » Votre ami devrait sans doute aller vivre aux États-Unis car il me semble que cet esprit est très américain, comme l’expliquait là encore Jancovici, cette fois dans un entretien pour le podcast Atterrissage. Ce qu’on pourrait reprocher à Techno-Prêtre, ce n’est pas tellement qu’il ait cette vision techniciste de l’avenir. Chacun a sa propre vision du monde et c’est très bien comme ça. En revanche, tout comme Laurent Alexandre, il abuse de la caricature et de l’hyperbole ; au point que la pensée écologiste est réduite à une espèce de religion pour illuminés. Ce n’est pas sérieux. Mais revenons à nos moutons… Quand je dis que la Terre ne nous appartient pas, je sous-entends qu’elle appartient à tout le monde et à personne. J’imagine que vous connaissez un peu l’histoire de notre planète et que vous savez comme moi que l’espèce humaine, si on raisonne à l’échelle des temps géologiques, représente à peine un clin d’œil. D’un point de vue éthique, on devrait donc se poser plus souvent la question de savoir si nous avons réellement le droit d’exterminer aussi méthodiquement la diversité biologique. J’espère que vous avez lu le dernier rapport de l’IPBES, notamment le résumé pour décideurs, et que vous avez remarqué que 75 % du milieu terrestre a été « sévèrement altéré » par nos activités. Pensez-vous qu’en accélérant l’expansionnisme humain, nous allons préserver ce milieu ; en sachant que nous vivons déjà au-dessus de la biocapacité terrestre ? J’en doute fortement, pour la simple et bonne raison que l’économie est un système thermodynamique qui dégrade de l’énergie et de la matière, et qui, par conséquent, puise inéluctablement dans le capital naturel. Vous me posez une question sur les générations futures. Hélas, les générations futures n’ont pas leur mot à dire sur ce que nous faisons actuellement. Et si nous ne trouvons pas de solutions pour remplacer le pétrole à moyen/long terme, ces mêmes générations nous en voudront beaucoup d’avoir gaspillé des ressources et de l’énergie pour alimenter des panneaux publicitaires la nuit, des écrans plats dans les boulangeries ou des SUVs climatisés (cf. Philippe Bihouix). Si vous faites comme Nordhaus et que vous attribuez toute l’importance aux générations présentes, on pourrait en arriver à la conclusion qu’il ne faut surtout rien faire et qu’il faut laisser filer le changement climatique (jusqu’à 3,5 °C pour Nordhaus) car les générations présentes seront mortes lorsque ça deviendra vraiment dangereux pour la sécurité internationale. Faut-il alors encore plus d’État pour réguler nos comportements consuméristes ? C’est une question difficile et j’ai l’impression que vous faites un paralogisme en m’associant indirectement au courant autoritaire. Votre grille de lecture à vous, c’est celle de Friedrich Hayek qui considère le socialisme comme la racine du totalitarisme. Pourtant, je ne vois pas ça dans la pensée de Kropotkine, dans celle de Bakounine ou dans celle de Proudhon. Effectivement, l’histoire nous montre que le marxisme a été dévoyé par Staline, mais on ne peut pas mettre à la poubelle tout un courant de pensée avec des arguments fallacieux. Intellectuellement, je me sens proche de la pensée libertaire, donc je me méfie beaucoup de l’État. Je crois à la vraie démocratie, à la liberté politique et à la sobriété épicurienne, donc à l’auto-limitation. C’est, à mon sens, la façon la plus noble et propre de traiter ce problème. Mais j’observe aussi le monde réel et je me rends bien compte que ça va être très compliqué d’éviter un écocide global (élément que vous avez l’air de sous-estimer) sans une puissance réglementaire, précisément parce que nous sommes à présent habitués à certaines libertés écocidaires qui ont le pouvoir de sabrer vos libertés futures et celles des générations suivantes. Bien sûr que c’est formidable de faire le tour du monde en avion, mais si chaque personne sur Terre faisait la même chose, ce serait un suicide climatique. Notre mode de vie occidental n’est pas généralisable à l’heure actuelle et vous le savez. Ce qui pose un vrai et grave problème d’équité internationale et nous place face à des équations insolubles. Je connais bien la pensée libérale car j’ai été formé à ça en école de commerce. Mais je pense que les libéraux ont une vision complètement déformée de la liberté. La liberté, ça n’a jamais consisté à faire absolument tout ce qu’on veut. L’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 nous dit la chose suivante : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Qui met-on dans « autrui » ? Je pense que notre désaccord tient dans cette simple question. Si vous y mettez la biosphère, vous ne pouvez qu’en arriver à la conclusion qu’il faut décroître car notre développement nuit à la biodiversité. Si vous y mettez les pays du Sud, il faut aussi décroître pour leur laisser de la place, vu que le mode de développement du Nord n’est pas généralisable et qu’il repose sur une exploitation du Sud ; sans parler des politiques d’ajustement structurel qui ont souvent des effets désastreux dans les pays pauvres (cf. « La Grande Désillusion » de Joseph E. Stiglitz). Si vous y mettez nos compatriotes ouvriers, il faut encore décroître car le capitalisme est en lui-même une force d’oppression du prolétariat, le travail étant devenu une marchandise qui s’échange sur un marché. Si, en revanche, vous essentialisez l’humanité et que vous considérez que le capitalisme, le libéralisme et la technologie vont toujours dans le sens du progrès humain, social et écologique, alors là, effectivement, vous pouvez défendre des thèses accélérationnistes. Ma grille de lecture morale n’a pas beaucoup d’importance là-dedans. Comme Aurélien Barrau, je me pose juste une question : est-ce qu’on veut la 15G ou est-ce qu’on préfère avoir un monde où la diversité biologique s’épanouit ? Ne rêvez pas, vous n’aurez pas le beurre et l’argent du beurre. Moi aussi j’aime la liberté et je revendique, par exemple, l’importance du temps libre. Or on sait, notamment grâce à Karl Polanyi, que le capitalisme contraint par la logique de la faim et du gain. Les prolos, les 99 %, ne sont absolument pas libres dans ce système économique. C’est le grand reproche que je fais au libéralisme économique, de ne pas voir la nature coercitive du capitalisme. Permettre aux gens de moins travailler, dans une logique de décroissance, ça va dans le sens de l’émancipation. La liberté, ce n’est pas juste la libre entreprise, le libre marché, la libre circulation des capitaux, la libre concurrence et le libre-échange !
Sous prétexte de liberté, d’efficacité, de confort de “progrès” pour tous et d’être plus nombreux, les technutopiste nous amènent tout droit vers le transhumain (qui n’est qu’un humain OGM après-tout – si on ne voit pas le problème avec les plantes ogm pourquoi le verrais-t-on avec les humains OGM ?) car, ce que nous faisons actuellement c’est de la terraformation (ni plus ni moins) … pour les machines ! pas pour le vivant.
Dans le futur, on ne pourra plus vivre sans les machines et toute la planète sera agencée pour les machines. Le vivant ne sera que du carburant ou un réservoir de matériaux pour les machines.
Car le réchauffement ne fais pas peur aux libéraux, ils ont la solution du géo-ingéniering dans les cartons.
Il y a un précédent historique : les cyanobactéries. Elles ont fabriqué l’oxygène qui a permis notre émergence, mais elles se sont empoisonnées et sont reléguées à des écosystèmes de niches.
Quand à l’éthique, quand je vois les vaches à hublot, qui sont tout ce qu’il y a de plus “libéral” (après tout “ce sont mes vaches je fais ce que je veux avec”) … si on ne voit pas les problèmes éthiques que ça pose …
Sous prétexte “de liberté, d’efficacité, de confort, de progrès pour tous et d’être plus nombreux” nous avons mis au point des vaccins dans une médecine de plus en plus performante, par exemple. Il faut vraiment être d’une ingratitude sans égale pour penser l’époque où la peste a tué 30 à 50% de la population européenne comme une situation de nouveau souhaitable.
Vous ne pourrez pas reprocher aux gens de vouloir plus, quand l’alternative, c’est de vouloir peu, et de ne pouvoir toutefois pas la capacité de l’avoir. Rien ne devrait faire plus horreur à un humain que de voir des limites artificielles s’imposer à lui et aux autres. Cependant, rien n’empêche des gens – pour un libéral ou dans une société qui respecte un certain nombre de libertés individuelles – qui ne veulent que se contenter de peu de son contenter effectivement de “peu”. Mais qu’ils ne l’imposent pas aux autres.
Le gauchisme (une forme de néoténie) – que vous combattez ici – est l’effet secondaire inévitable du progrès technologique : plus de progrès = plus de gauchisme.
Attention vous confondez les traits psychologiques gagnant dans une société de soumission et d’abondance avec la néoténie. La néoténie chez l’humain c’est surtout l’allongement de la période d’apprentissage. Nos capacités d’endurances, même chez les enfants, sont incommensurablement plus importante que celle de la plupart des autres animaux terrestres, et à plus forte raison de leurs jeunes.
La liberté ne peut jamais être absolue, à moins de vivre seul sur Terre (et encore, dans ce cas la liberté sera bornée par les lois de la physique). Et plus le progrès nous donnera de la puissance, plus il y aura de règles, normes, lois, pour gérer cette puissance. Quelques exemples : les limitations de vitesse étaient-elles répandues avant l’invention de l’automobile ? La traçabilité de la viande était-elle requise quand on tuait soi-même son animal/quand on mangeait la viande fournie par le voisin ? Le CO2 anthropique était-il un sujet important au XVIIe siècle ?
https://www.youtube.com/watch?v=Q9RiB_o7Szs
Cette petite conférence TED sur les limites technologiques et les moyens de les dépasser est très éclairante je trouve, car elle offre une compréhension globale, systémique, à toutes les petites découvertes qu’on peut lire ici ou la.
Par exemples, les panneaux solaires/batteries sont clairement non scalable avec la technologie actuelle, mais, avec les nanobots, et les percées qu’on fait dans le rendement de la capture et le stockage de l’électricité, il n’est pas dit que dans 10 20 ou 30 ans ça soit toujours le cas.
Cette conférence m’a ouvert les yeux sur l’effet de la miniaturisation, au dela des technos d’informations.
Sans vouloir vous offenser, je vous trouve tout de même un petit peu techno-béat. L’échelle de maîtrise énergétique présentée n’engage à rien. Je pourrais la compléter en ajoutant un stade 4, la maîtrise de l’énergie d’un amas de galaxies, puis un stade 5, d’un super amas, etc. Le fait qu’on puisse conceptuellement imaginer l’existence de ce niveau de maîtrise n’implique aucunement que ce stade évolutif soit réellement atteignable. Quand bien même il le serait, nous sommes encore très très loin d’atteindre le dixième du stade I. De la même façon, que le progrès semble exponentiel depuis la révolution industrielle ne signifie pas automatiquement que nous nous situons bien sur une courbe exponentielle. Qui nous dit qu’on n’a pas affaire à une sigmoïde ? Ou une courbe en cloche ? Tout est imaginable. C’est comme en bourse, une action qui a monté depuis x temps peut très bien continuer à monter, comme elle peut stagner ou se cracher. Tout est ouvert. On ne peut donc pas se contenter de ces spéculations pour en déduire notre avenir. Je préfère raisonner de manière plus large, et plus libre. Mon avis sur la question est que les progrès technologiques sont un petit peu comme l’extraction de ressources. Au début, les progrès sont lents et aléatoires. Puis, une fois que la machine est enclenchée, il y a une dynamique exponentielle, car on engage de plus en plus de moyens pour faire de nouveaux progrès. Mais à un moment, on a épuisé toutes les découvertes faciles, et c’est à ce stade qu’on se trouve d’après moi. Au début, les inventions étaient réalisées par des hommes seuls dans leur petit atelier. Puis, par des équipes de plus en plus grandes. On en est arrivé, par exemple pour les recherches sur la fusion nucléaire, à mener des projets de plusieurs dizaines de milliards de $ qui nécessitent la coopération de toutes les grandes puissances, là où un homme comme Volta a pu bricoler la première pile électrique seul dans son atelier. Et le pire, c’est qu’on n’est pas surs d’aboutir. Concernant les problèmes environnementaux, on ne peut pas juste les balayer d’un revers de la main. Le système capitaliste nous a certes permis d’accroître la production, de repousser la famine. Mais là réside justement son point faible : toutes ces conquêtes se sont faites en consommant des ressources non renouvelables d’une part, en générant destructions/pollutions d’autre part. Donc à un moment il faut comprendre qu’un gain qui se fait au moyen d’une dette est un faux gain. Celui qui fait un festin chaque jour en puisant dans le frigo, que fait-il quand le frigo est vide ? C’est une image mais il y a un peu de cela dans le progrès technique.
“Quand bien même il le serait, nous sommes encore très très loin d’atteindre le dixième du stade I.”
C’est faux, selon Carl Sagan, qui a repris l’échelle de Kardashev, nous sommes à 0.72 actuellement.
Rappelez-vous que c’est une échelle exponentielle.