Le troisième volet de l’adaptation vidéo-ludique de la série littéraire polonaise Le Sorceleur d’Andrzej Sapkowski, The Wild Hunt, du studio, lui aussi polonais, CD Project RED est sorti (avec beaucoup de retard) le 19 mai 2015. Il recevra les récompenses du Jeu le plus attendu en 2014, du Jeu de l’Année et du meilleur Jeu de Rôle en 2015, récompenses largement méritées. En Août 2016 sortira l’édition Game Of the Year qui réunira le jeu et toutes ses extensions, indispensables si vous voulez exploiter le plein potentiel de ce chef d’oeuvre, et je vous montrerai à travers cet article que je pèse bien mes mots.
Dans un univers magique, de fantasy sombre inspirée de l’Europe médiévale, vous incarnez Geralt de Riv, une espèce de mercenaire-mutant-chasseur-de-monstres, un Sorceleur. Cet ordre de redoutables traqueurs-tueurs est en déclin, et vous êtes dès le début mis face à ce crépuscule par la confrontation aux exclusions, mépris, et insultes et que vous recevrez, au moins, des autres humains. Vous ressentirez alors rapidement solitude et rejet, puis tout au long du chemin des retrouvailles avec votre amante, votre “c’est compliqué” de toujours, Yennefer de Vengerberg, puis principalement de votre fille adoptive, en fuite, Cirilla, fille de L’Empereur Emhyr var Emreis et porteuse du Sang Ancien. Ce dernier lui confère des pouvoirs de déplacement spatio-temporel, dont la glaciale, puissante et terrifiante Chasse Sauvage veut s’emparer.
Traité
Néoréactionnaire
Le premier livre de NIMH
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Le premier livre de NIMH
Tout d’abord, on comprend que cette intrigue principale est très intimiste, le fait que vous incarniez une identité prédéfinie, à l’inverse de beaucoup de jeux de rôles en monde ouvert où vous créez votre avatar de A à Z, permet de donner une vraie profondeur et une temporalité aux interactions entre les personnages principaux et vous-même, dont la connaissance ne date souvent pas d’hier. Cependant vous avez une grande marge de manœuvre quant à la personnalisation du héros, autant par votre style de combat (mais nous y reviendrons) que par vos choix qui sellent parfois le destin d’un Baron, d’un village, d’une nation, d’une relation intime ou même d’un personnage lambda… En vérité, je ne sais pas si je fais bien d’employer l’expression “personnage lambda”, parce que tout le monde dans cet univers a une nouvelle et différente personnalité, histoire, voix (si vous les paramétrez en anglais ou polonais), demande, quête à vous proposer. Et même ces quêtes secondaires et autres “contrats de sorceleurs” (je vous rappelle que vous êtes un tueur (uniquement de monstre, à la base…) à gage ), paraissent au premier abord anodins mais peuvent déboucher sur une intrigue des plus complexes, vous emmener dans des lieux des plus terrifiants et vous opposer des difficultés insoupçonnées.
Ainsi, le jeu est émotionnellement très chargé, ne serait-ce que par le contexte, mais surtout puisque vous ferez concrètement face aux aléas tragiques de la vie de manière si brute, cruelle et arbitraire ; à un niveau que vous rencontrerez en fait très rarement dans d’autres œuvres de fiction. Les morts d’innocents, d’enfants et même de nourrissons, les conflits et tensions raciales, les suicides, l’occupation par une grande puissance étrangère, la résistance, le terrorisme, la pauvreté, la famine, l’addiction, l’oppression et la corruption sont autant de thèmes sinistres qui pavent la voie du Geralt vieillissant que vous incarnez. Ces thèmes sont toujours abordés de manière très subtile, dans un juste équilibre réaliste qui ne laisse jamais deviner ni dénonciation, ni provocation. C’est justement la neutralité idéologique de la narration qui rend l’expérience de jeu si immersive. Ici, vous n’êtes pas l’élu, au centre d’une prophétie, invulnérable, autour duquel le destin et l’histoire semblent tourner.
De plus, son environnement est vaste, riche, divers, mais toujours vraiment inspiré du paysage naturel, culturel et architectural européen. Du no man’s land rural de Blanchefleur, aux marais sauvages de Velen, jusqu’aux plaines continentales de Témérie, en passant par les Fjords de Skellige et autres grandes villes rappelant les cités médiévales d’Europe centrale comme Oxenfurt ou la gigantesque Novigrad (dont le port rappelle notamment celui de Gdansk…), vous aurez l’impression de voyager dans un résumé de ce qu’aurait pu être notre continent il y a quelques siècles. On sent que la terre que foulent les bottes de Geralt et les sabots d’Ablette (votre fidèle compagnon équestre) est quand même bien plus qu’une vulgaire plateforme-prétexte à l’histoire.
Cependant, rassurez-vous, vous ne sortirez pas de vos sessions de jeu avec des envies suicidaires, le ton est à l’image du paysage, très varié. Sarcasme, ironie, humour flegmatique digne de nos voisins d’outre-manche, références salaces, diarysmes, euphorie, joie et amitié colorent les dialogues et la narration. Tenez, une sélection de citations assez représentatives de la toute poésie des textes.
Zoltan, votre ami guerrier nain préféré.
“Les femmes elfes c’est comme le bon vin, faut savoir l’apprécier mais perso je préfère une bonne vodka cul sec.”
Lambert, un ami sorceleur.
“Dire qu’un couvin est moche, c’est comme dire que la merde n’a pas très bon goût. Ce n’est pas totalement faux mais ça reste assez loin de la vérité”
“Vas te faire foutre.”
Une passante s’adressant à vous, sans raison aucune.
Une prostituée, à sa collègue de travail.
“J’en ai marre de ce boulot, parfois j’en ai plein le cul…”
“Tu vois, t’as qu’à faire ça, et ils dégagent.”
Un garde, après avoir tiré sur un mendiant à l’arbalète.
Bref, je vous laisse la surprise des riches dialogues que vous aurez avec les trolls des montagnes, véritables maîtres de la syntaxe dans ce monde de lettrés, poètes et orateurs sensés à la langue si délicate.
Vous devinez que votre aventure dans les Royaumes du Nord est semée de détails qui rendent l’expérience vraiment immersive. Que ce soit, comme sous entendu plus haut, la narration et le large panel d’émotions que vous ressentirez ; d’interactions que vous aurez, mais aussi, un grand nombre de minuties comme la variation des prix des poissons par rapport à leur lieu de pêche, les populations d’animaux qui changent en fonction de vos actions (plus vous tuerez de loups, plus il y aura de cerfs) la pousse de la barbe de Geralt (et les coiffeurs et barbiers dont vous pourrez vous payer les services), votre sort d’onde de choc qui fait vibrer et bouger la végétation et l’eau, les rayons de l’aube et du coucher de soleil qui vous éblouissent, les bateaux qui sont endommagés quand vous êtes attaqué à bord … et qui peuvent même prendre l’eau et couler votre cheval qui cherche à manger et à boire quand laissé seul, mais aussi les PNJs (Personnages Non Jouables) vraiment “vivants”. Ils se mettent à l’abri quand il pleut (sauf les enfants qui jouent avec les flaques en général), peuvent éternuer, tousser et avoir le hoquet, discutent des événements et des actualités politiques (où vous avez souvent mis votre grain de sel), vous remercierons pour certains choix que vous aurez effectués … et dont vous aurez parfois du mal à vous souvenir. Vous vous amuserez à chercher les “boss” cachés, les clins d’œils à d’autres monuments de la pop-culture, les nombreuses références subtiles aux livres d’origine, et les innombrables quêtes inspirées des fameux contes de Grimm et Charles Pérrault.
Horreur
Augmentée
Sélection de textes de
Zero HP Lovecraft
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En parlant de contes populaires, il faudrait mentionner le fait que le jeu présente l’intérêt d’introduire des créatures nées du folklore slave, chose assez rare dans les œuvres de fiction “grand public”… ça change des traditionnels trolls et autres gobelins, même si ces derniers demeurent présents. Les nains, elfes et sorcières seront des humanoïdes civilisés, vous ne serez alors pas non plus trop dépaysé du côté de vos alliés (oui bon, plus ou moins c’est vrai). Dommage sur un point seulement : les traductions sont bancales, il aurait été plus intéressant de garder les noms originaux polonais ; qu’on appelle un Wodnik un Wodnik (qu’on peut littéralement traduire du polonais par “Aqueux”, bref “machin-qui-vient-de-la-flotte”, l’esprit des marais dont nous parlons ici) et non pas un “Noyeur” en français ou “Drowner” en anglais, mais aussi le Poroniec, ici “Couvin” et “Botchling” ou encore Rusalka traduit par “Nymphe”.
La richesse est là bien jaugée, la perte des repères fantastiques n’est pas totale. La majorité de ces “nouvelles” créatures sont des monstres que vous affronterez, donc présents dans votre bestiaire une fois rencontrées, vous trouverez alors facilement des informations supplémentaires sur ces bestioles peu connues chez nous.
Quant au gameplay il est assez agréable (bien que parfois pointé du doigt comme le défaut majeur) et reste très correct, à mes yeux, pour un RPG : attaques simples, attaques puissantes, esquives simples, roulades, tirs d’arbalète et quelques sorts. Mais il prend tout son sens quand vous jouez à des hauts niveaux de difficulté, c’est là que vous dépendrez énormément (vous en serez presque obligé) de vos compétences d’herboriste et d’alchimiste. En effet, une fois votre contrat de sorceleur signé, vous utiliserez vos talents d’enquêteur aux sens d’une finesse surhumaine, pour vous renseigner sur la nature de la créature dont la tête vous rapportera quelques belles pièces d’or. Une fois cette connaissance établie, vous appliquerez une huile, spécifique au type de créature auquel vous aurez affaire sur vos lames, préparerez une potion ou bombe adaptée au style de combat que vous adopterez (personnalisation dont je vous parlais plus haut). Tous les bonus étant bons à prendre si le paramétrage de votre partie laisse entendre l’amour du surpassement, vous serez donc récompensé de ce choix par une immersion plus complète dans la peau de notre traqueur-tueur aux cheveux blancs. Le type d’armure que vous porterez (légère, intermédiaire et lourde) sera aussi important puisqu’il déterminera votre vitesse de déplacement, donc votre rapidité dans les combats, de manière proportionnellement inverse au degré de protection offert.
Concernant les extensions (dites DLC), elles valent réellement le coup, contrairement à beaucoup de contenus supplémentaires payants des concurrents, dont je ne citerais pas le nom (Ubisoft et Electronic Aaaaa… trop tard, je ne pouvais m’en empêcher), qui ne seront là que pour renflouer les caisses, et ne sont en réalité que des coups marketing faciles. Ici, ils rajoutent jusqu’à plusieurs dizaines d’heures de jeu à la durée de vie – qui vous prendra déjà une bonne centaine d’heures à terminer – de votre petit bijou .
Revenons justement à nos légendes slaves en évoquant le premier DLC, Hearts of Stone, où le personnage principal de l’intrigue, Olgeird von Everec, est grandement inspiré de la littérature et des légendes autour Pan Twardowski – le Faust ou Peau de chagrin polonais pour vous donner un ordre d’idée – un sorcier qui aurait fait un pacte avec le diable pour recevoir de grandes connaissances et de grands pouvoirs, le tout, autour d’une romance macabre, d’une lugubre histoire de résurrection et d’un destin tragique… Ah lala, pourtant tout le monde sait qu’il ne faut pas conclure un “pacte” avec un étrange inconnu…
Blood and Wine, l’extension principale est quasiment un jeu à part entière ; vous y traquerez, chasserez et affronterez d’immortelles créatures hématophages… Amateurs des comptes et histoires glaçantes inspirées d’un sanglant prince Roumain, vous y trouverez votre compte. C’est d’ailleurs dans cette extension que vous trouverez une quête hilarante, sur la bureaucratie. Je ne sais pas si vous vous souvenez de la scène culte qui moque l’administration publique en l’assimilant à un labyrinthe insensé dans le film d’animation “Les douze travaux d’Asterix” (1976), mais bref, vous la retrouverez magnifiquement réinterprétée ici.
Mais ça n’est pas tout : l’intrigue se déroule à Toussaint, probablement une des plus belles régions fictives jamais créées dans un jeu vidéo. Nous voilà dans un harmonieux et cohérent mélange de Bavière, Toscane et Haute Provence, il ne sera pas rare que vous vous arrêtiez au sommet d’une colline pour admirer un panorama constitué de vignobles d’une villa médicéenne, de cyprès, de chênes verts, de tournesols et autres lavandes à perte de vue … Un enfant du Sud-Est français ne peut qu’être subjugué par la sublimation fantaisiste de terres si proches de celles qui m’ont vues naître. Mais quelles que soient vos préférences culturelles et territoriales, un environnement si chaleureux, enivrant et rayonnant ne peut vous laisser de glace.
Obscure
Accélération
Ebook d’une traduction de textes
de Nick Land, offert à nos tipeurs
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La musique est un élément central dans ce qui a fait la réputation de ce jeu, je ne pouvais donc pas passer à côté. Créée par les compositeurs Marcin Przybylowicz, Mikolai Stroinski et le groupe Percival (qui tient d’ailleurs son nom d’un gnome de l’univers du Sorceleur), elle a su conquérir les joueurs par son originalité, son authenticité, sa cohérence parfaite avec l’ambiance générale et la puissante mise en relief de certaines scènes qu’elle offre. Ce dernier (Percival) est peu connu du grand public, mais mérite un article à lui tout seul : leur répertoire ne compte presque que des chansons traditionnelles européennes, principalement slaves, mais aussi des compositions originales rappelant le haut moyen âge, l’ère Viking ou encore l’Europe Païenne. Cette alliance naturelle entre des compositeurs polonais passionnés par les jeux vidéo et un groupe de musique folk aboutit à un savant et juste mélange entre un orchestre symphonique, chorale, puissants chants féminins et autres instruments à cordes oubliés, comme contemporains. L’environnement musical devient vraiment entier grâce aux bardes, musiciens de tavernes, passants et villageois qui chantent, récitent et fredonnent ; et autres représentations d’artistes et concerts auxquels vous assisterez dans le jeu.
Si vous avez apprécié cet aspect de l’expérience, ou que vous avez été séduit en allant écouter sa bande son (dite OST pour Original Sound Track), je vous renvoie vers l’excellent article de Sky Marshal sur la trilogie Wardruna, que vous retrouverez évidement dans l’onglet musique.
J’en avais entendu parler comme étant un très bon jeu peu après sa sortie, et une amie avec qui nous avions nombre de goûts similaires ne faisait que m’en parler (bon, elle parlait surtout de Geralt en vérité), je me suis donc résigné à l’acheter sans grandes attentes, ne connaissant à l’époque ni les livres, ni les opus précédents (choses auxquelles j’ai remédié aujourd’hui). C’est alors que j’ai découvert une véritable déclaration d’amour à l’Europe, qui nous rappelle à quel point la culture de l’Ancien Monde et de l’imagination suffisent à créer un des meilleurs univers fictifs. J’ai exploré avec enthousiasme les Royaumes du Nord, fais les quêtes secondaires avec plaisir, joué au Gwent ( jeu de cartes DANS le jeu), refait le jeu avec la difficulté au maximum, collectionné les armures, acheté les livres, fais des recherches sur cet univers si riche… Pour finalement écrire cet article et vous faire ressentir, vous rappeler ou ne serait-ce que vous faire toucher du doigt ce que je considère comme une sortie majeure dans la pop-culture du monde occidental.
Il en ressortira, et ce de manière plutôt unanime, que tout cela semble être bien plus qu’un simple jeu. Malgré une interface peu ergonomique, certaines textures, comme l’eau, assez basiques, une maniabilité parfois moyenne, une difficulté inégale, je considère TW3 comme étant bien plus qu’un excellent jeu-vidéo, désormais, au moins, référence du RPG, notamment concernant les domaines de la narration, de l’écriture des dialogues, de la cohérence d’un univers, de l’interaction avec l’environnement et la beauté du territoire où vous évoluez. Nous sommes face à une des preuves que le dixième art en est bien un, et qu’il est total.
Le petit studio européen CD Project RED, nous a montré qu’il était possible de rivaliser avec des géants américain ou japonais du genre, ce qui est déjà une prouesse. Mais surtout que les jeux solos hors ligne ne sont pas morts, tant qu’il y a quelque chose d’intéressant à raconter et à faire vivre.
The Witcher 3 – The Wild Hunt est un chef d’œuvre, parce que son univers est riche, soigné et prend racine dans des histoires, légendes et cultures auxquelles nous sommes solidement attachées. Mais aussi parce que le jeu n’est ni manichéen, ni répétitif, mais vraiment cohérent et plein de surprises, incarnant donc quasiment tout ce que nous attendons du jeu vidéo de rôle moderne. Il ne reste plus qu’à espérer qu’il ne soit pas seulement un courant d’air frais dans la tendance qu’a notre industrie vidéo-ludique à “s’arcadiser” – à la consommation compulsive de contenus artistiques sans profondeur – mais une vraie opportunité de remettre la complexité, l’exhaustivité et la sophistication au centre de ce loisir au potentiel infini.
Bon article ! Pour Novigrad on voit clairement l’inspiration des villes de la ligue Hanséatique, un mix de Hambourg / Gdansk / Riga. Oxenfurt m’a également un peu fait penser à Cracovie (malgré le nom germanique), ancienne capitale reléguée au second plan sur les bords d’un grand fleuve (type la Vistule), ainsi qu’ancien pole universitaire de la région (au même titre que l’université Jagellonne de Krakow).
L’histoire et la culture polonaise irrigue le jeu, ce qui n’est pas très commun, et c’est ce qui en fait en partie son intérêt
Excellente précision, merci !
Bonjour,
Des “jeux vidéo” s’écrit comme ça !
Merci beaucoup, c’est corrigé !
Des jeux beaux qui t’en mettent plein la vue, il y en a des centaines, mais Witcher 3 c’est vraiment un cas à part, le jeu est d’une profondeur inégalé en terme de background, tout colle rien ne dépasse, quand une équipe travail main dans la main (musique,histoire,graphisme,gameplay) ça se sent et ça donne un résultat bluffant
Déjà j’avais adoré le 2 qui était tout aussi bon en histoire et rebondissement, mais passer dans un monde ouvert avec le cheval c’était juste ce qu’il manquait pour oublier de rendre tes quêtes quand tu arrives en ville 😀