Jack et Oskar, ces jumeaux séparés à la naissance et élevés pour l’un dans l’Allemagne nazie et pour l’autre dans la religion juive, constituent un sujet d’étude unique. Qu’est-ce qui distingue les membres de la famille ? La similarité génétique semble être un bien meilleur prédicteur que les facteurs environnementaux, selon des études d’adoption et des recherches sur des jumeaux.
La génétique de personnalité
L’idée que les humains puissent hériter de certaines tendances comportementales suscite le scepticisme de nombreuses personnes, en particulier aux États-Unis où elle semble en contradiction avec les idéaux égalitaires et évoque un spectre de “déterminisme biologique”.
Pourtant, des recherches en génétique comportementale ont montré, comme le déclare Richard Rose de l’Université d’Indiana, “qu’aucune dimension du comportement ne semble à l’abri des effets de l’expression génétique”. La génétique comportementale consiste à tenter de quantifier les contributions génétiques et environnementales relatives aux différences de comportement entre individus au moyen de questionnaires et de tests objectifs.
Ces outils de base des études d’adoption sont utilisés depuis plus de 100 ans et ont été introduits pour la première fois en Angleterre par Sir Francis Galton. La fameuse déclaration de Galton selon laquelle, au sein d’une couche donnée de la population, « la nature prévaut énormément sur l’éducation » constituerait une hérésie pour la plupart des spécialistes des sciences sociales. Cela implique en effet une fausse dichotomie compte tenu de l’interdépendance des influences génétiques et environnementales. Cependant, les recherches suggèrent que la perception essentialiste de Galton est plus proche de la vérité que les interprétations extrêmement environnementalistes du comportement humain qui ont prévalu après la Seconde Guerre Mondiale.
Au cours des dernières décennies, les jumeaux et les adoptés ont été utilisés pour séparer les influences environnementales des influences génétiques pour une grande variété de traits à la fois normaux et pathologiques. Selon J. Philippe Rushton de l’University of Western Ontario, les caractéristiques et les conditions pour lesquelles des héritabilités substantielles ont été détectées sont notamment les suivantes : “psychose maniaco-dépressive, attitudes politiques, schizophrénie, sexualité, sociabilité, valeurs et intérêts professionnels.” Les sujets de recherche peuvent être divisés en trois parties : la psychopathologie, les capacités cognitives et la personnalité.
Les études familiales indiquent depuis longtemps que les gènes jouent un rôle dans le développement des maladies mentales, et des recherches plus récentes sur la biologie moléculaire ont révélé des indices sur des causes biochimiques et génétiques spécifiques, comme en témoigne la récente identification d’un, peut-être deux, gènes de la maniaco-dépression. De telles études ont également documenté à maintes reprises l’héritabilité substantielle des capacités cognitives telle que mesurée dans divers tests de QI, bien que ce domaine controversé sur le plan politique continue à être débattu.
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La personnalité est le domaine du comportement humain le plus récent à avoir été soumis à la méthodologie de la génétique comportementale. Comme pour le QI, l’absence d’indicateurs biologiques signifie que l’évidence se résume à des statistiques. Le psychologue Irving Gottesman de l’Université de Virginie, qui a créé le premier département de génétique comportementale du pays à l’Université du Minnesota au début des années 60, compare la situation à un procès : “mais si vous accumulez suffisamment d’informations, cela persuadera un jury impartial que quelque chose s’est réellement passé”. Ce que des études ont révélé au cours des dernières années pose un défi fondamental à la sagesse conventionnelle quant à l’importance de l’environnement de l’enfance.
C’est que l’environnement partagé par les membres de la même famille a peu ou pas de rôle dans la production des similitudes de personnalité qu’ils présentent. Comment le sait-on ? En majeure partie grâce aux études faites sur des jumeaux séparés à la naissance, dont Robert Plomin est devenu une référence. Et plus le milieu social dans lequel les jumeaux ont grandi diffère, plus ils deviennent un sujet d’étude intéressant.
Les similarités comportementales des jumeaux
À ce jeu, Oskar Stöhr et Jack Yufe qui furent séparés à 6 mois et élevés, pour le premier, en Allemagne Nazi et, pour le second, à Trinidad dans la religion juive représentent les sujets idéaux. Quand Oskar et Jack sont arrivés à Minneapolis pour participer à l’étude de Thomas J. Bouchard, psychologue à l’université du Minnesota, sur des jumeaux identiques élevés séparément, ces jumeaux dans la quarantaine avancée ne s’étaient rencontrés qu’une fois auparavant deux décennies plus tôt.
Néanmoins, Oskar, élevé en tant que catholique en Allemagne, et Jack, élevé par son père juif à Trinidad, se révélèrent avoir beaucoup de points communs dans leurs goûts et leurs personnalités, y compris leur tempérament précipité, leur sens de l’humour idiosyncratique et leur goût pour la compétition (il se lancèrent dans un concours afin de déterminer qui lave le mieux une fenêtre de voiture). Ils portaient tous les deux une chemise bleue avec des épaulettes et 2 poches à l’avant qu’ils avaient acheté respectivement en Allemagne et Israël, une paire de lunettes rondes à monture d’acier, un bracelet similaire au poignet et arboraient la même moustache.
Plus étonnant, ils avaient eu la même idée de se cacher derrière un pilonne afin d’observer leur autre jumeau avant de l’aborder. Un stratagème non payant qui sera révélé une fois la foule dispersée, mettant à nu les deux frères. Le phénomène relevé le plus incongru est sûrement l’habitude qu’ils avaient développée chacun de leur côté consistant à tirer la chasse d’eau avant de faire leurs besoins.
Des trajectoires opposées de ces jumeaux juif et nazi
Oskar et Jack sont nés en Janvier 1933 dans les Caraïbes dans la ville de Port-au-Prince, Trinidad, de parents étant venus chercher leur fortune sur le nouveau monde. Ils sont le fruit de l’union d’une Allemande des Sudètes et d’un père juif de Roumanie qui se sont rencontrés sur le bateau. Ils auront une première fille en 1931, avant de donner la vie à ces jumeaux qui ne se côtoieront que 6 mois avant qu’Oskar prenne la direction de l’Allemagne avec sa mère et sa soeur, alors que Jack restait sur l’île de Trinidad avec son père.
Chaque jumeau donnera une version différente des raisons de la séparation. Pour Oskar, sa mère ne voulait pas se convertir au judaïsme alors que Jack avancera que son père était un coureur de jupons. La dernière raison semble la plus probable, étant donné que leur père était peu religieux. Il forcera malgré tout Jack à se rendre à la synagogue que lui-même ne fréquentait pas.
Oskar et sa soeur seront finalement élevés par leur grand-mère, une femme sévère qui les corrige avec un bâton quand ils font des bêtises, alors que leur mère déménage à Milan pour des raisons professionnelles. Une situation inhabituelle leur vaudra les moqueries de leurs camarades. Oskar grandira alors dans la haine de son père a qui il rêve de mettre une bonne correction mais n’aura jamais la chance de le revoir avant sa mort à 66 ans.
Sans surprise, les jumeaux développent des identités radicalement différentes. Oskar suivra les Jeunesses Hitlériennes pour lesquelles il est très enthousiaste et se considère allemand et catholique quand dans le même temps Jack se revendique anglais, juif et Trinidadien et témoigne d’une haine féroce pour son côté allemand.
Le principal d’Oskar le convoquera et le questionnera sur le nom de son père Yufe. Oskar s’en sortira en prétendant que c’est d’origine française mais lorsque la Seconde Guerre Mondiale éclate, les SA viennent les chercher lui et sa soeur. Par chance, leur Oncle, lui-même membre des SA, intervient pour leur éviter de se faire emmener en mettant en avant qu’ils sont ses neveux élevés dans la foi catholique. Loin de doucher son enthousiasme pour les Nazis, il les soutient encore et croit à leur victoire jusqu’à la fin. Tous les 2 feront des cauchemars où ils se voient s’entre-tuer dans cette guerre fratricide qu’est la Seconde Guerre Mondiale.
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Suite à une première lettre envoyée par leur mère, c’est Jack qui établit le premier contact et émet le souhait de rencontrer son frère Oskar. Il joint au courrier une photo de lui et ses camarades de classe qui choc Oskar car il est avec des “Mulattoes” et “negroes” selon ses mots dans une interview accordée à la BBC, ce qui est impensable pour lui qui a grandi dans l’idée de la ségrégation raciale.
Leur première rencontre sera très froide et ponctuée par leur divergences politiques marquées. Seul un rejet commun du communisme permettra de trouver un terrain d’entente. Ils vivront très mal ces retrouvailles et il s’en suivra un long silence de 20 ans entre les deux hommes, ponctué par une ou deux lettres, jusqu’à ce jour où la femme de Jack porte à sa connaissance l’étude de jumeaux que souhaite faire le docteur Bouchard. Enthousiasmé par l’idée, Jack reprend contact avec Oskar qui est lui aussi séduit et y voit sa dernière chance pour faire connaissance avec son jumeau. Ils deviendront les premiers jumeaux étudiés au sein de la Minesotta Twins family study et resteront les sujets avec les environnements sociaux les plus distinctifs.