“L’endiguement de la Chine, qui a des visées hégémoniques planétaires, doit être sur la liste des menaces” – Interview de Guy Millière

L’universitaire Guy Millière, désormais installé aux USA en 2016 et l’un des plus fameux (et des seuls) commentateurs francophones à soutenir Trump, nous a fait le plaisir de répondre à nos questions que nous avons divisées en 3 volets distincts : les USA, l’Europe et Israël. Guy Millière est un fervent soutien à l’interventionnisme américain afin de remodeler le monde en faveur de l’Occident. Libéral convaincu, il jette un regard très critique non seulement sur l’étatisme français, mais aussi sur l’expansion de l’Islam en Europe. Dans l’entretien suivant, il nous livre sa vision sur l’OTAN et l’Union Européenne.

Selon vous, comment l’OTAN doit-il se reformer afin de s’adapter aux menaces actuelles et comment interprétez vous la volonté des USA de ne plus financer la défense de l’Europe?

L’OTAN doit se positionner aujourd’hui comme alliance de défense du monde libre face à ce qui le menace. La menace n’est plus soviétique. Pour l’Europe centrale, elle est russe encore. Plus largement, elle est incarnée par le terrorisme islamique, et par des Etats voyous tels que l’Iran et la Corée du Nord. L’endiguement de la Chine, qui a des visées hégémoniques planétaires, doit être sur la liste des menaces. La présence de la Turquie dans l’OTAN pose problème, car le régime Erdogan est islamiste, mais l’administration Trump considère qu’il vaut mieux que la Turquie soit dans l’OTAN plutôt qu’à l’extérieur, car sa présence dans l’OTAN permet de faire pression sur elle et d’éviter qu’elle ne dérive vers des positions plus ouvertement hostiles à l’Occident. L’attitude de l’Union Européenne et de pays tels que la France et l’Allemagne pose problème aussi, car l’Union Européenne, la France, l’Allemagne, sont souvent sur une ligne d’apaisement vis-à-vis du terrorisme islamique, et vis-à-vis des Etats voyous et de la Chine. La France et l’Allemagne ont voulu continuer à commercer avec l’Iran après que les Etats-Unis eurent pris des mesures d’endiguement à l’encontre du régime des mollahs et ont voulu s’aveugler sur les conséquences de la course à l’arme nucléaire du dit régime. La France et l’Allemagne sont même en train d’élaborer un mécanisme de contournement des mesures d’endiguement, ce qui est scandaleux, et criminel. Donald Trump considère que le fait que les Etats-Unis continuent à financer la défense de l’Europe sans que l’Union Européenne et des pays comme la France et l’Allemagne se conduisent de manière digne et responsable face à des dangers tels que ceux que je viens d’évoquer n’est pas admissible. Il demande des preuves d’amitié à l’Union Européenne, à la France et à l’Allemagne. Il trouve inadmissible que des pays d’Europe soient sous le parapluie de la défense américaine et y vivent en assistés permanents, sans vraiment financer leur propre défense, et en prenant des positions parfois scandaleuses, voire criminelles. Il veut que ces pays financent davantage leur propre défense, cessent de se comporter en assistés permanents, et se placent face à leurs responsabilités.

Dans votre ouvrage Comment meurt une civilisation, vous comparez l’Union Européenne à l’Union Soviétique et prédisez son effondrement. Comment cet effondrement aura lieu ? Sur quoi peut-il déboucher ? Quelles sont les perspectives d’avenir pour l’Europe ? Quelle alternative à l’UE dans le contexte d’un monde multipolaire ? Si cette dernière s’effondre, ne faudrait-il pas la remplacer par une nouvelle structure ?

L’Union Européenne est très fragilisée aujourd’hui. La construction européenne a été conçue pour éviter que l’Europe ne soit à nouveau la source d’un conflit mondial. Et vouloir éviter cela était pleinement légitime. Vouloir à cette fin une coopération synergique entre les pays européens était aussi légitime. Malheureusement, un certain nombre de présupposés tout à fait explicables ont créé les bases d’une dérive. Il a été considéré que la source de tous les maux européens avait été le nationalisme, et il a été décidé de combattre tout nationalisme en Europe et de remplacer les identités nationales par une identité européenne entièrement fabriquée. Il a été considéré aussi qu’Hitler était arrivé au pouvoir par la démocratie et avec le soutien des grandes entreprises capitalistes allemandes, et qu’il fallait limiter les prérogatives démocratiques des peuples européens, placer la liberté d’entreprendre sous contrôle, et donner le pouvoir à des gens considérés comme ayant les idées justes aux fins qu’ils donnent forme au futur de l’Europe. Il a été considéré enfin que des armées puissantes pouvaient être source de danger en Europe, et que la pauvreté qui régnait en Allemagne au moment de l’arrivée au pouvoir d’Hitler avait joué un rôle crucial dans cette dernière. La construction européenne s’est effectuée sur la base de ces présupposés, et l’Europe s’est construite dès lors contre les identités nationales, contre les prérogatives démocratiques des peuples européens, contre la liberté d’entreprendre, contre toute forme de puissance militaire des pays européens, et sur la base de l’idée que des États providence puissants et redistributeurs devaient se mettre en place. Le pouvoir en Europe a été pris par des gens qui se sont autoproclamés comme ayant les idées justes, et les idées justes ainsi mises en place ont servi à classer les partis politiques : être contre l’Europe a été considéré comme avoir des idées fausses et dangereuses et a conduit à la marginalisation de qui avait des idées fausses. Un processus idéocratique s’est mis en place et se poursuit jusqu’à ce jour. L’Union Européenne est gouvernée aujourd’hui sur un mode étrange et empli de simulacres : il y a un parlement, mais ce parlement ne peut voter des lois et n’a donc pas de pouvoir législatif.  Il y a une Cour de justice censée être chargée de veiller sur l’application des règles de l’Union Européenne dans chaque État membre, mais elle n’est pas gardienne du droit à la façon de la Cour Suprême américaine, mais gardienne de règles proclamées par un pouvoir exécutif qui n’a aucun compte à rendre à un pouvoir législatif. Il y a une Cour européenne des droits de l’homme qui s’appuie sur une Convention européenne des droits de l’homme, mais n’a aucun pouvoir véritable (ce qui veut dire qu’il n’y a pas de pouvoir judiciaire européen). Il y a enfin un pouvoir exécutif, le seul qui compte : il repose sur des réunions de chefs d’État et de gouvernement qui confient les décisions à prendre à des commissaires non élus dont les décisions deviennent des règles censées valoir dans tous les pays de l’Union. Les commissaires ont pour mission de poursuivre la construction européenne et sont choisis pour cela par des politiciens qui ont les idées justes, car les politiciens qui avaient des idées fausses avaient été poussés vers les marges. Les peuples européens ont accepté ce mode étrange de gouvernement car on leur faisait miroiter un avenir radieux. Ils ont commencé à déchanter quand ils ont perçu que la démocratie était confisquée. Puis, pour une partie d’entre eux, ils en sont venus à se révolter. La révolte est celle incarnée par les partis et mouvements définis comme “populistes”: ces partis et mouvements peuvent diverger en matière d’économie, mais ils défendent tous les identités nationales et la souveraineté démocratique face aux commissaires non élus. Ils sont favorables à une Europe des États nations souverains décidant souverainement de coopérer entre eux. La dimension idéocratique de la construction européenne a été soulignée par le dissident russe Vladimir Boukovski qui a dit que le mode de fonctionnement et de prise de décision de la Commission Européenne ressemblait nettement au mode de fonctionnement du Soviet Suprême, et c’est terriblement exact. Le système soviétique était un système idéocratique. La construction européenne est un processus idéocratique. Un processus idéocratique a pour caractéristique de tenter de remodeler les sociétés et les hommes depuis des idées décrétées justes. C’est toujours et partout un processus liberticide et destructeur. C’est toujours et partout un processus qui finit par s’effondrer et qui suscite des révoltes. La révolte est là en Europe. L’avenir dans ces conditions ? Ou bien la révolte qu’incarnent le Brexit, Orban, Salvini, gagnera du terrain, et l’Union Européenne s’effondrera pour laisser place à une Europe des États nations, ou bien l’Union Européenne parviendra à endiguer la révolte et se donnera les moyens de persister, et en ce cas, un effondrement se produira sous une autre forme. Cet effondrement est déjà enclenché. La situation démographique de l’Europe est catastrophique. L’islamisation gagne rapidement du terrain. Les États providence européens sont en faillite. La croissance économique est presque partout en berne. Le poids économique de l’Europe sur la planète décroit. L’Europe est faible militairement et compte de moins en moins géopolitiquement. Le futur du monde sera dominé par les États-Unis ou par la Chine. Si les États-Unis parviennent à rester la première puissance du monde, ce qui implique que les démocrates soient battus en 2020 et que l’action menée par Donald Trump se poursuive, ce futur sera fécond pour la liberté. Si la Chine parvenait à mener à bien son entreprise hégémonique, le futur serait beaucoup plus sombre. La Chine fonctionne selon un système idéocratique. Elle détruit la liberté. Elle échappe pour l’heure à l’effondrement et à la révolte de sa population. Cela pourra-t-il durer ? Les démocrates aux États-Unis en tout cas pratiquent l’aveuglement volontaire face au danger chinois et vont parfois jusqu’à la complicité avec lui, car ils ont des désirs idéocratiques. Les dirigeants de l’Union Européenne pratiquent eux-mêmes l’aveuglement volontaire lorsqu’il s’agit de la Chine, et pratiquent souvent la complicité active avec le système chinois pour des raisons évidentes : les dirigeants de l’Union Européenne sont eux-mêmes des idéocrates. La plupart des pays d’Europe occidentale coopèrent ainsi avec l’entreprise chinoise Huawei, qui leur propose de s’équiper en 5G à des prix très bas, et ils ne s’aperçoivent pas que derrière le 5G de Huawei, il y a des objectifs de contrôle de l’information sur la planète entière et des dimensions militaires. Peut-être le voient ils et l’acceptent-ils.

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N’estimez-vous pas plus pertinent de tenter de la réformer au lieu de la quitter ? Après tout, l’UE n’est qu’un squelette reflétant les défauts des élites des États-nations qui la composent, ses commissaires étant nommés par nos chefs d’Etat.

Quitter l’Union Européenne est très difficile. Un pays qui entend le faire s’expose à des chantages, des menaces, des mesures punitives, ce qui montre en soi que l’abandon de souveraineté qu’implique l’entrée dans l’Union Européenne est censé être irréversible. Ne pas appliquer les décisions prises par la Commission expose le pays contrevenant à des sanctions. La Commission est au service de la construction européenne telle qu’elle a été conçue, et au service du processus idéocratique. Les dirigeants des pays d’Europe occidentale sont eux-mêmes au service de la construction européenne telle qu’elle a été conçue, et au service du processus idéocratique. Chaque pays membre nomme un commissaire, et la nomination doit avoir l’assentiment des autres pays membres, et au vu de ce que sont les dirigeants des pays d’Europe occidentale, la Commission ne peut changer, et les quelques victoires “populistes” n’auront aucun poids. Imaginer que la Commission puisse devenir autre chose impliquerait d’imaginer que les pays d’Europe occidentale voient des victoires “populistes” survenir. Cela me semble trop imaginer : l’Union Européenne dispose de moyens de pression immenses et la peur du “populisme” disséminée dans l’atmosphère joue et continuera sans doute à jouer un rôle majeur. Les récentes élections européennes l’ont montré. Les mouvements qui ont régi l’Union Européenne depuis des décennies ont reculé, mais ils dominent toujours. Les mouvements “populistes” sont au pouvoir dans cinq pays sur vingt-huit, essentiellement en Europe centrale où des peuples longtemps placés en situation de “souveraineté limitée par l’Union Soviétique n’ont pas envie d’être placés en situation de souveraineté limitée par l’Union Européenne et d’échanger un système idéocratique contre un autre. Un seul des pays où des “populistes” gouvernent est en Europe occidentale, l’Italie. Le Brexit n’est toujours pas une réalité, chantages, menaces, et mesures punitives déferlent sur le Royaume-Uni, et il n’y aura vraisemblablement pas d’autre sortie de l’Union Européenne. Même si, stricte hypothèse, les mouvements “populistes” devaient l’emporter dans l’essentiel des pays d’Europe occidentale, ce qui me semble quasiment impossible, ce sont toutes les structures européennes qui seraient à reconstruire, de fond en comble. Ce qui poussera l’Union Européenne vers l’effondrement, c’est ce que je pense aujourd’hui, ne sera sans doute pas une vague “populiste” aux allures de lame de fond, mais la crise démographique et l’islamisation. Une crise majeure touchant une dimension de l’Union Européenne dont je n’ai pas encore parlé, l’euro, peut aussi survenir. La monnaie unique européenne est la monnaie de dix-neuf pays de l’Union Européenne, et tous les pays d’Europe occidentale à l’exception de la Suède font partie de la zone euro. Une monnaie unique implique l’existence d’une zone monétaire optimale, autrement dit, et entre autres, une convergence des politiques économiques, un budget commun, des règles sociales communes. Deux décennies après la création de l’euro, la zone euro n’est toujours pas une zone monétaire optimale. Les variables d’ajustement qui existaient avant la création de l’euro, telles la dévaluation de la monnaie, n’existent plus. L’euro est devenu une monnaie sous évaluée pour des pays comme l’Allemagne, et surévaluée pour des pays comme la France, ou, plus nettement encore, la Grèce, l’Italie ou l’Espagne. Les conséquences sont très lourdes : la croissance dans ces pays souffre plus nettement qu’ailleurs en Europe, la pauvreté, le chômage et les déficits commerciaux sont très élevés. La crise grecque a été provisoirement résorbée, mais la Grèce est un petit pays, onze millions d’habitants. Une crise bien plus grave pourrait prendre forme en Italie et avoir des effets bien plus déstabilisateurs. La Banque centrale européenne fera tout pour éviter ces effets, mais il n’est pas certain qu’elle y arrive. Et une crise de l’euro pourrait aisément faire trembler tout l’échafaudage de la construction européenne.

4 comments
  1. Je souvent lu Guy Millière, notamment ses articles sur l’islamisation de la France. Très bon.
    Mais la, je dois avouer que je n’ai pas tenu le premier paragraphe.

    Première phrase : “L’OTAN défends le monde libre” …

    Je ne veux pas être désobligeant, mais il y a encore des gens pour affirmer ça en 2019 sans exploser de rire ?

    Monde libre … libre de quoi au juste ?

    Et cette vision manichéenne “les gentils contre les méchants”, c’est digne d’un Disney pour gamins de 4 ans, mais après, normalement, on grandit.

    Je sais bien que mes propos sont limite troll mais franchement quand je lis “l’otan défends le monde libre”, je ne sais pas quoi répondre d’autre …
    Je lis beaucoup d’analyses géo-politiques, et aucun de ceux que je lis ne dit plus ça, ça n’est pas sérieux, pas crédible, ça ne mérite même pas une réponse argumentée, juste une moquerie.

    2ème phrase : la France complaisante vis à vis de l’Iran, des états voyous, etc…
    La encore, on est dans l’analyse ultra-partisane.

    Et le pacte de Quincy il en fait quoi ? La barbarie saoudite ce n’est pas un état voyou ? Et les US qui font une guerre tous les 5 ans pour, non pas apporter la démocratie, mais pour mettre un dictateur à leur botte, et à défaut, détruire un pays …

    Millière à un énorme biais pro Israël (de mémoire), et tout découle de la.
    C’est son droit. Je ne critique pas ça.

    Il ne s’agit pas de dire que les USA sont les méchants non plus : pas plus que les autres. Les pays défendent TOUS leurs intérêts, à l’international et en interne. Ils ont tous une narrative pour enjoliver les actions dégueulasses qu’ils font ici et la. Les USA sont l’hégémon actuel et de plus en plus de pays se rebellent contre les abus, de plus en plus nombreux des USA.

    Il ne dit pas que des choses fausses, hein. C’est juste que l’introduction est très maladroite.

    Pour des libéraux, c’est sûr que je peux comprendre ce biais pro-USA, c’est l’un des pays le plus libéral qui soit, ou du moins, qui était (et qui le reste encore par atavisme). C’est aussi sûr qu’en France, la plupart des gens ont un biais anti-libéral viscéral (il ne s’agit pas d’une réelle critique construite du libéralisme mais d’un simple rejet qui nous vient de notre histoire, notamment catholique).

    PS : j’ai fait différentes tentatives pour mettre des sauts de ligne. Si ce bug n’est pas corrigé, ce sera mon dernier commentaire ici. J’essaye de faire commentaires argumentés, et j’ai besoin qu’ils soient lisibles, sinon ça ne sert à rien.

    1. Désolé pour les commentaires, nous n’avons toujours pas trouvé de solution. Si vous tenez à avoir une séparation, essayez de faire plusieurs commentaires, plutôt qu’un seul commentaire avec plusieurs paragraphes.

      1. vous êtes sur wordpress, ça doit être un plugin qui filtre un peu trop les commentaires et qui vire les CR. Mais ça ne doit pas être bien compliqué à changer je pense

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