Le texte ci-dessous est une traduction d’un texte de Nick Land. Il fait partie du ebook que nous venons de publier et que nous offrons à nos tipeurs dès 2€ de dons. Vous pouvez vous le procurer en vous envoyant un tip dès maintenant.
De récentes discussions (sur Twitter, principalement) m’ont convaincu du besoin pour un article du type « Le néocaméralisme pour les nuls », qui fournirait une introduction succincte à ce courant de théorie politique. Sa pertinence apparaît évidente dès lors que le néocaméralisme est considéré comme le pilier central et déterminant de la néoréaction. Cependant, avant de se consacrer à cette tâche, il est nécessaire de revenir sur le diagnostic socio-historique duquel le néocaméralisme émergera (dans l’œuvre, bien entendu, de Mencius Moldbug). Pour cela, il convient d’aborder dans de brefs prolégomènes la critique NRx de la démocratie, en se concentrant d’abord sur son aspect négatif. Le néocaméralisme est introduit comme une solution envisagée à un problème. D’abord, le problème.
Le gouvernement est chose complexe. Si cette thèse vous semble invraisemblable, il est probable que vous aurez de grandes difficultés avec la suite. Il faudrait consacrer un autre (et bien différent) billet pour répondre aux objections à de sujet, lesquelles ressemblent approximativement à « Le gouvernement, c’est simple, il suffit de trouver l’homme le plus compétent et le mettre aux commandes ! ». Tous les problèmes sociaux sont simples si on pouvait « simplement » prendre la bonne décision. Les recommandations infantiles seront toujours de ce monde.
Il existe deux grands types d’apologistes de la démocratie. Le premier, et, de loin, le plus influent politiquement, est essentiellement religieux. Il est également décrit de manière idéale par le biais d’une publication dédiée, à la sauce de l’« hypothèse ultra-calviniste » de Moldbug. Pour nos besoins ici, il suffit de mentionner qu’il est adéquatement représenté par Jean-Jacques Rousseau, que son principe fondamental est la souveraineté populaire. Du point de vue de la NRx, il est tout bonnement une perversion. Seules des calamités civilisationnelles peuvent en découler.
Le deuxième type d’apologie est bien plus sérieux, attrayant sur un plan théorique et insignifiant politiquement. Il comprend la démocratie en tant que mécanisme chargé de la responsabilité solennelle de contrôler le gouvernement. Tout mécanisme de contrôle efficace fonctionne en orientant le comportement par le biais de rétroactions liées à la performance réelle. En biologie, cela prend la forme de la sélection naturelle sur les phénotypes. En sciences, on y parvient en testant expérimentalement les théories, soutenu par une culture ouverte à la critique. En science économique capitaliste, cela passe par l’évaluation des produits et des services par le marché, permettant un retour sur les performances de l’entreprise. D’après les justifications en faveur de la démocratie fondées sur une théorie des systèmes, elle fonctionne en soumettant l’État au retour d’information des électeurs, qui agissent comme les vecteurs d’information sur les performances réelles du gouvernement. C’est la version sophistiquée de la théorie libérale de la démocratie. Ceci explique pourquoi la science, le marché et la démocratie sont souvent associés dans les idées libérales. (Le bio-darwinisme est, naturellement, plus prudemment ignoré.)
Comment cette élégante architecture politique pourrait-elle mal tourner ? Rien qu’en posant cette question, vous vous êtes mis en chemin sur la voie néoréactionnaire.
La réponse de Moldbug, et la nôtre, commence par l’adhésion à la théorie libérale sophistiquée dans ses contours les plus abstraits. La démocratie est en effet un système d’ajustement fonctionnel du gouvernement, fonctionnant par le biais de rétroaction électorale, et améliorant de toute évidence sa capacité spécifique, comme le font tous les mécanismes d’expérimentation-sélection itératifs. Les machines politiques démocratiques deviennent de plus en plus performantes à ce qu’elles font. Le problème, cependant, est que leur spécialisation fonctionnelle n’est pas liée à leur capacité administrative. En réalité, au fur et à mesure de leur apprentissage, le retour d’information qu’elles reçoivent les entraîne à la maîtrise de l’opinion publique.
Le long-circuit, proposée par la théorie politique libérale, décrit l’électorat comme un capteur du réel, représentant la somme de l’information sur les effets de la politique gouvernementale, et la faisant circuler par le biais de sondages d’opinion et d’élections, afin de sélectionner les régimes politiques interchangeables (organisés en partis) ayant démontré leur efficacité à optimiser le résultat de leur politique sur la société. Le court-circuit, suggéré par Moldbug, décrit l’électorat comme l’objet d’un endoctrinement, soumis à un processus toujours plus perfectionné de formation de l’opinion par le biais d’un appareil éducatif et médiatique formaté au slogan. Le parti politique le mieux adapté à cet appareil – appelé « parti intérieur » par Moldbug – dominera le processus démocratique. Le parti extérieur remplira la fonction cybernétique formelle demandée par la théorie libérale, en proposant une alternative électorale, mais il n’obtiendra de succès pratique qu’en s’adaptant à l’appareil de formation de l’opinion – en modifiant peut-être ses propositions de manière mineure et, au final, insignifiante. C’est le système de formation de l’opinion (« la Cathédrale ») qui représente la véritable autorité souveraine au sein du système démocratique, puisqu’il est le « principe de réalité » qui décide le succès de l’échec. La tendance monotone à court-circuiter la hiérarchie est le processus dégénératif inhérent à la démocratie.
Si vous voulez que le gouvernement vous écoute, vous devez alors vous attendre à ce qu’il vous dise ce que vous devez dire. C’est la principale leçon de l’histoire politique « progressiste ». L’affirmation de la volonté populaire de s’exprimer a conduit, par évidence rétrospective, à une dévotion politique spécialisée et super-compétente à la ventriloquie. Le désastre, par conséquent, est double. D’une part, la compétence du gouvernement dans sa responsabilité première – la gouvernance efficace – est systématiquement érodée, pour être remplacée par une aisance dans la propagande (dans un processus semblable à l’accumulation d’ADN poubelle). Alors que le gouvernement est englouti par le discours, les compétences de gouvernance résiduelles sont maintenues par une machine bureaucratique ou « gouvernement permanent », largement isolé des signaux de plus en plus insensés de l’opinion démocratique, mais toujours assimilée à l’établissement de la formation de l’opinion par des processus directs (extra-démocratiques) d’influence.
D’autre part, et de façon encore plus désastreuse selon certains points de vue, la culture est dévastée par la politisation de l’opinion. Dans un contexte politique où l’opinion n’a aucun pouvoir formel, elle est largement libre de se développer en fonction de ses propres expériences, préoccupations et curiosités. Dans une minorité significative de cas, il en résulte des réalisations culturelles de valeur durable. Ce n’est que dans les cas de contestation extrême et provocatrice que le gouvernement s’intéresse à ce que pense la population. Une fois politisée, cependant, l’opinion publique correcte est une question d’attention centrale – voire dévorante – pour le gouvernement. Installée idéologiquement en tant que fondation à la légitimité politique, il devient l’objet suprême de la manipulation politique. Toute pensée est désormais considérée comme contestataire si elle ne s’aligne pas positivement sur l’orientation politique dominante de la société. Penser en dehors de la Cathédrale, c’est attaquer le gouvernement. La culture est détruite.
Être néoréactionnaire, c’est voir ces deux éventualités se manifester de manière frappante dans la civilisation occidentale contemporaine. Ce que la démocratie n’a pas encore détruit, elle est en train de le faire. Elle est essentiellement destructrice à la fois du gouvernement et de la culture. Elle ne peut pas durer indéfiniment.
La question qui se pose alors : Qu’est ce qui pourrait bien constituer une solution ? C’est là qu’intervient le néocaméralisme.