Les CVs anonymes prouvent-ils une discrimination ?

Il y aurait plusieurs choses sur lesquelles revenir parmi ce qui a été dit au cours de l’émission “La tronche en Live” 70 intitulée “Qu’est-ce que le racisme?” mais j’aimerais me concentrer sur les propos suivant d’Évelyne Heyer où elle souhaite mettre en lumière une discrimination à l’embauche systémique dont seraient victimes les “non hexagonaux”..

“D’ailleurs en France, il y a de la discrimination, et ça, ça a été mesuré. On voit de la discrimination en faisant des CVs anonymes. On voit bien que quelqu’un qui a, pour reprendre les termes exacts des études, un nom qui n’est pas à consonance hexagonale, doit envoyer plus de CVs pour avoir un entretien d’embauche. Il doit en envoyer, selon les études, 2 fois plus, 3 fois plus donc il y a de la discrimination. […] Entre quelqu‘un qui, dans la cour d’école, va se faire traiter de sale blanc et puis quelqu’un qui, pour chercher du boulot, va devoir envoyer 2 fois plus de CVs on est pas dans une commune mesure

Evelyne Heyer est une biologiste spécialisée en anthropologie génétique, dont je respecte le travail, et la mise en perspective de ses propos ne vise pas sa personne en tant que telle, mais bien les propos en eux mêmes qui sont une idée répandue dans l’inconscient collectif et dont j’aimerais questionner la véracité.

Ces deux études ne reposent pas sur les CVs anonymes mais sur la méthodologie mise en place par le BIT nommé “test de discrimination” qui consiste à comparer l’écart de résultat entre 2 candidatures fictives

Elle ne donne malheureusement pas les sources auxquelles elle se réfère. Il se pourrait donc que je commette une erreur mais il me semble qu’elle appuie ses propos sur 2 études. La première est un rapport du Bureau International du Travail (BIT) datant de 2006 suivant une étude qu’ils avaient commanditée à ISM Corum. En  tout cas Evelyne Heyer cite cette source en référence dans une autre vidéo faite pour le Musée de l’Homme. Et la seconde est probablement une étude de 2016 commanditée par Myriam el Khomri et effectuée également par ISM Corum. Ceci dit, ces deux études ne reposent pas sur les CVs anonymes mais sur la méthodologie mise en place par le BIT nommé “test de discrimination” qui consiste à comparer l’écart de résultat entre 2 candidatures fictives, dont un seul critère diffère, à un même poste donné.

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Ces études ne semblent souffrir d’aucun problème de méthodologie, elles suivent les recommandations du test de discrimination du BIT à la lettre et en additionnant les 2 on obtient un panorama assez exhaustif en terme de secteurs de métier, zone géographique et niveau d’emploi. Les seuls reproches qu’on pourrait leur adresser sont, pour la première, de dater de 2006 et de se focaliser sur les noirs et les maghrébins et la seconde de se focaliser sur les maghrébins seulement, ce qui empêche une comparaison avec des personnes issues d’autres régions du monde, et d’avoir été effectuée sur 40 compagnies uniquement. De manière plus générale, la limite de ces tests réside dans le fait de produire deux faux candidats qui, même s’ils sont testés dans le monde réel, restent des faux profils.

les chiffres de la seconde étude semblent minimiser cet effet puisque les candidatures maghrébines ont reçu un taux de réponse moyen de 36% contre 47% pour les candidatures “hexagonales”

Les résultats de ce premier test sont sans appels. Pour le même nombre de CVs envoyés et à candidature similaire, une personne avec un nom à consonance “hexagonale” avait 3,6 fois plus de chance de se voir sélectionner pour un entretien qu’une personne avec un nom à consonance maghrébine ou noire. Des chiffres similaires à ceux avancés par Evelyne Heyer mais qui toutefois ne reposent pas sur des CVs anonymes et ne concernent pas les gens aux noms “non hexagonaux” en général (le rapport mettant en avant que le taux de chômage des “non hexagonaux” d’Europe du sud est similaire à celui des hexagonaux) mais seulement les noirs et les maghrébins.

Extrait du rapport du BIT de 2006

Plus intriguant encore, les chiffres de la seconde étude semblent minimiser cet effet puisque les candidatures maghrébines ont reçu un taux de réponse moyen de 36% contre 47% pour les candidatures “hexagonales”, ce qui est loin des 2 à 3 fois plus de CVs à envoyer. Plus encore, cette étude montre que la majorité des 40 entreprises testées n’ont pas pratiqué de discrimination. Seules 12 d’entre elles l’ont pratiquée. On voit cependant qu’il y a tout de même un écart moyen dans le nombre de réponses reçues.

Est-on face à du racisme systémique comme l’affirme Evelyne Heyer au cours de l’émission?

On peut dès lors soulever quelques questions; Retrouve-t-on ces chiffres avec les études utilisant le CV anonyme? Est-on face à du racisme systémique comme l’affirme Evelyne Heyer au cours de l’émission?  Pourquoi les hexagonaux privilégieraient-ils leurs semblables?

Il est temps de nous pencher sur les études utilisant une méthodologie différente, celle du CV anonyme, qui a pour mérite de s’ancrer bien plus dans le réel que les tests de discrimination. En effet, les tests de discrimination sont efficaces pour mesurer la discrimination subies par un type de personne eu égard à une différence donnée. Cependant il nécessite de créer des profils fictifs et des heures d’entraînement d’acteurs pour aboutir à deux profils similaires en tout point. S’il faut entraîner un acteur pendant des heures pour arriver à ce but, on peut se dire que son profil n’est pas forcément représentatif d’un profil existant dans la vie réelle. En cela, la méthode du CV anonyme est plus efficace car elle permet d’enlever complètement ce jugement basé sur les expériences passées, ainsi que la tendance des recruteurs à favoriser leurs semblables, pour se focaliser uniquement sur les compétences réelles de candidats réels. Et c’est là où le bât blesse car les chiffres des expériences menées sur des CVs anonymes révèlent l’exact opposé des tests précédemment cités. Laurent Obertone fait état de ce fait dans son dernier livre “La France interdite”.

“L’écart de taux d’entretien devient encore plus défavorable à ces candidats potentiellement discriminés lorsque leur CV est anonymisé”.

La France interdite (extrait 1)

Dans cette étude commanditée par Pôle Emploi et menée par le Centre de recherche en économie et statistiques (Crest) la conclusion est la suivante “le CV anonyme pénalise les candidats issus de l’immigration et-ou résidant dans une zone urbaine sensible (ZUS), ou dans une ville en contrat urbain de cohésion social (CUCS)” estime le rapport.  “Il ne permet pas de réduire l’écart de chances” entre ces candidats et les autres : “L’écart de taux d’entretien devient encore plus défavorable à ces candidats potentiellement discriminés lorsque leur CV est anonymisé”.

La France interdite (extrait 2)

Les chiffres initiaux, basés sur des CVs nominatifs, montrent que les candidats issus de l’immigration ou résidant dans les zones sensibles ont une chance sur 10 d’obtenir un entretien contre une chance sur 8 pour les autres candidats. Cependant, lorsque le CV est anonyme, l’écart augmente et passe à respectivement une chance sur 22 contre une chance sur 6. Un résultat qui serait potentiellement expliqué par le fait que le recruteur serait en temps normal plus compréhensif lorsqu’il y a des carences dans la lettre de motivation ou des trous dans le CV. Autrement dit, en temps normal, à compétences réelles, les candidats issus de l’immigration et des quartiers sensibles sont avantagés aux vues de leurs compétences réelles.

les CVs anonymes conduisent à démontrer une certaine empathie pour les candidats issus de l’immigration

Il apparaît alors délicat de parler de racisme systémique dans un pays où des institutions officielles (Ministères, Pôle Emploi) commanditent des études à des organismes, dont le but est de mesurer les discriminations afin de lutter contre cette tendance, dans le but de tester des entreprises dont une minorité pratiquent la discrimination et dont la conclusion faite à partir des études sur les CVs anonymes conduit à démontrer une certaine empathie pour les candidats issus de l’immigration à l’échelle individuelle. On pourrait même nommer d’autres actions menées par l’état et pour ce faire je ne résiste pas à partager un échange entre Évelyne Heyer et Pascal Blanchard qui répondent à une question du public lors d’une conférence avec Lilian Thuram

– Personne du public : J’ai juste une question pour rebondir sur l’approche socio-politique […] vous avez parlé de 2 pays, la France, les Etats-Unis. Est-ce que vous pensez que dans notre contexte républicain d’égalité de droit, des démarches en terme de politiques publiques de discrimination positive pourraient être une solution pour déconstruire ces schémas et aller vers une égalité réelle  entre des situations de discrimination non basées sur la couleur de peau notamment?


– Pascal Blanchard : Ca existe deja chez nous, notre pays le pratique déjà, nous avons la parité au niveau électoral, le rééquilibrage de l’iniquité territoriale (ZUP, Zone prioritaire, territoires ou les enfants des écoles sont censés recevoir plus que d’autres au nom des inégalités de ces territoires dans les outres mers et quartiers populaires) nous avons, pour l’entrée dans certaines classes préparatoires, dans certaines écoles, des politiques de “discriminaction”. Ça existe. En même temps la république refuse de le dire…


– Evelyne Heyer : Mais attends, elles sont sociales, c’est des discriminations positives sociales


– Pascal Blanchard : Oui c’est pour ca qu’on refuse de le dire alors qu’on sait très bien que quand on parle des quartiers populaires on parle des petits noirs et des petits arabes. C’est toute la différence avec les Etats-Unis qui utilisent le mot race.


– Evelyne Heyer  : Oui tout à fait

“J’ai un cuisinier originaire de Sétif qui visiblement n’accepte pas tellement les Musulmans non pratiquants.”

Toujours est-il qu’il faut bien admettre que les études initialement citées mettent en avant que les français sont plus enclins à embaucher des européens que des non européens (on le voit notamment dans les Verbatim où des employeurs prétendent que le poste est pourvu alors qu’il est toujours disponible cachant ainsi la véritable raison de leur refus) et qu’on peut toujours se demander pourquoi. Peut-être qu’une partie de la réponse se trouve en réalité dans ces mêmes Verbatim du rapport du BIT. Dans un seul cas, le candidat “minoritaire” fut favorisé au premier contact et le contenu de l’échange pourrait bien révéler un stéréotype commun à tous les français que cet employeur voit lui comme un point positif alors qu’il est vu négativement par le reste de la population.

– Employeur : D’où êtes-vous, vu que vous vous appelez “Boukhrit” ?
– Candidat : Je suis kabyle
– E. : Ah… algérien. Vous êtes musulman ?
– C. : Oui
– E. : Pratiquant ? parce que j’ai un cuisinier originaire de Sétif qui visiblement n’accepte pas tellement les Musulmans non pratiquants.


Stéréotype qui ne semble pas dénué de fondement donc, puisque le cuisinier actuel semble être une personne très religieuse peu tolérante envers les non pratiquants. En fait, peut-être que les employeurs aux noms “à consonance hexagonale” n’ont juste pas envie de s’embêter à gérer des problèmes de ce type entre un musulman pratiquant et un non pratiquant. C’est ce que révèle l’étude suivante, réalisée par l’institut Montaigne, qui a cherché à comprendre quels sont les stéréotypes attachés au noms maghrébins qui expliquent un tel écart. Elle révèle que le stéréotype le plus prégnant est la pratique extrémiste de la religion et que les candidats musulmans ordinaires ne sont plus discriminés dès lors qu’ils qu’ils témoignent d’une pratique laïc de leur religion.

le but est, pour tout être vivant, de vouloir laisser autant de copies de ses gènes possibles à la prochaine génération

Alors vous allez me dire, à raison, “Mais attends, ça ne peut pas expliquer la discrimination envers les noirs car la part de musulmans noirs est minoritaire”. Oui, c’est vrai. Tentons d’observer ce phénomène d’un point de vue différent qui est celui de la psychologie évolutionniste. Loin de dénigrer les sciences sociales qui sont tout indiquées pour étudier les causes les plus immédiates de nos comportements, la psychologie évolutionniste va, elle, s’attacher à la racine des ces phénomènes.

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Nous sommes faits de chair et de sang, nous sommes le résultat d’un processus de sélection de traits spécifiques et le modèle behavioriste de la tabula rasa a été debunké depuis, qu’en 1973, les travaux de Lorenz, Frish et Tinbergen ont reçu un prix Nobel pour leur travail d’éthologie, ouvrant ainsi pleinement la nécessité de se pencher sur l’imbrication subtile de l’inné et de l’acquis, des gènes interagissant avec l’environnement. Ils ouvrèrent ainsi le champs à la psychologie évolutionniste qui repose sur une vicieuse et imbattable logique que l’on pourrait résumer ainsi “Tout être vivant veut laisser autant de copies de ses gènes possibles à la prochaine génération”. Et cela repose sur trois composants aussi fondamentaux que naturels:

  • La sélection individuelle, pour passer autant de copies de nos gènes par notre propre reproduction.
  • L’aide à la reproduction de nos pairs puisque ces derniers partagent un certain nombres de nos gènes. Plus ils sont proches de nous génétiquement, plus on tend à vouloir favoriser leur reproduction.
  • L’altruisme réciproque qui met en avant que tu n’as besoin d’être directement parents pour établir des stratégies de coopération mais que la coopération est d’autant plus aisée et plus intense que les groupes sont homogènes génétiquement.

Loi de Hamilton

Cette logique conduit inévitablement à l’ethnocentrisme qui consiste à favoriser les siens sans vouloir particulièrement discriminer les autres. Ce principe fut mis en avant par William Donald Hamilton qui le traduisit par une loi toute simple :

rB > C

B étant les bénéfices, C étant les coûts et r étant le degré de proximité génétique (relatedness). Autrement dit, plus on est génétiquement proche et plus le gain est élevé alors plus on est prêt à prendre des risques. Par exemple, une mère pourra se sacrifier pour son enfant.

Le “Phénotype étendu” de Dawkins

S’il est facile de concevoir que ses enfants partagent 50% de vos gènes, comment fait-on pour l’identifier chez des inconnus ? Il existe tout un tas de marqueurs phénotypique, que Richard Dawkins appelle le “phénotype étendu” auquel il a consacré un livre. Parmi ses marqueurs, on retrouve entre autre sans surprise, les traits du visage, la couleur de la peau, l’odeur. Autrement dit, on aura naturellement tendance à favoriser les gens qui nous ressemblent.

Dans le cas qui nous occupe, à CVs égaux, il apparait naturel que les gens aient tendance à favoriser le candidat qui leur ressemble le plus.

Ce phénomène conduisant à l’ethnocentrisme, Évelyne Heyer le connaît très bien puisqu’elle l’évoque en ces termes lors de La Tronche en Live…

“Non mais il faut bien distinguer, le racisme, de la xénophobie et l’ethnocentrisme. toutes les sociétés sont ethnocentriques, c’est à dire que dès le moment ou vous formez un groupe vous avez tendance à préférer votre groupe par rapport à l’autre. […] Mais de préférer son groupe ne veut pas dire qu’on veut massacrer le groupe d’à côté ni qu’on déteste le groupe d’à côté”.

Il est vrai cependant qu’avoir une pré-disposition à développer un trait ne le rend pas inévitable, mais est-ce à l’état de s’immiscer dans le recrutement des entreprises privées?

Aussi, je choisirai toujours, personnellement, les personnes les plus compétentes et avec une personnalité pouvant s’intégrer à l’équipe indépendamment d’autres critères car tout ce qui m’importe est le succès de la compagnie pour laquelle je travaille puisque que cela a un impact direct sur mon succès et donc mes propres chances de passer mes gènes aux générations dans les meilleures conditions. Ceci dit, ça ne me choquerait pas que des compagnies souhaitent se développer entre femmes, ou entre groupe communautaire quelqu’il soit. Je pense que ce pourrait être un frein à leur développement de potentiellement se priver de personnes compétentes ne remplissant pas les autres critères mais je crois que chacun devrait avoir l’entière liberté de choisir qui embaucher.

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