Je suis provençal, et à ce titre l’œuvre de Marcel Pagnol me touche profondément. Il est de ceux qui ont réussi à saisir avec une grande humanité l’esprit de cette terre qui m’a vu naître, de ces paysages, de ses populations. Cette œuvre est d’autant plus précieuse que tout ce petit monde régional disparaît et qu’il est déjà en grande partie plus qu’un souvenir. Souvenir lui-même alimenté par les œuvres de Pagnol.
A la faveur de mes congés et de mes longs trajets pour aller au boulot. Je me suis replongé dans l’œuvre du petit garçon d’Aubagne, via ses livres, ses films, ses interviews tout en me plongeant en parallèle dans la lecture de Nick Land, philosophe accélérationniste anglais exilé en Chine, je n’avais jamais effectué un tel grand écart littéraire. C’était particulièrement étrange à vivre, à la limite de la schizophrénie.
J’ai toujours eu cette tension en moi, entre l’amour de la tradition, de la nature et mon attirance pour le futur, le progrès et le dépassement. Elle n’a jamais était aussi visible et au travers j’y ai vu la fin de mondes qui sont pourtant chers à mon cœur.
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Qui était Pagnol ?
Un artiste complet, un des rares capable d’adapter ses œuvres littéraires en Films.
Il était dramaturge, romancier, réalisateur de film, mais aussi producteur de cinéma tout en étant membre de l’académie française.
Il a donc adapté certaines de ses pièces de théâtre en films, certains de ses livres en films et même certains des films en roman !
Il a également révélé des acteurs aussi géniaux que marquants comme Fernandel et Raimu.
Lui qui n’avait aucune prétention philosophique selon ses dires, a pourtant beaucoup laisser à penser dans son œuvre.
Que racontent les œuvres de Pagnol ?
Une provence de ses souvenirs d’enfant avec sa famille comme dans la “Gloire de mon père”, “Le chateau de ma mère” et “Le temps des secrets”. Ou bien, une Provence romancée mais authentique, fidèle à la réalité comme dans le diptyque romanesque “L’Eau des collines” comprenant les très beau “Jean de florette” et “Manon des sources”. La majeure partie de ses oeuvres se déroule entre les années 1900 et 1939. Dans les classes inférieures de la provence, essentiellement dans le monde paysans ou dans le bas peuple.
Il passe beaucoup de temps à décrire le mode de vie paysans et des gens du peuple. C’était un univers encore relativement fixe, difficile mais paisible et stable, les traditions millénaires et la religion encadraient encore beaucoup la vie des gens. Rétrospectivement, son travail était pratiquement celui d’un anthropologue ou d’un historien.
Les Bastidiens étaient plutôt grands, maigres et musclés. Nés à vingt kilomètres du Vieux-Port de Marseille, ils ne ressemblaient ni aux Marseillais, ni même aux Provençaux de la grande banlieue. Enfin, une particularité des Bastides, c’était qu’on n’y trouvait que cinq ou six noms : Anglade, Chabert, Olivier, Cascavel, Soubeyran; pour éviter des confusions possibles, on ajoutait souvent aux prénoms,non pas le nom de famille, mais le prénom de la mère : Pamphile de Fortunette, Louis d’Étiennette, Clarius de Reine. C’était sans doute les descendants de quelque tribu ligure, refoulée jadis vers les collines par l’invasion romaine; c’est-à-dire qu’ils étaient peut-être les plus anciens habitants de la terre provençale. Parce que la route qui menait chez eux s’arrêtait sur le Boulevard,on n’y voyait qu’assez rarement des « étrangers », et parce qu’ils étaient satisfaits de leur sort, ils ne descendaient à Aubagne que pour porter leurs légumes au marché. Avant la guerre de 1914, on trouvait encore dans les fermes des vieux et des vieilles qui ne parlaient que le provençal des collines; ils se faisaient « raconter Marseille » par les jeunes qui revenaient des casernes, et s’étonnait que l’on pût vivre dans tout ce bruit, frôler dans la rue des gens dont on ne savait pas les noms, et rencontrer partout des hommes de la police!”
Jean de Florette – Marcel Pagnol
Un véritable amour aussi sincère que profond de la Provence transparaît à chaque ligne de ses livres, dans ses films et dans ses pièces de théâtre.
En ce temps-là, j’étais encore un petit garçon, mais j’avais rencontré l’amour de ma vie, les collines de Provence.
La gloire de Mon père – Marcel Pagnol
Il écrit tout cela dans un style lyrique relativement épuré sans fioriture, plein d’humanité, ultra efficace, avec des éléments de dialecte local. Celui qui n’a pas versé une larme à la lecture de la lettre de César Soubeyran clôturant “Manon des sources” n’a pas de cœur. Tout a beau être cousu de fils blancs, l’émotion est à chaque fois présente.
Cependant, contrairement à ce que pourrait laisser penser une connaissance lointaine et superficielle de l’œuvre de Pagnol, celle-ci n’est pas une apologie des traditions et du bon vieux temps paysan. Non, comme toute grande œuvre elle est pleine de subtilité.
La vie paysanne et enracinée est décrite avec minutie, en prenant bien soin d’y montrer sa profonde beauté, mais aussi sa face sombre. Le mode de vie simple, proche de la nature mais aussi les rancoeurs paysanes stupide et detestables, les guerres de clochets stériles, l’esprit de village, les commérages, les meurtres dans les collines. Les superstitions absurdes et le poids de la religion. Le tout cadenassé par la profonde et cruelle dépendance de ces gens envers leur environnement. En particulier dans les collines arides ou si l’eau venait à manquer c’est tout un village qui pouvait disparaître et ruiner des génération entière de travail et de sacrifice dans ces terres aussi belles qu’ inhospitalières.
Il y décrit également, les néoruraux idéalistes, naïfs, plein de certitude. Les ancêtres de ceux qui essaient d’interdire de nos jours, un siècle plus tard, le champ du coq dans certains villages des campagnes françaises. Mais également les professeurs d’école, ou bien les petites gens du peuple de Marseille…
L’opposition Tradition et Progrès
Comme je le disais précédemment la tradition dans l’œuvre de Pagnol est particulièrement bien mise en valeur. Que ce soit ses aspects positifs ou négatifs. Mais elle est aussi et à plusieurs reprises mise en difficulté dans ses œuvres.
Que ce soit dans les affrontements entre les fervents et les mécréants. Que l’on pouvait également observer dans d’autres œuvres de la même époque comme dans les films de Don Camillo ou le curé du village était en permanente opposition avec Peppone, le maire athé et communiste revendiqué. Tout cela illustrant, la lente déchristianisation qui touchait la France et qui dès cette époque là avait déjà commencé à attaquer même les villages les plus reculés des région périphérique française. Ce basculement était concomitant avec l’implantation du régime de la 3éme république et de son système éducatif laïque et clairement anticléricale voir anti chrétien sur certains aspects, dont les fameux hussard noir furent les portes drapeau.
Tout cela se retrouve dans la “Gloire de mon père” ou le père du petit Pagnol était la figure quasi archétypique de ces professeurs de la 3eme république ayant été embrigadé dans un dogme philosophique républicain et qui serait chargé de chassé le patois des écoles, et d’imposer la philosophie nouvelle du régime, bien souvent en opposition avec les particularismes et les superstitions du monde paysans. Aboutissement ultime du projet jacobin, lui-même étant la conclusion du centralisme royal. Tout cela ayant été comme une interminable conspiration contre les cultures provinciales françaises. Pagnol propose d’ailleurs un portrait assez fin de ces hommes :
Les écoles normales primaires étaient à cette époque de véritables séminaires, mais l’étude de la théologie y était remplacée par des cours d’anticléricalisme. On enseignait à ces jeunes gens que l’Eglise n’avait jamais été rien d’autre qu’un instrument d’oppression, et que le but et la tâche des prêtres, c’était de nouer sur les yeux du peuple le noir bandeau de l’ignorance, tout en lui chantant des fables, infernales ou paradisiaques. La mauvaise foi des “curés” était d’ailleurs prouvée par l’usage du latin, langue mystérieuse, et qui avait, pour les fidèles ignorants, la vertu perfide des formules magiques. La papauté était dignement représentée par les deux Borgia, et les rois n’étaient pas mieux traités que les papes : ces tyrans libidineux ne s’occupaient guère que de leurs concubines quand ils ne jouaient pas au bilboquet ; pendant ce temps, leurs “suppôts” percevaient des impôts écrasants, qui atteignaient jusqu’à dix pour cent des revenus de la nation. C’est-à-dire que les cours d’histoire étaient élégamment truqués dans le sens de la vérité républicaine. Je n’en fais pas grief à la République : tous les manuels d’histoire du monde n’ont jamais été que des livrets de propagande au service des gouvernements. Les normaliens frais émoulus étaient donc persuadés que la grande révolution avait été une époque idyllique, l’âge d’or de la générosité, et de la fraternité poussée jusqu’à la tendresse : en somme, une explosion de bonté. Je ne sais pas comment on avait pu leur exposer – sans attirer leur attention – que ces anges laïques, après vingt mille assassinats suivis de vol, s’étaient entre-guillotinés eux-mêmes. Il est vrai, d’autre part, que le curé de mon village, qui était fort intelligent, et d’une charité que rien ne rebutait, considérait la Sainte Inquisition comme une sorte de conseil de famille : il disait que si les prélats avaient brûlé tant de juifs et de savants, ils l’avaient fait les larmes aux yeux, et pour leur assurer une place au paradis. Telle est la faiblesse de notre raison : elle ne sert le plus souvent qu’à justifier nos croyances.
La gloire de Mon père – Marcel Pagnol
On trouve également dans l’œuvre de Pagnol beaucoup d’illustrations de la résistance au changement et au progrès. Comme quand Jean de Florette finit par établir un élevage de Lapin dans les collines. Les gens du village ne croyaient pas cela possible, par superstition, par habitude et ils ne trouveront jamais assez de proverbes paysans pour appeler à son échec en plus du sabotage méthodique dont il fut la victime expiatoire. Alors qu’il prouvat par l’optimisation et l’utilisation de la raison que son entreprise était viable et même potentiellement bien plus efficace que l’antique travails paysans.
Une fois que la colère de la fille de Jean s’abattit sur le village en bouchant la source d’eau, unique pourvoyeuse du précieux liquide. Les paysans ne purent retrouver la raison et sortir de l’impasse non pas grâce à l’intervention de l’ingénieurs rurale dont ils ne comprenaient rien de ses explications scientifiques. Mais grâce au sermon du prêtre du village qui les poussera à avouer leurs fautes pour espérer un pardon de la providence et pour en final en être réduit à faire une pathétique procession religieuse de la dernière chance. Superstition et piété paysanne étant encore l’horizon indépassable pour bon nombre des habitants du village.
Famille et chute démographique dramatique :
C’est un élément en toile de fond qui apparaît en creux dans ses principales œuvres, mais c’est pourtant essentiel. La Provence de Pagnol était à l’image de la France d’alors, en pleine souffrance au tournant du 19ème siècle. Elles subirent de plein fouet une stagnation démographique sévère. En ayant déjà fortement subi la transition démographique, les violences, la guerre franco-prussienne de 1870 et le martyre de la guerre de 14. Et qui seront heureusement épargnés en 39-45 mais au prix d’une perte de prestige dont elles ne se relèveront jamais réellement. On ressent ce contexte démographique difficile, même dans la famille de Pagnol et son entourage (comme avec la mort de Lili des Bellons par exemple).
C’est véritablement un monde agonisant qui est décrit par Pagnol. Les familles qui à l’image des Soubeyran dans “Manon des sources” s’éteignent dans la tristesse, déchirées par les guerres, l’exode rural. Stérilisé par une tradition paysanne parfois trop sclérosé, dépassé et parfois broyé par le progrès dans un monde changeant qui n’était plus fait pour eux.
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En ce temps là, il était déjà loin le temps ou la France fut la Chine de l’Europe, le géant démographique du continent. Son empire colonial allait lui permettre de faire illusion encore quelque temps, mais les difficultés de natalité que nous connaissons aujourd’hui viennent du tournant décisif qu’il y a eu à cette époque, nous n’en sommes jamais vraiment sorti et le Baby Boom qui suivra n’était qu’une parenthèse.
Tout cette toile de fond rentre en résonance avec les thèmes de la famille et de la filiation omniprésents dans toute l’œuvre de Pagnol qui regorge d’histoire de famille, d’enfant caché ou née hors mariage, de vielles fille jamais mariées, de vieux amoureux restait celibataire et des conséquences plus ou moins tragiques de ces situations. Comme si toute l’œuvre de Pagnol était inconsciemment à la recherche des enfants et des familles non advenus de cette époque. Et je pense que c’est précisément cela qui, en plus de mon amour pour ma terre natale, me touche autant chez Marcel Pagnol…
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Que retenir de Pagnol ?
Que la vie paysanne, avec sa simplicité et son intimité avec la nature, portait en elle une beauté sans pareille, mais aussi, hélas, une part d’ombre faite d’ignorance et de dureté, une existence qui, dans le fond, ne pouvait plus se perpétuer. Le grand chambardement que connaissait la Provence, à l’instar de toute la France, s’avançait avec force, peut-être même était-il nécessaire, bien que le tribut en fût la disparition de ce mode de vie multiséculaire…
Qu’il faut chérir le témoignage de cette Provence que Pagnol nous a légué avec brio et y donner sa juste part de nostalgie et de lucidité, comme il a lui-même su le faire dans son œuvre.
Conclusion :
Je vois dans les œuvres de Pagnol, la fin d’un monde, celui de l’antique provence et la mise sur papier et en images de ses dernières étincelles brillantes. Je pourrais également citer le travail de Frédéric Mistral qui a codifié la grammaire provençale au début du siècle dernier et qui à travers son œuvre littéraire dans le patois du sud a même obtenue l’unique prix nobel de littérature de l’histoire en langue régionale. Précisément au moment où le provençal commence à amorcer son inexorable disparition. Aujourd’hui, il n’y a guère plus que dans certains villages reculés de l’arrière pays que l’on trouve encore quelques anciens qui connaissent le patois, sans pour autant l’utiliser réellement.
À dire vrai, je perçois dans cette disparition de la culture provençale et de ses forces vives, la préfiguration de la fin de notre pays, la France, et peut-être demain, du genre Sapiens lui-même, comme le laisse entrevoir les problèmes de fertilité issus de la modernité que Nick Land (pour en revenir à lui) décrit notamment dans les textes « Déchiqueteur de QI », « Approche de l’horizon bionique » et « Le problème de fertilité de la modernité », que je lisais en parallèle de ceux de Pagnol…
Mais comme disait les deux derniers Soubeyran à propos de leur propre famille mourante et qu’ils cherchaient désespérément à faire perdurer :
Ô Papet, dit Ugolin, je crois que tu rêves… Une Famille, ça ne peut pas se refaire comme ça…
Manon des Sources – Marcel Pagnol
– Galinette, un jour nous sommes parties au tocsin, pour aller à l’incendie du bois des Bouscarles, et quand nous sommes arrivés, on nous a dit “C’est finis, on a réussi à l’éteindre”, et tout le monde est reparti… Seulement, à minuit, le tocsin sonnait dans quatre villages… Parce que dans les cendres éteintes, on avait oublié une étincelle. Une étincelle rouge, comme tes cheveux… Viens Galinette, allons dîner à la maison Soubeyran, sous le plafond de nos grands-pères : il te portera conseil
La vie poursuit son déploiement. Balayant le passé impropre, en tendant vers l’avenir à saisir. Mais l’avenir reste ouvert, à nous de cultiver les étincelles au milieu des cendres comme nous invite à faire un fameux ange de la 3eme république de l’enfance de Pagnol.
Adesias anciano Prouvènço, siès toujour dins mon còr, e vivo au mitan de tu, auprès dei coulino que tanti amo.
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