L’art de vivre à la française… Vraiment ?

L’art de vie à la française, notamment sa gastronomie, inscrite au patrimoine immatériel de l’UNESCO, fait la fierté de nombreux français. Pourtant, cet art de vie dont nous aimons tant nous flatter et qui fait notre fierté a depuis longtemps quitté notre hexagone pour vivre ailleurs, se pérenniser et se réinventer.

La gastronomie française toujours leader ?

La gastronomie d’abord, que tout le monde nous envie. Il existe en 2019 pas moins de 632 tables étoilées en France, l’immense majorité ayant une étoile. 27 tables ont obtenu le sésame ultime, les 3 étoiles. Ce chiffre peut paraître impressionnant mais il stagne depuis des années. A titre de comparaison, l’Allemagne, dont le nom ne nous viendrait pas en tête pour caractériser l’art de la table, possède désormais 309 chefs étoilés. Les Japonais, quant à eux, possèdent 1 restaurant “trois étoiles” de plus que la France, soit 28. Mais le guide Michelin ne fait plus l’unanimité comme auparavant.

Pléthore de guides étrangers, le plus souvent sponsorisés, ont fleuri et l’influence du guide rouge décline à vue d’œil. L’un de ceux dont l’influence ne cesse de s’étendre est sans doute le “World’s 50 Best Restaurants”, qui reprend 4 restaurants français parmi sa précieuse liste. Vu de l’intérieur, pour qui fréquente les bonnes tables, ce n’est pas tant le niveau de nos restaurants étoilés qui a baissé mais surtout les chefs étrangers qui ont rattrapé leur retard. Eux, n’hésitent pas à innover de façon audacieuse des choses anachroniques, là où nos chefs semblent engoncés dans un carcan aussi bien culturel que gastronomique.

Bouillabaisse, cassoulet et fromages ne font plus rêver à l’étranger.

La gastronomie mondiale est en pleine ébullition, avec des nouveautés plus ou moins heureuses comme la cuisine moléculaire, concept très en vogue, mais qui a vécu comme à Barcelone avec le laboratoire d’El Bulli. Ferran Adria, le chef de ce célèbre restaurant, est un des maîtres de la cuisine moléculaire. Son restaurant a été reconnu « comme le meilleur restaurant au monde » et fut couronné de trois étoiles au guide Michelin.

Autre concept : des aliments “fermentés”, concoctés par Rene Redzepi, le chef du Noma, nommé meilleur restaurant au monde 4 années d’affilées. Nous pouvons penser ce que l’on veut de ces expériences loufoques ou non, mais une chose est sûre : l’audace culinaire est partie à l’étranger là où en France on privilégie le sempiternel plat en sauce.

Michael Steinberger, critique vin mondialement connu et passionné par la gastronomie française, affirmait ainsi en 2014 dans le New York Times que « depuis la fin des années 1990, Paris est vue comme une ville gastronomique ennuyeuse et prévisible. La vraie excitation est à Londres, Tokyo, Copenhague, San Sebastian ». Malgré tout, de l’autre côté de la Manche, les restaurants proposant de la cuisine française ont dû se mettre au niveau et secouer leur image de luxe et de raffinement, preuve en est que si remise en question il y a, les résultats ne se font pas attendre.

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Ces étrangers qui font vivre nos traditions

S’il y a bien un domaine qui bat en brèche au sein même de la gastronomie, c’est bien les liqueurs et les spiritueux. Le Cognac en est l’exemple le plus éloquent. On ne consomme guère plus de Cognac en France où on lui préfère le whisky. Peu de restaurants ont gardé ce spiritueux en carte, et 98% de la production est exportée.

En Charente, les exportations ne se sont jamais aussi bien portées, atteignant une valeur record de 3,15 milliards d’euros en 2017. Aujourd’hui, les premiers consommateurs de Cognac sont de loin les Américains qui représentent 40% du marché (la France représente quant à elle… 2% du marché), suivis par les Chinois. Un Américain, même moyen, en connaît bien plus sur le Cognac que la plupart des Français.

Notons donc que les Américains, honnis par les souverainistes pseudo-patriotes soutiennent, une filière d’excellence de l’agriculture française.

En Europe, seuls les Anglais et les Allemands consomment du Cognac. Mais pourquoi ? Car le cognac, dans la tête du Français moyen, c’est une boisson de patron, de la fin de repas avec des cigares. L’horreur, quasiment le nazisme ! Voilà un produit que l’on consomme dans le monde des affaires ! Dans le même temps, aux USA et en Chine, le Cognac possède une image branchée, consommé par les jeunes, et le fait que des rappeurs l’aient mis en avant dans des clips n’expliquent pas tout, car le Cognac a le vent en poupe depuis des années.

Si la France est la terre de production du Cognac, c’est bien aux USA qu’il est évalué et apprécié. Ce sont les Chinois qui, en rachetant des domaines à l’abandon, re-dynamisent l’appellation. Le Cognac a certainement de beaux jours devant lui, mais à l’étranger, à tel point que la production n’arrive plus à suivre.

Ces étrangers qui parlent mieux vins que nous

Autre domaine largement mondialisé : l’œnologie. Oui, ici aussi la France continue à préserver un leadership sur la production de vin de qualité, hérité par des siècles de pratiques, le Français moyen, lui, se contente d’acheter du baron de Lestac (bordeaux supérieur s’il vous plait) quand ce n’est pas un cubitainer en plastique de vin de pays de l’Aude. Parce que, vous savez, mettre plus de 20€ dans une bouteille de vin, c’est élitiste, c’est suspect au pays du gilet jaune. Et pourtant…

Encore une fois, les habitudes de consommation à l’étranger sont bien différentes : boire du vin, c’est un sacerdoce dans les pays anglo-saxons. Les meilleurs domaines de Bourgogne vendent plus de 80% de leurs productions à l’export. Le marché français ? “Si c’est pour rester 2h avec un client qui débarque au domaine pour lui vendre 6 bouteilles et avoir des remarques sur le prix, c’est pas la peine”. Ce commentaire, la plupart des vignerons de Côte d’Or l’ont sur les lèvres. Et là, le consommateur français est balayé. Non pas par portefeuille plus épais que lui, mais parce que plus humble et plus connaisseur. Il n’est pas rare que des Japonais, fraîchement débarqués de Roissy, louent une voiture pour aller à Gevrey-Chambertin et dire bonjour à Charles ou Eric Rousseau du domaine éponyme. Ils savent très bien que le domaine n’a rien à vendre, mais apercevoir les vignerons et les remercier, pour eux, c’est déjà énorme. Le domaine Rousseau qui jouit d’une notoriété désormais mondiale analogue au domaine de la Romanée-Conti possède une fiche Wikipédia en anglais, mais pas en français.

Les vignerons bordelais préfèrent faire des wine dinners à Shanghaï ou à New York plutôt qu’à Paris. Encore une fois, ce n’est pas une question d’argent, mais tout simplement d’intérêt qu’on leur porte. Nul besoin d’être introduit dans le monde feutré du vin pour se rendre compte de la différence de traitement. Il suffit de parcourir les forums de vin. Le forum francophone le plus connu s’appelle lapassionduvin, lpv pour les intimes.

Autant le dire tout de suite, il est de bon ton d’afficher son humanisme et des “valeurs de partage” au risque d’être aux prises avec des insoumis si vous étalez une bouteille trop chère. Le forum, bien qu’expurgé maintenant de ces polémiques, a été entaché pendant des années par une véritable chasse à l’amateur jugé un peu trop fortuné ou qui était accusé de “boire des étiquettes”, traduction : “des vins chers”.

Avec les forums anglo-saxons, pas de ça. La lutte des classes est totalement absente du forum de Parker par exemple. Tout ceci amène un appauvrissement de la base de données des bouteilles bues, substantifique moelle pour tout amateur de vin. Or, sur cellar tracker (l’une des plus grosses bases de données en ligne anglophone), si on prend pour exemple un Chablis, donc pas un vin extrêmement onéreux, nous avons 6 occurrences concernant un Clos Grand Cru 1990 de Dauvissat, mais 0 sur lpv.

En 15 ans de passion et de quilles descendues, les amateurs les plus pointus que j’ai croisés étaient anglo-saxons dans leur grande majorité. Depuis maintenant 5ans, les Chinois refont leur retard, avec leur énorme capacité d’assimilation qui font leur réputation, ils progressent très vite dans le domaine de la dégustation. La clé de tout ceci est avant tout la modestie, chose qui fait cruellement défaut à un Français, qui plus est en matière de vin, là où l’approche d’un Américain ou d’un Chinois sera beaucoup plus empreinte d’humilité.

Les plus grands dégustateurs sont tous anglo-saxons dans leur immense majorité. Parker, qu’on ne présente plus, a porté le Bordeaux au firmament. Allen Meadows, Américain lui aussi, fait autorité en Bourgogne. En Champagne, Richard Juhlin, Suédois de son état, ne souffre d’aucune concurrence. A tel point que les plus grands domaines n’envoient même plus d’échantillons à Michel Bettane, que personne ne lit à l’étranger, et qui en est réduit à un rôle d’organisateur d’événement, le Grand Tasting au Louvre. Quel gâchis pour un si bel esprit qui est certainement l’un des dégustateurs les plus pointus de sa génération.

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Un peu d’humilité

Les Français sont sans doute fiers de leur gastronomie et de leur patrimoine œnologique, mais on ne peut pas dire qu’ils font vivre ces choses ou qu’ils les fassent progresser. En fait, c’est pratiquement tout le contraire : à part se goberger sur les réseaux sociaux et hurler à la résistance face à la “malbouffe américaine”, la plupart des Français ne font rien. C’est à l’étranger que l’art de la table français vit et se réinvente. En France, ces choses stagnent, voire régressent. Par exemple, beaucoup de tables françaises à l’étranger s’inspirent de la street food asiatique et américaine. Et oui, les habitudes changent, et même s’il est parfois agréable de passer 2h à table, il devient impossible de vivre cette expérience ne serait-ce que de façon hebdomadaire.

La gastronomie française n’est plus le centre du monde gastronomique, et c’est avant tout à cause des Français eux-même. Il est inutile de rejeter la faute sur une législation plus restrictive en matière d’alcool : de nombreux pays européens possèdent des lois analogues si ce n’est encore plus punitive sur l’alcool par exemple, cela ne les a jamais empêchés d’apprécier de bons vins ou spiritueux français.

L’essoufflement est perceptible, et les grands groupes qui dirigent les tables étoilées françaises ne s’y trompent pas. Le chef à la tête de la table du Royal Monceau à Paris s’appelle Nobu Matsuhisa, il est Japonais. Le Carpaccio, l’autre adresse gourmande du palace, offre un éventail de plats italiens issus des régions de la Botte que le Michelin a gratifié d’une étoile. La raison ? «Les cuisiniers français sont difficiles à supporter, ils ont la grosse tête et rêvent d’émissions à la télévision» selon les propriétaires. Difficile de leur donner tort, mais jouer à la prima donna n’a jamais donné de bons résultats en matière d’innovation. Certains ne parlent pas la langue de Molière mais savent exécuter une sauce hollandaise parfaite, cuire un ris de veau doré, escaloper un saumon ou saisir une grosse langoustine en 25 secondes.

Bien sûr, tout n’est pas noir. Des chefs avisés et chefs d’entreprise comme Joel Robuchon, avant sa mort, avaient bien compris en prenant le virage de la bistronomie.

Comme il est stupide de dénoncer l’avènement du burger sur les tables étoilées ! Exécuter un bon burger demande autant d’adresse que de bien faire un ris de veau, et rappelons au passage que le marché français est l’un des principaux et des plus dynamiques en Europe pour McDonald’s. Bref, on a de plus en plus l’impression que les Français parlent beaucoup de leur gastronomie, en sont très fiers, aiment à jouer les ultra-orthodoxes orgueilleux mais qu’au final, le résultat n’y est pas.

L’art de la table, ça ne se discute pas, ça se vit.

Bourgeois !

L’art de vivre à la française, pour les étrangers, c’est aussi cette formidable industrie du luxe. La France possède un des poids lourds du secteur avec LVMH. Sauf que son actionnaire majoritaire, Bernard Arnault, ne cesse d’être conspué. Rendez vous-compte, ce salaud ne donnerait pas assez d’argent !? Pire, les femmes du monde entier s’arrachent les créations de Louis Vuitton.

L’horreur, quasiment le nazisme ! (bis).

Selon Bernard Arnault, « LVMH est plus pérenne que certains Gafa ». LVMH, c’est la première capitalisation boursière du CAC 40 et le groupe est dans le top 3 des recruteurs français en 2018 avec pas moins de 13 500 recrutements sur l’année 2018. Exception au sein de l’économie française, le secteur du luxe est porté par ses exportations, et crée sans cesse de nouveaux emplois.

Ainsi, 90% des ventes sont faites hors de France et l’émergence de nouveaux pays avec la mondialisation [l’horreur, quasiment le nazisme ! (ter)] ont été des vecteurs d’emploi. LVMH et Hermès font, de plus, vivre des nuées d’artisans au savoir-faire unique. Hermès ne cesse d’inaugurer des ateliers dans l’hexagone depuis 2017 : une maroquinerie à Val-de-Reuil, en Normandie, et un atelier spécialisé dans le travail du cuir à Saint-Junien, en Nouvelle Aquitaine. En octobre 2018, le groupe a annoncé qu’il implanterait un nouvel atelier de maroquinerie sur la commune de Saint-Vincent-de-Paul, en Gironde. L’atelier, qui devrait embaucher 250 personnes, ouvrira ses portes en 2020.

Des ateliers enracinés dans leurs terroirs et qui font travailler des artisans au savoir-faire inégalé en France. Que demander de plus. Car ici, point de délocalisation, il ne serait pas envisageable de créer des sites comme ceux-là dans un autre pays. C’est un souci de qualité et une question d’image, le Made in France signifiant aux yeux des clients ce savoir-faire français. LVMH a quant à lui un site de production très important à Saint Pourçain et embauche une centaine de maroquiniers chaque année.

Et le secteur a même peine à recruter ! On manque de maroquiniers, des selliers, des peaussiers… Rien à voir avec un poste de chargé de mission dans le marketing en CDD de 6 mois ; ici les contrats sont à durée indéterminée. On touche là les limites d’un système qui a tout misé sur le marketing (branche totalement saturée), les services à la personne et le tertiaire en général qui proposent souvent des emplois précaires. C’est ainsi que depuis 2014, les grands groupes du luxe ont créé leurs propres écoles afin d’assurer la transmission de leurs savoir-faire dans l’artisanat avec un emploi à la clé dans 90% des cas. Terrible encore une fois.

Conclusion

Il faut en finir avec cette jalousie étriquée et cet orgueil mal placé. Le secteur du luxe, en France, pèse davantage dans le PIB français que celui de l’auto et de l’aéronautique réunis. De fait, les numéros 1 et 2 du luxe mondial sont tricolores, puisqu’il s’agit de LVMH et Kering. Avec un chiffre d’affaire moyen de ses entreprises de 5,2 milliards de dollars, l’Hexagone se positionne comme le pays qui concentre les entreprises de luxe les plus importantes et les plus grosses parts de marché. Ainsi, le secteur emploie environ 576.000 personnes en France. Imagine-t-on les Chinois s’attaquer à leurs joyaux de l’IA et les Américains à leurs complexes militaro-industriels ? Il faudrait être dérangé mentalement.

Eux, au contraire, les chérissent et font en sorte de développer un environnement favorable à leur croissance.

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