L’Occident est-il le seul à avoir fait du mal dans l’histoire ?

Ceci est une traduction la troisième partie d’une suite de 4 articles publiés sur Quillette au sujet des classiques occidentaux par James Kierstead et traduit par nos soins.

Même si le concept de civilisation occidentale n’est pas incohérent, certains avancent que nous devrions être extrêmement prudents avec ce dernier ou même complètement l’éviter, à cause de la façon dont les nations occidentales se sont engagées dans diverses formes de racisme, guerres bellicistes et exploitation impériale. D’après cette vision, L’héritage de l’Occident est irrémédiablement entaché, et nous devrions soit éviter d’enseigner tout cela, ou, si on doit le faire, le faire d’une façon ouverte et critique.

Il est indéniable que les nations d’Occident ont fait des choses terribles. Du pillage de l’empire Inca par les Espagnols, au massacre des civils indiens à Amritsar par les Anglais, la liste des déprédations est longue. La violence au sein de l’Occident et entre ses nations a aussi été horrible, des 8 millions de morts de la Guerre de Trente ans aux 60 ou 70 millions de morts au cours de la Seconde Guerre mondiale.

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Cependant, si on cherche une civilisation qui ne s’est jamais livrée à la violence de masse ou la destruction, nous avons peu de chances d’en trouver une. La Période des Royaumes combattants en Chine fut une des plus sanglante de l’Histoire. La rapide conquête islamique des septième et huitième siècle n’était pas plus pacifique que les croisades chrétiennes. Les cultures scrupuleusement pacifistes sont difficiles à trouver pour une raison évidente – dans un monde violent, ceux qui ont refusé de combattre se sont vus éliminés, comme les Moriori de Chatham Islands l’ont été en dans les années 1830.

À ce stade on ne peut pas exclure que l’Occident pourrait être la seule tradition culturelle intimement liée à la violence au service de vues impériales. Plusieurs des textes fondateurs de l’Occident présentent des passages extrêmement violents, comme l’Illiade, ou ouvertement impérialistes, comme l’Énéide. Et l’influence de telles oeuvres ne se limitait pas à la simple littérature : les conquistadors espagnols trouvèrent une justification toute prête au traitement réservé au natifs d’Amérique du Sud dans la doctrine de l’esclavage naturel d’Aristote, les Anglais impérialistes citaient encore des passages de Virgile vantant les mérites de l’empire au XIXème siècle. Devrions-nous vraiment donner cela à lire aux étudiants aujourd’hui ?

Le problème est que répondre “non” à cette question revient à se condamner à ne lire aucun texte d’aucune civilisation. Les autres cultures élevées dans des mondes non moins violents que l’Occident, ont aussi produit des textes pleins de violence, comme le Bhagavad-Gita, ou l’Art de la Guerre. Le Coran n’est pas moins violent que l’Ancien Testament ; et le Nouveau Testament est un rappel que les textes faisant partie de la tradition occidentale peuvent contenir des idées hautement pacifiques, tout comme d’autres textes non-occidentaux le peuvent. Si les croisés ou les armées de la Guerre de Trente Ans ont trouvé du soutien pour leur violence dans la chrétienté, le Bouddhisme Zen a lui aussi pu être une source de soutien pour l’impérialisme Japonais du XXème siècle.

Considérant à quel point il est difficile de trouver des civilisations rejetant complètement la violence et l’impérialisme aussi bien dans leurs actions que dans leur production culturelle, il nous apparait évident que la tendance observée en Occident n’est pas unique. En fait, presque toutes les cultures que nous connaissons ont tenté de combattre les autres et prendre leurs biens tout au long de l’Histoire. Le fait que les nations occidentales sur ces 2-3 derniers siècles se soient taillées la part du Lion sur ces deux activités ne provient pas de l’idée que les Occidentaux sont les seuls à être mauvais par nature, ou ont une tradition culturelle particulièrement néfaste. La raison serait plutôt que, pour une brève période de l’Histoire qui se finit aujourd’hui, les nations occidentales furent remarquablement meilleures que leurs rivaux dans la violence et la conquête.

Pourquoi cela fut-il le cas est une des grandes questions historiques, et de façon étonnante, un certain nombre d’explications ont déjà été proposées. Peut-être que la domination de l’Occident a été inévitable parce que l’ancien Proche-Orient avait plus de champs cultivables que le reste du monde, signifiant que l’agriculture et tout le reste qui en découle (population dense, état complexe, etc.) arriva dans la partie Ouest de l’Eurasie plus tôt que dans la partie Est. Peut-être est-ce le fait que l’Europe était plus proche du Nouveau Monde que la Chine qui a permis aux européens de récolter la manne de l’or et de l’argent américain avant que les chinois ne le fassent. Peut-être que les institutions qui ont graduellement limité le pouvoir des monarques et accru la stabilité et la solvabilité ont joué un rôle, tout comme l’émergence de la culture scientifique des Lumières et l’avance technologique qu’elle a apporté. Ou peut-être que la domination européenne fut vraiment indiscutable après la Révolution Industrielle, qui mena à une explosion de la croissance économique sans précédents. (Et pourquoi la Révolution Industrielle apparut en Angleterre et pas ailleurs en premier est une grande question historique également)

Quel que soit l’explication, ou la combinaison de différentes explications, qui explique le mieux le phénomène de la “Grande Divergence” entre l’Ouest et l’Est au cours des XVIIIème et XIXème siècles, une chose est claire : une des plus vieilles réponses, celle qui semblait évidente pour beaucoup d’Occidentaux impérialistes, est très certainement fausse. Les Occidentaux ne se sont pas imposés tout autour du globe grâce à des particularités raciales les rendant supérieurs. Comme l’Histoire l’a montré par la suite, les non-Occidentaux sont aussi capables de soutenir des sociétés riches et complexes et d’utiliser des technologies avancées.

Mais il y a un autre argument que l’on tient presque certainement pour faux, qui n’est pas en reste et qui a gagné en hégémonie dernièrement. Cet argument est l’exact opposé du premier que l’on vient de présenter : il voudrait que, plutôt que d’être les porteurs de vertus supérieures, l’Occident se soit imposé grâce à l’aspect violent et rapace propre aux Occidentaux. Comme nous l’avons vu, une étude même superficielle du dossier historique révèle que ce ne saurait être le cas. Toutes les civilisations connues ont exprimé un désir de domination et d’exploitation de leurs voisins. Et, dans presque tous les cas, les productions culturelles tendent à refléter le monde dans lequel elles ont été formées, de sorte que des textes violents et chauvins se retrouvent un peu partout également.

Si on rejette l’étude de la civilisation occidentale en raison de la violence qui l’a souvent accompagnée, on sera forcé de rejeter l’étude de toute autre civilisation également. Si la suggestion est simplement d’enseigner la civilisation occidentale d’une façon critique et avec précaution, la cohérence voudrait qu’on applique la même pratique à l’étude des civilisations chinoises et islamiques. La solution semble évidente : afin d’enseigner toutes ces traditions d’une façon neutre et objective, et, lorsque les louanges ou la censure semblent appropriés, appliquer le même traitement à toutes les cultures.

Mais il y a une dernière chose qu’on peut maintenant mettre en exergue au sujet de la civilisation occidentale et de ses crimes. Regardons la liste des facteurs qui ont été mis en avant comme explication de l’impressionnante supériorité militaire et économique dont l’Occident a fait montre au cours de la période moderne. Combien d’entre eux sont-ils liés au caractère distinctif de la littérature et de la philosophie de l’Occident ? Pas beaucoup. Et ça ne devrait pas être une surprise, car si ce fut vraiment la transformation de l’économie européenne qui a permis à l’Occident de prendre le pouvoir, il est difficile de voir l’influence que les livres ont pu avoir. Dans tous les cas, comme nous l’avons vu, la majorité des cultures ont produit des livres empreints de violence ; seul l’Occident fut capable de mettre en pratique les idées contestables contenues dans ces derniers à une échelle mondiale.

Bien sûr, la violence ne fut pas la seule chose que les livres occidentaux contenaient ; plusieurs d’entre eux contiennent des philosophies qui insistent sur l’empirisme, sans parler des découvertes scientifiques qui furent le fruit de la méthode empirique. Leur part de responsabilité dans l’ascension de l’Occident est ouvert au débat (après tout, il y avait énormément de livres en chinois et arabe à propos de la science, et la Chine tout comme le monde islamique furent pourtant à la traîne). Mais il est certainement possible de raconter une histoire sur la particularité de la gamme des idées scientifiques, spécialement au cours du siècle des Lumières, ont pavé la voie pour la Révolution Industrielle comme pour les explorations fructueuses (pour ne pas dire conquête) de terres lointaines. (En effet, c’est une histoire qui fut racontée plus d’une fois).

Mais s’il s’agit d’une histoire sur les réalisations scientifiques et techniques, il n’est pas clair d’identifier quelle part de responsabilité du canon d’œuvres essentiellement littéraires qui ont tendance à être enseignée comme « civilisation occidentale » peut avoir. Il est aisé de voir le rôle du travail d’Adam Smith ou même de Newton ou de Hume a pu jouer sur l’industrialisation ; Plutarque et Dante, pas vraiment. L’historien économique Joel Mokyr a même suggéré que c’était précisément, la relative faible position tenue par les classiques dans les pays occidentaux qui les a aidés à réaliser de grand progrès économiques comparés à la Chine, où une élite de bureaucrates savants contrôlait le pays jusqu’au début du XXème siècle.

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Il va sans dire que les classiques ont eu un rôle conservateur. Bien sûr, ils furent souvent un frein au progrès, et le progrès prit souvent la forme de la rupture avec leurs enseignements. Descartes et Galilée permirent des avancées majeures dans notre compréhension du monde en rejetant Aristote ; Darwin de même en rejetant implicitement les enseignements de la Bible (ou du moins une interprétation littérale de ces derniers). Mais les classiques ont aussi pu être source de progrès : l’exemple me venant à l’esprit étant le rôle joué par la démocratie athénienne comme modèle pour les libéraux du mouvement “Philosophical Radicals” anglais du XIXème siècle.

Il y a cependant un point plus important qui pourrait sembler quelque peu décevant pour les professeurs de lettres classiques ou de civilisation occidentale. Il se peut que l’impact du canon occidental sur la façon dont l’histoire de la planète se soit déroulée au cours des derniers siècles ait été énormément exagéré. En dépit de ce qui est parfois impliqué, il est peu probable qu’il existe un quelconque lien de causalité entre les métamorphoses d’Ovide et le développement de la machine à filer le coton, ou entre Jean de la Croix et le pistolet gatling.

Cela ne veut pas dire que la littérature occidentale ne vaut pas la peine d’être lue, ni enseignée (ou que ça n’a pas de sens de l’enseigner dans le cadre d’une seule tradition). Cela vaut la peine d’être lu pour toutes les raisons pour lesquelles les humains ont lu la littérature depuis des temps immémoriaux : parce que c’est souvent divertissant, instructif et parfois même significatif. Si la littérature occidentale n’a probablement pas alimenté la prise de contrôle par l’Ouest de vastes étendues du globe, ce n’est peut-être pas une si mauvaise chose. Cela pourrait même nous permettre de relire la littérature occidentale comme elle était censée être lue pour la plupart – en tant que littérature.

James Kierstead est maître de conférences en études classiques à l’Université Victoria de Wellington et coordinateur actuel d’Heterodox Classics. Suivez-le sur Twitter @Kleisthenes2.

5 comments
  1. On ne saura probablement jamais le pourquoi du comment. On ne peut que supposer.
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    Le caractère “racial” de l’explosion européenne ne peut pas être écarté, même aujourd’hui, d’un revers de la main.
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    D’abord, ce qui semble faire la particularité de l’occident, c’est la méthode scientifique. Tout part de la. Méthode qui nous a mené a de grandes découvertes, qui nous ont menées à l’industrialisation, qui nous a mené à la conquête.
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    Le revers de la médaille, c’est que nous avons été les premier à faire la guerre de manière industrielle et que ça a laissé une profonde cicatrice “civilisationnelle”, humaine. C’est pour ça que l’occident est si prone à la culpabilisation, en plus d’avoir eu un terreau fertilisé par 1500 ans de christianisme (qui se base sur la culpabilité – du plaisir charnel, le péché originel).
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    Mais alors, revenons aux raisons raciales (qui ne sont pas les seules raisons, ce n’est pas ce que je dis : c’est un facteur comme un autre). D’une part le QI européen semble légèrement inférieur à l’asiatique. D’autre part, l’agressivité européenne semble un peu supérieure. C’est d’ailleurs ça qui compte : non pas si telle ou telle civilisation est agressive ou pas, mais si elle l’est plus que ses voisines. Il y a une thèse (plausible mais non démontrée formellement) que, même si le QI des européens est moindre, l’écart type est supérieur, en raison même d’une agressivité supérieure. En gros, la nature nous impose plus de contraintes ici, et ça se traduit par une “diversification génétique” un peu supérieure. Du coup, même avec un QI inférieur, nous avons plus de génies que les chinois (mais aussi plus de détraqués, ce qui donne des civilisations plus instables, plus de guerres, en moyenne). Le civilisation asiatique est connue pour être plus conservatrice que la notre, plus collectiviste : c’est tout à fait en accord avec un écart type plus faible !
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    Du coup, cette histoire d’écart type remet le caractère racial au coeur de l’explication de la particularité du peuple européen. De plus, il ne faut pas oublier un autre facteur : sans la christianisation de l’europe, probablement que la grande divergence aurait eu lieu plus tôt, car, le christianisme à beaucoup ralentit les progrès scientifiques. (c’est un autre sujet, faudrait que je développe, mais c’est déjà suffisamment long comme commentaire)

  2. Plutôt que de différence intellectuelle entre les différentes peuplades, je pense que ce qui fait que l’occident, la chine et le japon mais aussi les empires romains, mais arabo-musulman et inca (avant leurs dislocations respectives) aient pris une telle avance technologique et scientifique sur les autres est la présense de grandes villes de concentrer en un même endroit les meilleurs scientifiques, penseurs et ingénieurs. De telles ville ne pouvaient pas apparaitre en Afrique, en Océanie et dans les île du P

  3. Plutôt que de différence intellectuelle entre les différentes peuplades, je pense que ce qui fait que l’occident, la chine et le japon mais aussi les empires romains, mais arabo-musulman et inca (avant leurs dislocations respectives) aient pris une telle avance technologique et scientifique sur les autres est la présense de grandes villes de concentrer en un même endroit les meilleurs scientifiques, penseurs et ingénieurs. De telles ville ne pouvaient pas apparaitre en Afrique, en Océanie et dans les île du Pacifique car le sol y est trop peu fertile ou le territoire trop petit pour permettre à une grosse partie de la population de ne pas participer directement à la production de nouriture, ce qui empêche donc les intelectuel(les) de se concentrer sur les sciences. D’ailleurs, beaucoup de ces peuples moins avancés ont tout de même des religions, un ensemble de contes et des langues avec des structures grammaticales et des conceptes tout aussi complexes que les langues de peuples plus avancés, ce qui est contradictoire avec le fait qu’ild aient une intelligence moindre.

  4. A mon avis, l’Occident a pris le dessus sur le reste du monde grâce aux facteurs suivants, tous reliés les uns aux autres d’ailleurs :

    Développement du capitalisme, qui pousse une multitude d’acteurs à investir, prendre des risques en vue de réaliser des gains importants. Ce phénomène est amplifié par les grandes découvertes. Il pousse les européens sur toutes les mers du monde.

    Ces prises de risques et explorations sont favorisées par la décentralisation de l’Europe, suite à l”effondrement de l’Empire Romain. Comme il n’y a pas de pouvoir central oppressant, l’Europe est éclatée en une multitude d’acteurs : villes, principautés, royaumes, bourgeois, … Ils sont en concurrence les uns avec les autres. Ils sont nombreux à avoir la possibilité de lancer des explorations. De mémoire, Christophe Christophe Colomb, un génois, va voir 2 ou 3 princes qui refusent de financer son projet, avant d’être finalement accepté par le roi d’Espagne.

    La géographie nous prédestinais plus que d’autres à découvrir l’Amérique. D’ailleurs, une première colonisation avortée avait déjà eu lieu, semble-t-il, par les Vikings par la route du Nord. Je m’interroge également si la géographie torturée de l’Europe (exemples : Angleterre séparée du continent, péninsule ibérique et Italie protégées par des chaînes de montagnes, quasi île que constitue la Scandinavie, …) n’a pas favorisé l’existence de multiple états, engendrant la concurrence décrite précédemment.

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