Comment devient-on un “garçon” ? Chromosomes, phénotype, hormones et comportement

Il y a quelques semaines, suite à un article publié dans le magazine Psychologies où une psychanalyste répondait à un interlocuteur se présentant comme une jeune fille ayant confié le souhait de devenir un garçon, La Tronche en biais s’indignait de la réponse fournie. Cela donna lieu à un bref échange avec le biologiste Franck Ramus où Acermendax disait “Je ne sais pas ce qu’est un “garçon”, je n’ai donc pas d’objection pour que cette jeune fille en devienne un”. 

À l’inverse, j’ai pour ma part une vague idée de ce qu’est un garçon, on considère très simplement que le sexe est bimodale en se référant aux gamètes produites. Ainsi, les garçons produisent des spermatozoïdes et les filles des ovules. Aussi, je ne sais pas si la “jeune fille” en question en est bien une car ne sachant pas quel type de gamètes elle produit, je ne saurais formuler un diagnostique. C’est d’ailleurs en somme ce que met en avant Franck Ramus dans son très bon article expliquant qu’en l’absence du diagnostique médical, il est délicat de conseiller quoi que ce soit à cette personne.

Simple convention de langage, Acermendax sait très bien ce qu’est un garçon et met simplement en avant ici la complexité du processus de la différenciation sexuée qui conduit à créer des garçons et des filles, sauf exceptions. Mais ce sont précisément ces exceptions qui le conduisent à questionner notre définition et notre reconnaissance légale de ce qu’est un garçon et ça reste une question intéressante.

Peut-on donner une définition claire de ce que sont un garçon et une fille au vu des dernières connaissances scientifiques?

Chromosomes et phénotype

Le plus simple est de s’en tenir au phénotype. un individu doté d’attributs sexuels masculins à la naissance est un garçon, un individu doté d’attributs sexuels féminins à la naissance est une fille, et pour les cas plus ambigus, à la marge… c’est du cas par cas.

Puis on a commencé à comprendre le processus menant à cette différenciation sexuée. Tout d’abord, on identifia les différences chromosomiques. Les garçons disposent d’un chromosome X hérité de leur mère et d’un chromosome Y hérité de leur père, de même, les filles disposent de deux chromosomes X hérités chacun du père et de la mère. Donc un garçon est un individu témoignant d’un phénotype avec des attributs sexuels masculin car disposant de chromosomes XY et une fille un individu témoignant d’un phénotype avec des attributs sexuels féminins car disposant de chromosomes XX; puis il y a les hermaphrodites témoignant d’un phénotype mélangeant les deux attributs sexuels car disposant de chromosomes XXY. Simple ! Oui mais un peu trop simple… Cela fonctionne dans la très grande majorité des cas. Cependant, par exemple on observe que certains individus présentant des attributs sexuels féminins ont en fait des chromosomes XY. Dernièrement, une athlète dans cette situation s’est vu retirer ses titres car son taux de testostérone 3 fois plus élevé que la moyenne lui confère un avantage jugé déloyal. Ses parties intimes ressemblent à un vagin mais elle n’a pas d’ovaires et des testicules internes qui ne sont jamais descendues, elle est génomiquement mâle. Dès lors, est-ce une femme? un homme? autre? Aussi, certains individus disposant d’attributs sexuels masculins / féminins s’identifient au genre opposé et tendent à avoir des comportements similaires au genre auquel ils s’identifient.… et lorsqu’on fait une IRM de leur cerveau on observe que ces derniers présentent les caractéristiques du genre opposé, comment peut-on expliquer cela?

Introduction
en douceur à
Unqualified
Reservations

Premier tome d’une série de 7 de l’oeuvre de
Curtis Yarvin offert à nos tipeurs.

Introduction
en douceur à
Unqualified
Reservations

Premier tome de l’oeuvre
majeure de Curtis Yarvin

Hormones prénatales et comportement 

Je m’appuierai ici sur le livre “Behave”, de Robert Sapolsky, endocrinologue à l’université de Stanford. “Garçon” et “Fille”, qu’est-ce que cela signifie pour un cerveau foetal? Vers 8 semaines après la conception, les gonades commencent à sécréter leurs hormones respectives, la testostérone pour les “garçons” et l’oestrogène et la progestérone pour les “filles”. La testostérone associée à l’hormone de régression müllérienne “masculinise” le cerveau.

Il y a cependant 2 complications dans la compréhension de ce processus. De façon surprenante, un effet majeur de la masculinisation du cerveau au stade foetal résulte de la conversion de la testostérone en oestrogène. Une observation contre-intuitive puisque les foetus de filles sont aussi entourés de l’oestrogène de la mère et leur propre oestrogène. Le plus probable serait que l’Alpha-fœtoprotéine produite par les foetus fasse circuler l’oestrogène et l’empêche de produire toute action masculinisante. Sans la combinaison testostérone et hormone de régression müllérienne, le cerveau devient “féminisé”, ce qui conduit certains à parler de “cerveau par défaut”.

Encore plus complexe, et c’est ici que la joute verbale dont on a parlé en introduction prend sa source, c’est quoi un cerveau “féminisé” et “masculinisé” ? La première chose qu’on peut mettre en avant est que le cerveau masculinisé produit des hormones reproductrices en permanence alors que le cerveau féminisé est contraint à l’aspect cyclique de l’ovulation. Au stade foetal, le cerveau féminisé produit donc un hypothalamus plus large pour répondre à cette plus grande complexité.

Quel est l’impact de cette différenciation sexuée du cerveau sur les comportements ? 

Il semblerait que ce processus soit responsable de la quasi totalité des différences de comportements. Nous parlerons ici de comportements “typiquement masculins” et “typiquement féminins”. Ces comportements diffèrent évidemment selon les espèces bien qu’on retrouve des similarités.

En 1950, Robert Goy de l’université du Wisconsin, montra que les cochons d’Inde exposés à la testostérone au stade prénatal possèdent un cerveau sensible à la testostérone à l’âge adulte, et ce, peu importe leur sexe. Sur les femelles, cette exposition à la testostérone a produit des progénitures qui, à l’âge adulte, possédaient l’apparence normal de femelles mais le comportement typique de mâles tel qu’une augmentation du taux d’agression et une tendance à tenter de monter les autres femelles. En plus de cela, les injections d’oestrogène étaient moins efficaces pour les conformer à un comportement de femelles.

De quoi remettre en question le dogme qui voudrait que l’identité sexuelle est due à des facteurs sociaux et non biologiques qui a conduit pendant longtemps les docteurs à forcer les parents à choisir un genre pour les enfants nés avec des organes génitaux ambigus, pensant que ça n’aurait aucun impact sur l’enfant tant que le choix était fait dans les 18 premiers mois.

Par la suite, Goy entreprit des études sur les primates tels que le marmouset et le tamarin d’Amérique du Sud d’un côté qui sont des espèces monogames avec peu de différences comportementales entre les mâles et les femelles et de l’autre côté des singes d’Afrique plus dymorphiques dont les mâles sont plus agressifs que les femelles qui passent, elles, plus de temps à s’occuper des enfants et présentent des caractéristiques sociales plus développées. Il observa que les mâles, dès les premières semaines après la naissance, sont plus actifs et passent plus de temps à chahuter que les femelles. En plus de cela, lorsqu’on supprime la sécrétion de testostérone après la naissance, les mâles chahutent moins mais toujours plus que les femelles. ce qui suggèrent un effet inéluctable de la testostérone sur le cerveau au stade prénatal.

Les travaux suivant de Goy finirent de prouver cette suggestion, en traitant les femelles enceintes avec des injections de testostérone tout au long de la grossesse. Les bébés femelles issus de cette expérience étaient des pseudohermaphrodites possédant l’apparence de mâles mais des gonades femelles. il observa que ces dernières avaient un comportement typique de mâle : augmentation du taux d’agression et de chahutage, attitude typique de mâles dans la tentative de monter des femelles et similarité dans la voix. Leur comportement était, à quelques exceptions près, celui d’un mâle. Par la suite, un étudiant de Goy, Kim Wallen, injecta des doses de testostérone á des femelles enceintes mais seulement lors du dernier trimestre de grossesse. Les bébés femelles issus de cette expérience présentèrent cette fois une apparence de femelle mais un cerveau et un comportement typique de mâle.

Qu’en est-il de l’humain ?

Il semble clair que l’exposition prénatale à la testostérone est responsable du taux d’agression chez les humains. Des études furent menées par Melissa Hines de l’université de Cambridge, sur une pathologie rare nommée Hyperplasie congénitale des surrénales, HCS. l’HCS est une maladie secondaire à un déficit de la synthèse du cortisol dans la zone fasciculée de la glande corticosurrénale. La production déficiente de cortisol par la surrénale entraîne une surproduction d’ACTH par l’hypophyse à cause d’un manque de feedback (rétrocontrôle) négatif, ce qui entraînera alors en réponse à cet excès d’ACTH, une sécrétion excessive d’androgènes par les surrénales. Chez les garçons, cela n’entraînera pas de problèmes majeurs, mais chez les filles, il y aura des signes d’androgénisation prénatale, dont le développement d’organes génitaux ambigus (hypertrophie clitoridienne) et l’infertilité à l’âge adulte.

Melissa Hines mit en avant que les filles atteintes de cette anomalies tendent à chahuter plus que la moyenne, sont plus souvent engagées dans des bagarres et agression physiques et elles préfèrent les jouets de garçons aux poupées. À l’âge adulte, elles tendent à être plus agressives, moins intéressées par les enfants, et plus enclines à être homosexuelles, bis ou présenter une identité sexuelle transgenre. Remarque importante, ces filles sont traitées dès la naissance avec des injection d’hormones. L’excès d’androgènes est donc seulement prénatal et semble ainsi confirmer l’impact d’une telle exposition à ce stade du développement sur le comportement. La seule réserve qu’on peut émettre étant que ces filles ont souvent eu recours à de la chirurgie réparatrice et que leurs parent sont pleinement conscients de leur condition, ce qui pourrait avoir un impact sur leur comportement et empêche d’attribuer l’ensemble des observations à la seule biologie.

Soutenez l’Ukraine

en achetant un de nos t-shirts dont les bénéfices
sont reversés à FUSA
 qui fournit du matériel
aux soldats.

Soutenez l’Ukraine

en achetant un de nos t-shirts dont les bénéfices
sont reversés à FUSA
 qui fournit du matériel
aux soldats.

Une conclusion similaire fut délivrée en observant le phénomène inverse du HCS, nommé, syndrome d’insensibilité aux androgènes. Prenez un foetus masculin doté de chromosomes XY, avec des testicules produisant de la testostérone mais une mutation sur les récepteurs à androgènes les rend insensibles à la testostérone. Le cerveau ne sera donc pas “masculinisé” et souvent, l’individu naît avec un phénotype d’apparence féminin et élevé comme une fille. C’est seulement à la puberté, les règles n’arrivant jamais, qu’une visite chez le docteur révèle que ce que l’on pensait être une fille est en fait un garçon avec des testicules proches de l’estomac et un “vagin” très court. L’individu continue la plupart du temps à s’identifier à une femme mais est infertile. En d’autres termes, un individu masculin qui n’expérimente pas les effets organisationnels prénataux de la testostérone aura un comportement typiquement féminin et s’identifiera à une femme.
Les conclusions que l’on peut tirer de cela est qu’il y a une preuve imparfaite que la testostérone a un effet de masculinisation du cerveau au stade prénatal chez l’humain, que dans la majorité des cas, sauf exceptions, on pourrait définir un garçon comme un individu possédant des chromosomes XY, des testicules produisant de la testostérone dont l’exposition au stade prénatal lui a donné un type de cerveau “masculinisé” grâce à des récepteurs à androgènes fonctionnels. C’est évidemment imparfait et la question de savoir ce qu’est un garçon n’est pas dénuée de fondement, d’autant plus que les effets évoqués ici n’ont de valeur que sur l’observation de larges groupes, et moins à l’échelle individuelle.

Pour en revenir à l’article de départ paru dans Psychologies, c’est en cela que la réponse de Franck Ramus est parfaite lorsqu’il met en avant qu’en l’état, on ne peut pas dire grand chose à cette “jeune fille” car on ne sait même pas dans quelle catégorie elle se trouve.

Références :
Étude de Robert Goy sur les cochons d’inde :https://academic.oup.com/endo/article-abstract/65/3/369/2775439?redirectedFrom=fulltext

Étude de Robert Goy sur les primates https://www.fertstert.org/article/S0015-0282(97)81873-0/fulltext

Étude de Kim Wallen sur les primates https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2704567/

Étude de Melissa Hines sur les filles atteintes de CAH https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2951011/

2 comments
  1. Si nos ancêtres qui ont affronté les épidémies, les guerres, les famines, nous voyaient, la ou en est arrivé “socialement” (après avoir quasiment vaincu ces 3 fléaux)… je me demande s’ils nous auraient décidé que ça en valait la peine.

  2. Très bon article.
    Je ne lis pas “Psychologies” qui est, à mon sens, un journal de vulgarisation n’allant pas chercher loin. Et je constate avec effroi que ce magazine, comme malheureusement d’autres en France, donne encore la parole à ces charlatans que sont les psychanalystes. Nous sommes un des derniers pays au monde à enseigner en études de psychologie cette pseudo science qui a fait tant de ravages en culpabilisant stupidement des gens pour zéro résultat et en vidant leurs poches au passage. Pire, le Freudisme est encore au programme du BAC de philosophie, ce qui n’en fini pas de me sidérer au fil des années qui passe. Pourquoi pas enseigner le créationnisme pendant qu’on y est ?
    Sur ce sujet de la “sexuation” du cerveau, vous avez un très bon livre en français (il y en a peu) qui vient de paraître et fait le point : “Comment le cerveau devient masculin” de Jacques Balthazart, biologiste Belge, spécialiste en neuroendocronologie du comportement et qui dirige le groupe de recherches de ce domaine de l’université de Liège. Il est déjà connu pour “Biologie de l’homosexualité” un livre très intéressant mais qui a déjà plusieurs années.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Previous Post

La surpopulation n’existe plus depuis la Révolution Industrielle

Next Post

Peut-on parler de “Civilisation Occidentale”?